mardi 10 novembre 2009

La Chine avance à pas prudents sur la voie de la convertibilité du yuan

Le Monde - Economie, mardi, 10 novembre 2009, p. MDE3

Lorsqu'au printemps les Chinois lancèrent le débat sur la suprématie du billet vert, un dirigeant du Fonds monétaire international (FMI) fit remarquer, un brin goguenard, que s'ils voulaient un jour détrôner le roi dollar, les Chinois devraient d'abord accepter de rendre le yuan convertible.

Ce préalable n'avait évidemment pas échappé aux dirigeants chinois : c'est pourquoi, malgré les apparences, plusieurs signes laissent penser que la convertibilité du yuan est acquise à plus ou moins long terme. Dans les discussions des Chinois avec les Occidentaux, le sujet n'est plus tabou. Les premiers avancent même une date, ou plutôt un horizon : 2020. Leurs interlocuteurs parient, eux, sur le milieu de la prochaine décennie.

Sur place, à Pékin, les observateurs qui font ce pronostic se basent notamment sur une nomination-clé passée sous silence dans la presse occidentale. Hu XiaoLian, la très respectée patronne de la SAFE (State Administration of Foreign Exchange), l'administration chargée des changes, a réintégré cet été la banque centrale pour s'occuper de la convertibilité du yuan au sein d'un département créé à cet effet.

Sans attendre, la Chine a mis en place deux dispositifs expérimentaux pour se passer du dollar dans ses échanges internationaux.

Le premier, déjà abondamment commenté, est la conclusion d'accords pour échanger des monnaies entre banques centrales. Ce que les spécialistes appellent effectuer un " swap de change ". Actuellement, la Chine a signé des accords avec six pays : la Corée du Sud, Hongkong, la Malaisie, la Biélorussie, l'Indonésie et l'Argentine.

Au printemps, lors d'une rencontre avec le président brésilien Lula, les dirigeants des deux pays ont annoncé que le Brésil devrait prochainement rejoindre la liste. Mais si la dimension politique de cette annonce n'a échappé à personne, ces accords ont un effet pratique limité, car ils ne concernent que les banques centrales (et pas les entreprises) et qu'à la fin de l'accord (dont la durée est limitée), il faut bien rembourser la devise détenue et donc... passer la plupart du temps par le dollar.

Le deuxième dispositif, moins connu, est a priori plus ambitieux. Il s'agit d'un programme pilote permettant de régler en yuans des transactions commerciales internationales. Mais les autorités chinoises qui ont lancé ce mécanisme en juillet ont pris de multiples précautions. Pour le moment, seules sont concernées les entreprises chinoises implantées à Shanghaï et dans quatre villes du delta de la Rivière des perles, le berceau des exportations chinoises : Canton, Shenzen, Dongguan et Zhuhai.

Faire le grand saut

Les pays avec lesquels doivent se faire les échanges commerciaux sont, eux aussi, rigoureusement choisis. Après Hongkong et Macao, dix pays de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean), ont été mis sur la liste : Singapour, Malaisie, Thaïlande, Indonésie, Vietnam, Philippines, Brunei, Cambodge, Laos et Birmanie. A chaque transaction commerciale, les entreprises doivent passer par des banques qui ont reçu l'aval de Pékin pour effectuer des opérations elles aussi bien précises. Il est évidemment trop tôt pour dresser un bilan de cette expérience. Mais, en septembre, dans la Revue financière Grande Chine, publié par la mission économique française, le conseiller financier Yann Martin estimait que deux freins risquaient d'entraver ce programme pilote. Premièrement, le dispositif est peu attractif pour les partenaires commerciaux de la Chine, puisqu'il fait peser sur eux l'intégralité du risque de change. En effet, le yuan étant indexé sur le dollar, ces échanges dans la devise chinoise dépendent, en fait, du billet vert. Retour donc à la case départ.

Deuxième réserve : le coût bureaucratique élevé qui décourage les candidats potentiels. " Le renminbi - yuan - reste en tout état de cause affecté par le manque de liquidité et de profondeur des marchés financiers sur lesquels il est traité, par l'insécurité juridique des transactions, par la fermeture partielle du compte de capital et par les excédents commerciaux qui sont sources de déséquilibres pour le programme pilote ", note M. Marin.

Anticipateurs, ces accords ne sauraient donc éviter à la Chine de faire le grand saut de la convertibilité totale de sa monnaie.

Frédéric Lemaître

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