mardi 10 novembre 2009

Tout en jouant à se faire mutuellement peur, Pékin et Washington préparent l'avenir

Le Monde - Economie, mardi, 10 novembre 2009, p. MDE2

Autrefois cheval de bataille des démocrates américains, la réévaluation du yuan ne figurera pas en tête des sujets abordés par le président Barack Obama lors de sa visite en
Chine mi-novembre. Tout au plus sera-t-elle évoquée.

La crise financière globale a un peu changé la donne : la Chine, qui avait laissé sa devise gagner près de 15 % face au dollar de 2005 à 2008, en élargissant les marges de fluctuation permises du " peg ", le taux fixe qui la lie au dollar, est revenue depuis l'été 2008 à un régime beaucoup plus strict, histoire de préserver sa compétitivité à l'export. Le yuan est resté quasi inchangé face au billet vert, mais il a perdu près de 15 % face à l'euro, une dévaluation déguisée dont fait les frais l'Europe, premier partenaire commercial de l'empire du Milieu, devant les Etats-Unis.

Cette drôle de trêve entre le dollar et le yuan est en réalité une sorte de pacte : les Etats-Unis, engagés dans un vaste effort de relance budgétaire, veulent éviter que leurs créanciers ne les laissent tomber au plus mauvais moment.

Les Chinois, dont la banque centrale est le plus gros détenteur au monde de bons du Trésor américains, veillent d'ailleurs au grain, car l'opinion publique chinoise s'émeut chaque fois que la valeur de ses placements est menacée.

En juin, lors d'une rencontre avec des étudiants de l'université de Pékin, Timothy Geithner, le secrétaire au Trésor américain, a d'ailleurs provoqué un grand rire parmi ses auditeurs lorsqu'il leur assura, avec le plus grand sérieux, que " les avoirs financiers chinois - aux Etats-Unis - sont en sécurité ".

En réalité, les colossales réserves en devises de la Chine (2 200 milliards de dollars soit 1 500 milliards d'euros) sont relatives : elles doivent permettre à la banque centrale, le jour où le yuan sera librement convertible, d'honorer les demandes de conversion en devises étrangères, que ce soit de la part des entreprises étrangères ou chinoises, ou des particuliers.

Car ce pacte temporaire n'empêche ni l'un ni l'autre de ses signataires tacites d'anticiper l'étape suivante. Pour la Chine, il s'agit de tout faire pour ne pas se trouver en position de faiblesse sur le chemin qui la mène vers la convertibilité à l'horizon 2020, voire 2015. En agissant sur trois fronts : promouvoir l'usage du yuan dans la facturation des échanges régionaux; utiliser ses réserves en devises pour passer des accords de garantie avec des banques centrales asiatiques; oeuvrer pour un rééquilibrage du système financier mondial en faveur d'un panier de monnaies de réserve.

Pour les Etats-Unis, le retour à la santé économique impose de s'attaquer à la mère de tous les maux : le double déficit qui a causé le décrochage de 2008. Cela passera-t-il par un retour de la politique de la canonnière monétaire, à l'instar des accords du Plaza, imposés en 1985 à un Japon en pleine expansion pour qu'il réévalue le yen ? Dans l'une de ses dernières chroniques, l'économiste Paul Krugman tance " la politique de change scandaleuse " de la Chine. " Le taux fixe yuan-dollar prolonge la crise globale ", argue le Prix Nobel d'économie 2008, pour qui la Chine " siphonne avec sa devise faible une partie du déficit de demande qui affecte l'économie mondiale ".

Pour Andy Xie, ancien spécialiste de la Chine chez Morgan Stanley, devenu un chroniqueur corrosif du miracle économique chinois, il y a méprise : " La Chine ne réévaluera pas, et ne doit en aucun cas réévaluer le renminbi pour le moment, écrit-il dans le magazine économique Caijing. Cela ne ferait que déstabiliser une économie déjà très déséquilibrée. "

L'apparente santé de l'économie chinoise est artificielle, soutient-il, puisque le méga plan de relance chinois, nourri à coups de crédit bancaires, fausse le jeu du marché, fait reculer la part de la consommation dans le PIB, tout en plongeant l'économie dans un cycle de bulles spéculatives incessantes. " Une réévaluation massive entraînerait l'écroulement économique et imposerait des réformes structurelles, avance-t-il. Mais il vaut mieux, pour la Chine et pour le reste du monde, procéder d'abord aux réformes, et ne laisser flotter le yuan qu'après. "

Brice Pedroletti

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