La tension est à nouveau vive entre Pékin et New Delhi en raison de troubles frontaliers que montent en épingle les médias indiens. C'est dans ce contexte particulier que le chef spirituel tibétain se rend en Arunachal Pradesh.
L'armée indienne est sur le qui-vive, Pékin dénonce une provocation et le dalaï-lama officie. Depuis dimanche, le chef spirituel des Tibétains visite pour une semaine le monastère de Tawang, situé dans l'Arunachal Pradesh, une province indienne frontalière du Tibet dont la souveraineté est en partie disputée par la Chine. «Ma visite à Tawang n'est pas politique, a-t-il expliqué à son arrivée. Elle est destinée à développer la fraternité universelle et à rien d'autre.»
Vraiment? Ce déplacement s'inscrit dans un contexte de sensible dégradation des relations sino-indiennes sur fond de disputes frontalières qui masquent en réalité le choc des ambitions régionales de la part des deux pays les plus peuplés de la planète qui connaissent chacun une spectaculaire croissance économique et militaire.
Situé à 3400 mètres d'altitude, Tawang abrite le plus grand monastère du bouddhisme tibétain, Galden Namgey Lhatse, après le palais du Potala à Lhassa. C'est là que se réfugia dans un premier temps le dalaï-lama après sa fuite du Tibet sous occupation chinoise en 1959. Cette région fut également au coeur de la guerre de 1962 entre l'Inde et la Chine, qui occupa brièvement le territoire avant de se retirer. Pékin revendique toujours plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés de cette région prise en tampon entre la Chine, le Bouthan et Myanmar. Le dalaï-lama n'y était plus retourné depuis 2003, l'Inde l'en dissuadant au nom d'un réchauffement de ses relations avec la Chine qui s'est traduit par la mise en place d'une structure pour régler leur différend frontalier.
Un processus qui piétine. Le 31 octobre, à Tokyo, le dalaï-lama a de son côté, pour la première fois semble-t-il, soutenu la position de l'Inde dans ses revendications territoriales qui se basent sur le tracé de la ligne McMahon imposée en 1914 par la puissance coloniale britannique. Pékin, pour sa part, ne l'a jamais reconnue. En permettant au dalaï-lama de retourner à Tawang, New Delhi fait état de sa mauvaise humeur alors que les contentieux se multiplient.
Comment en est-on arrivé-là? Deux versions s'affrontent. D'un côté, certains médias, l'armée et les milieux nationalistes indiens soutiennent que les troupes chinoises multiplieraient ces derniers mois les provocations en franchissant la frontière. Officiellement pourtant, y compris du côté indien, on indique que rien n'a changé à la frontière. Les premiers ministres Wen Jiabao et Manmohan Singh ont tenté de désamorcer la crise lors d'une rencontre le mois dernier en marge d'une conférence asiatique. En vain.
La deuxième version, soutenue par les médias chinois mais également par certains observateurs indiens, est toute différente: l'agitation des médias indiens, en mains privées, s'expliquerait par la défense d'intérêts particuliers qui cherchent à attiser les tensions entre les deux pays pour diverses raisons. Certains y verraient l'occasion de justifier les achats d'armements américains, l'une des principales sources de financement de la corruption. D'autres espèrent renforcer le nouvel axe américano-indien en agitant le spectre d'une «menace chinoise». Qui sont ces lobbyistes? Des militaires à la retraite et des hauts fonctionnaires, accuse l'ancien ambassadeur indien M. K. Bhadrakumar dans un texte publié sur le site Asia Times.
Au-delà de ce scénario, les raisons de frictions entre les deux Etats sont toutefois bien réelles. L'Inde s'inquiète de son «encerclement» maritime par la Chine qui a des bases navales au Pakistan, au Sri Lanka et au Myanmar. La Chine s'est par ailleurs opposée à un prêt de la Banque asiatique à l'Inde pour financer un projet dans l'Arunachal Pradesh. Pékin accuse enfin New Delhi de refuser des visas à ses travailleurs.
Reste que ni la Chine ni l'Inde - qui ont vu leurs échanges économiques exploser ces dernières années - ne peut se permettre un conflit ouvert.
Frédéric Koller
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