L'année 2009 avait commencé par un cauchemar : l'économie mondiale tombant dans le vide, et nous avec. Précipités des sommets où nous avaient hissés dix ans d'une croissance exceptionnellement forte. Pas un cauchemar, juste l'effrayante réalité d'indices en chute libre, des échanges commerciaux à la production industrielle, en passant par les investissements et le moral des ménages.
Après cela, c'est forcément dans le soulagement que se termine 2009, celui d'avoir échappé miraculeusement au pire et au crash. 2009 année terrible, mais pas fatale. Seulement pour les idéologies. C'est l'action sans précédent des Etats et des banques centrales qui a permis de sauver le " système " - l'économie de marché libéralisée et mondialisée, pour faire simple -, Keynes se jetant à l'eau pour sauver Hayek de la noyade.
Il n'y a pas eu de nouvelle Grande Dépression, juste une Grande Récession. Tous les grands pays riches ont renoué avec la croissance (sauf l'Espagne et l'Angleterre, qui n'ont pas fini d'expier leurs péchés immobiliers), la Chine a réaccéléré si fort qu'elle s'apprête à ravir au Japon le rang de deuxième économie mondiale. L'heure est à la Grande Stabilisation, pour reprendre la formule de The Economist.
Mais une grande stabilisation particulièrement... instable, où la crainte de séquelles s'ajoute à l'inconnu du lendemain. Les optimistes continuent à parier sur un rebond vigoureux, les pessimistes restent convaincus de l'imminence d'une rechute, les centristes de la prévision anticipent une reprise ultramollassonne. Voilà qui n'aide pas beaucoup. Alors mieux vaut se fabriquer sa propre petite boussole pour se repérer au milieu des ruines.
A propos de ruines, il faudra suivre attentivement ce qui se passe du côté de l'Acropole, où beaucoup craignent que la pièce de théâtre sur les comptes publics qui s'y joue, aux allures de comédie, vire à la tragédie. Malgré le vote par le Parlement du budget, la défiance - de la BCE, de Bruxelles, des agences de notation, des investisseurs étrangers - à l'égard de la politique de réduction des déficits élaborée par M. Papandréou est toujours là.
Le jour de Noël, le " spread " de taux d'intérêt à dix ans entre la Grèce et l'Allemagne, pour parler comme un trader, se situait à 2,4 %. Pour parler simplement, l'emprunt d'Etat allemand offrait un rendement de 3,3 %, celui du Trésor grec de 5,7 %. Un écart déjà énorme entre deux pays possédant la même monnaie, mais qui pourrait s'élargir davantage, par exemple si la situation sociale se détériore. Au-delà de 3 %, la Grèce se retrouverait en situation de grand danger, et avec elle l'Irlande, l'Espagne et toute la zone euro.
Mais ce n'est pas là que le sort de l'économie mondiale va se décider. Chacun l'avait pressenti après les deux G20, chacun l'a définitivement compris après Copenhague, où l'Europe a été humiliée : c'est en " Chimérique " que la partie se joue. Dans ce pays imaginaire réunissant les Etats-Unis et la Chine, l'encore première et la bientôt deuxième économie mondiale. Cette " hyperhyperpuissance " de 1,7 milliard d'habitants, associant les meilleures universités de la planète aux usines les plus efficaces du monde, la Silicon Valley et la province du Guangdong, les concepteurs et les fabricants, le consommateur et le producteur, le débiteur et le créditeur. C'est en Chimérique que le taux de croissance de l'économie mondiale va se fixer et nulle part ailleurs.
Côté Chine, il faudra regarder le prix de l'immobilier dans les grandes villes. A Shenzhen, la valeur des appartements anciens a grimpé de 21 % en un an. Cela commence à sentir fort la bulle spéculative et à nourrir le soupçon selon lequel une bonne partie des 10 % de croissance est aussi artificielle que malsaine. Gavée au crédit, certes garanti 100 % communiste, mais gavée au crédit tout de même.
Côté Amérique, il faudra guetter, le premier vendredi de chaque mois, les statistiques du chômage, dont le taux est passé de 5 % à 10 % depuis le début de la crise. Une reprise sans emplois, ce que beaucoup d'experts redoutent, signifierait une reprise sans consommation. Et il n'y a guère que quelques esprits sans doute très purs mais aussi très illuminés pour penser que l'économie mondiale est aujourd'hui en mesure de se passer du consommateur américain.
Il faudra surtout surveiller d'extrêmement près le taux des Treasury Bonds - les emprunts du Trésor américain. Le roi des indicateurs, dont le niveau résume à lui seul tous les grands problèmes de l'économie mondiale : les risques inflationnistes, la solidité des banques, la solvabilité des Etats, les relations entre Washington et Pékin, le niveau du dollar, etc. Et dont l'évolution décidera de presque tout. Que le rendement des T-Bonds se maintienne à un bas niveau, et tous les espoirs seront permis. Qu'au contraire il s'envole et la plupart des pays industrialisés auront le plus grand mal à boucler leurs fins de mois, les entreprises à investir, les ménages à acheter leur maison.
A Washington, Athènes et ailleurs, l'année 2010 sera celle du marché obligataire, celle aussi de sa toute-puissance. " Autrefois j'aurais aimé être réincarné en président des Etats-Unis, en pape ou en champion de baseball, avait un jour confié James Carville, l'ancien directeur de campagne de Bill Clinton, mais désormais je voudrais revenir en marché obligataire. Comme ça, on peut intimider tout le monde. " Ce n'est pas M. Papandréou qui dira le contraire.
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