mercredi 16 décembre 2009

COPENHAGUE - La Chine et l'Inde feront-elles un pas de plus? - Philippe Thalmann

Le Temps - Eclairages, mercredi, 16 décembre 2009

Les grands pays développés et émergents ont un rôle clé dans la lutte contre le réchauffement. Or, la
Chine et l'Inde, en pleine expansion, résistent à l'idée de plafonner leurs émissions de CO2. A long terme, l'innovation technologique peut s'avérer secourable, à condition d'investir.

Selon les paramètres centraux des modèles des climatologues, la concentration de gaz à effet de serre dans l'atmosphère ne devrait plus augmenter que de quelque 10% par rapport à la concentration actuelle jusqu'à la fin du siècle si nous voulons avoir une chance raisonnable que la température moyenne du globe n'augmente pas de plus de 2°C par rapport à l'ère préindustrielle, le seuil au-delà duquel le risque d'impacts majeurs dus aux changements climatiques devient important. Avec les émissions globales actuelles et à plus forte raison si elles continuent d'augmenter, ce but ne sera de loin pas atteint. Il faut donc que les émissions diminuent rapidement, pour être au moins 30% plus faibles qu'aujourd'hui en 2050 et au moins 65% plus faibles en 2100. Plus on tarde à entamer la baisse et plus il faudra diminuer les émissions par la suite, ou alors la probabilité de dépasser les 2°C et de subir des dérèglements majeurs du climat augmente toujours plus.

Une diminution globale des émissions de gaz à effet de serre ne sera pas possible si les grands pays émetteurs comme les Etats-Unis, le Canada, le Brésil, l'Inde et la Chine n'y contribuent pas. Le cas de ces deux derniers est particulièrement intéressant parce que ce sont deux pays qui sont sur le chemin d'une croissance économique rapide, ce qu'on leur souhaite a priori afin que leurs populations puissent rejoindre les niveaux de sécurité matérielle des pays avancés. Malheureusement, cette croissance rapide s'accompagne d'une croissance presque aussi rapide de leurs émissions de gaz à effet de serre, et vu la taille de ces populations, cela concerne le monde entier. Si ces deux pays ne commencent pas au plus tard vers 2015-2020 à réduire significativement leurs émissions, l'objectif des 2 degrés devient illusoire.

Le raisonnement appliqué à ces deux pays s'applique de façon plus générale à tous les grands émetteurs. Ainsi, l'objectif des 2 degrés est aussi illusoire si on limite la réduction des émissions au secteur, certes particulièrement important, de la production d'électricité. Il faut également des innovations technologiques majeures dans les autres secteurs utilisant des énergies fossiles et émettant des gaz à effet de serre pour qu'un tel objectif soit atteignable. Cela ne se fera donc pas sans coûts. Nous les avons estimés à l'équivalent de 1,3% du PIB mondial en moyenne chaque année jusqu'en 2100. Une somme colossale en francs, mais pas si grande en pour-cent, surtout si l'on pense que le PIB mondial pourrait croître de 6,5% par an sur cette période.

L'innovation technologique peut jouer un rôle essentiel. Mais pour cela il faut qu'il y ait innovation, ce qui nécessite encore des investissements importants dans la recherche et le développement. Or, les fonds investis dans la R & D dans le domaine de l'énergie ont fortement diminué depuis 1980 et seule une petite partie de ce qui reste est consacrée aux énergies à faible teneur en carbone. De plus, il faudrait massivement transférer aux pays émergents les technologies «propres» qui existent déjà, mais les principaux canaux de ces transferts, les investissements directs et le mécanisme de développement propre, ont très peu fait pour cela. Les investissements directs sont même en train de diminuer depuis 2007.

Cette frilosité s'explique notamment par le souci de la protection de la propriété intellectuelle. Les entreprises qui ont développé à grands frais des solutions énergétiques innovantes hésitent naturellement à les transférer dans des pays où le risque est élevé qu'elles soient copiées et commercialisées par des concurrents. Les pays émergents font pression pour de tels transferts de technologie, de préférence gratuitement, sans engager autant d'efforts pour garantir la propriété intellectuelle, ce qui constitue une pierre d'achoppement majeure dans les négociations sur le climat. Heureusement, la position de la Chine est en train de changer, ce pays devenant lui-même un producteur et exportateur important de technologies. Elle pourrait même devenir un intermédiaire précieux pour le transfert de technologies bon marché vers les pays les moins avancés. Il faut absolument qu'une solution soit trouvée dans ce domaine pour un accord climatique effectif.

Les chances sont bonnes car les accords technologiques ont un grand avantage psychologique sur les accords de réduction des émissions. Ils véhiculent une image positive d'innovation, de potentiels industriels, de développement et de croissance, alors qu'on n'associe souvent que contraintes et coûts à la réduction des émissions. De plus, les pays industrialisés et émergents sont beaucoup plus proches en termes de technologies qu'en termes de revenus.

Pourtant, tout miser sur les technologies est risqué. Aucune incitation à adopter les nouvelles technologies n'est donnée. L'accent est mis sur le long terme, alors qu'il existe beaucoup de possibilités de réduire les émissions à court terme. Transférer des plans ou des appareils sophistiqués dans les pays en développement ne servirait à rien si les conditions-cadres ne sont pas favorables à l'utilisation de ces technologies et s'il n'y a pas assez de compétences locales pour les mettre en oeuvre et les entretenir. Enfin, le risque est grand de miser sur le mauvais cheval lorsque les autorités politiques se mettent à définir les priorités technologiques.

Il est bien connu qu'un marché mondial des droits d'émissions de CO2 serait la solution la moins coûteuse pour une réduction globale des émissions. Nous avons estimé que l'humanité dispose d'un «budget» de 520 gigatonnes de carbone à émettre au plus entre 2005 et 2050 pour ne pas dépasser la cible des 2 degrés. Ce budget correspond à autant de droits d'émissions qui pourraient être répartis entre tous les pays du monde. Il est alors facile de privilégier les pays qui le méritent parce qu'ils ont encore très peu contribué à l'accumulation de gaz à effet de serre ou parce qu'ils ont un grand retard de développement. Il suffit de leur attribuer une part disproportionnée de droits d'émissions, qu'ils peuvent ensuite vendre s'ils ne les utilisent pas.

Nos calculs ont permis de trouver une allocation de ce budget total qui puisse conduire à un accord acceptable et stable, au sens où tous les groupes de pays le signent et s'y tiennent. Cet accord attribue 17% au groupe USA-Canada-Australie, 9% à l'UE avec les autres pays industrialisés, 44% aux pays émergents dont la Chine, et 30% aux pays en développement dont l'Inde. Cette allocation tient compte de la dépendance de chaque groupe aux énergies fossiles, des pertes de revenus dues à la diminution de l'utilisation de ces énergies ainsi que de la démographie. Il amènerait les pays à rapprocher leurs niveaux d'émissions par tête.

La Chine et l'Inde sont particulièrement réticentes au principe de plafonds aux émissions et à la mise en place d'un tel marché. Les autorités chinoises, encore habituées à la planification technologique, sont très sceptiques à l'égard des instruments de marché. Une première étape serait donc de convaincre ces deux immenses pays très hétérogènes de mettre en place chacune son marché domestique de droits d'émissions. Cela leur permettrait de faire l'apprentissage de cet instrument et d'en découvrir les avantages.

On le voit, l'urgence climatique se heurte aux temps longs du changement des habitudes et des négociations. Les innombrables échanges internationaux ont une grande valeur pédagogique, qui doit consoler ceux qui désespèrent de voir les pays adopter des engagements conformes à leurs responsabilités et aux menaces identifiées par le monde scientifique.

PHOTO - Reuters Pictures - People walk past a globe with an interactive display, as Danish police officer stand guard, at the townhall square in central Copenhagen December 15, 2009. Copenhagen is the host city for the United Nations Climate Change Conference 2009, which lasts from December 7 until December 18.

© 2009 Le Temps SA. Tous droits réservés.

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1 commentaires:

zorro a dit…

Au fond, ici, chacun continue son petit jeu personnel. Des pays parlent de principes. À côté, d’autres pays sont déjà dans l’action pour lutter contre le changement climatique. C’est le cas des Européens