La crise a-t-elle redistribué les cartes dans la concurrence internationale en matière de coût du travail ?
C'est trop tôt pour le dire. La Chine, avec un fort programme de soutien à la demande axée sur les investissements publics, a rapidement redémarré sa croissance. Les mesures adoptées pour soutenir la demande interne ont déjà donné leurs premiers fruits. Le marché intérieur chinois absorbe une partie de plus en plus importante de la production. Dans les campagnes, les travailleurs chinois avaient bénéficié d'un certain rattrapage salarial jusqu'en 2007. Il y a actuellement beaucoup d'ajustements liés aux mouvements des travailleurs entre les villes et les provinces. L'ampleur des changements pourrait être spectaculaire.
Quel est, de façon plus générale, l'impact de la globalisation sur les salaires et l'emploi ?
Les BRIC - Brésil, Russie, Inde, Chine - représentent aujourd'hui 45 % de l'offre de main-d'oeuvre mondiale contre moins de 20 % pour les trente pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
L'intégration rapide dans l'économie mondiale de grands pays à bas salaires comme la Chine, l'Inde et le Brésil, a accru la concurrence sur les activités à bas salaires, et donc la pression en faveur de la modération salariale, ainsi que l'incertitude sur la stabilité des emplois eux-mêmes.
Il y a deux phénomènes cumulés : les délocalisations ont rendu les postes des travailleurs faiblement qualifiés fragiles, et la concurrence internationale a favorisé la modération salariale.
Au total, au nom de la compétitivité des entreprises des pays occidentaux vis-à-vis des pays émergents, l'incitation à la modération salariale a fortement augmenté. Et la part des salaires dans la valeur ajoutée est en diminution dans beaucoup de pays de l'OCDE depuis 1980.
Cela signifie-t-il que la mondialisation tire les salaires vers le bas ?
Non. Elle améliore les échanges mondiaux et soutient la croissance. Il y a une meilleure allocation des facteurs de production dont peuvent bénéficier les travailleurs. Les politiques sociales axées sur l'emploi peuvent soutenir la sécurité des revenus des travailleurs.
En revanche, on constate une disparité croissante des niveaux de salaires à l'intérieur des pays. En effet, la mondialisation s'est accompagnée de changements technologiques importants. Dans les pays développés, les travailleurs faiblement qualifiés ont vu leur salaire augmenter très peu, tandis que les plus qualifiés ont bénéficié de la globalisation et des changements technologiques, à la fois en termes de salaire, de stabilité et de perspective d'emploi. Certains payent donc le " coût " de cette mondialisation à changements technologiques rapides. La globalisation, par le biais des délocalisations, contribue à un déplacement de la demande de main-d'oeuvre, qui joue contre les travailleurs peu qualifiés et accentue les inégalités de revenus.
Dans une récente étude, l'OCDE constate que les coûts unitaires de main-d'oeuvre ont augmenté en 2009 dans les pays membres de l'organisation. S'agit-il d'une hausse du coût total du travail ?
Non. C'est un phénomène récent lié en partie aux ajustements des entreprises face à la crise : elles n'ont en effet pas entièrement répercuté la baisse de la production sur leurs effectifs. La productivité a donc baissé et le coût unitaire du travail a mécaniquement augmenté. Le coût total du travail suit quant à lui le niveau de salaire, qui a évolué différemment selon les pays depuis le début de la crise.
Quelle est l'évolution du coût du travail attendue à court terme ?
Les Etats et les entreprises ont parié sur la reprise économique. Si la reprise est lente, il y aura probablement à court terme des négociations salariales favorables à une modération, car les entreprises, pour sauvegarder l'emploi pendant la chute de la demande, ont déjà vu leur productivité baisser.
Propos recueillis par Anne Rodier
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