Les ambitions de Shanghai excitent les esprits. Le gouvernement a officiellement annoncé, en avril 2009, son objectif consistant à faire de Shanghai la grande place financière internationale du pays. Les enjeux sont immenses, d'abord pour l'industrie financière mondiale, tous les grands acteurs y prennent leurs marques ; ils sont aussi de nature macroéconomique et politique. L'avenir de la monnaie chinoise, son éventuelle convertibilité, sa possible accession, à un horizon plus éloigné, au statut de monnaie de réserve internationale dépendent au premier chef du développement d'une grande place financière mondiale. Cela peut-il intervenir, comme l'affirme la déclaration gouvernementale, dès 2020 ?
Face au Bund, les gratte-ciel qui se dressent en masse à Pudong ne peuvent qu'impressionner. Mais la réalité financière d'aujourd'hui invite à faire preuve de prudence tant le chemin à parcourir semble important. D'abord les hommes : malgré d'excellentes formations, il est clair que Shanghai est très loin de receler les compétences que l'on s'attend à trouver dans les activités de marché typiques d'une grande place financière comme à Hong Kong. Ensuite, la fiscalité, qui joue, comme on sait, un rôle important pour attirer et conserver les « talents » : le taux marginal de l'impôt sur le revenu est actuellement de 40 % à Shanghai, de 10 % à Hong Kong. Enfin, les capitaux, qui circulent largement en dehors de Shanghai, ils sont à Pékin pour les grandes institutions bancaires publiques et, pour les patrimoines privés, passent par Hong Kong. Bref, Shanghai paraît coincée entre Pékin, où se concentrent les régulateurs et qui a, sur le plan politique, repris en main une municipalité indisciplinée et corrompue, et Hong Kong, dont la vitalité persistante et prometteuse a été récemment illustrée par la décision du CEO de HSBC, Hong Kong and Shanghai Bank, de s'y installer. Alors, la cause est-elle entendue, Shanghai-2020, ne serait-ce qu'un trompe-l'oeil ?
Certainement pas. Mais il faut adopter un point de vue un peu différent et renoncer en particulier à l'idée que la création d'« une place financière de niveau international » viserait à créer une sorte d'avatar de la City. Vu de Pékin, la prééminence financière de Londres s'est accompagnée, pour la Grande-Bretagne, d'une sorte de désastre industriel. Et c'est une ambition bien différente qui anime la Chine, elle consiste plutôt à amplifier les succès déjà acquis en se fondant principalement sur le développement de l'économie dite « réelle ». Ce qui est fondamentalement en jeu à Shanghai, c'est l'avenir industriel du pays, la promotion d'activités à plus forte valeur ajoutée et la délocalisation, vers l'intérieur du pays, des activités traditionnelles à bas coûts de main-d'oeuvre.
Pour qu'une telle stratégie réussisse, il faut - et les dirigeants chinois en sont très conscients - réunir tous les ingrédients, la formation et la recherche, le shipping et la logistique, les services sophistiqués qu'exige cette montée en puissance. Voilà où intervient la place financière parce que, dans cette transition, la Chine, et Shanghai en particulier, seront confrontées à deux défis : un, l'allocation du capital va soulever des questions inédites que les techniques actuellement utilisées ne permettront absolument pas de traiter, ce que le récent plan de relance a confirmé en montrant que seuls les instruments publics les plus traditionnels étaient disponibles ; deux, la compétition internationale, dès lors que les producteurs chinois, quittant le seul terrain des biens de consommation courants, se préparent à faire face aux industriels les plus sophistiqués de la planète, cela ne se fera pas sans le concours qu'apporte les instruments financiers les plus modernes.
Bien sûr, Shanghai n'est pas seule, la Chine est suffisamment grande pour abriter plusieurs régions capables de mener cette stratégie, dans le Sud ou dans le Nord-Est en particulier. Mais dans cette perspective, Shanghai retrouve ses avantages comparatifs : ses infrastructures, son ouverture à l'international, le lien avec l'arrière-pays, en particulier avec Taiwan, qui va peser lourd. Bref, Shanghai ne dupliquera pas Hong Kong mais elle n'a pas fini de nous surprendre : Shanghai accueillera en 2010 l'exposition universelle et ce sera la première, depuis 151 ans, à ne pas se tenir dans un pays anciennement industrialisé !
JACQUES MISTRAL EST DIRECTEUR DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES À L'IFRI.
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