dimanche 6 décembre 2009

Pékin inquiet de la stratégie américaine en Afghanistan - Bruno Philip

Le Monde - International, samedi, 5 décembre 2009, p. 8

Les autorités chinoises estiment que les renforts américains pourraient déstabiliser la région.

Pour la Chine, la présence de troupes américaines (ou étrangères) sur ses frontières est un motif constant d'irritation. L'une des raisons pour lesquelles Pékin est soucieux de contribuer à assurer la stabilité du régime de Pyongyang s'explique en grande partie par le fait qu'un écroulement de ce dernier, et la réunification de la péninsule coréenne qui pourrait s'ensuivre, reviendrait à ce que les troupes des Etats-Unis actuellement stationnées en Corée du Sud soient au contact direct de la Chine.

La guerre menée en Afghanistan s'inscrit dans le même registre. Il n'est pas étonnant, dans un tel contexte, que la décision de Barack Obama de renforcer les effectifs du contingent américain provoque à Pékin des réactions mitigées. Les avis des experts sont cependant partagés : certains estiment que la décision américaine pourrait contribuer indirectement à la lutte, en Chine, contre les « séparatistes » ouïgours au Xinjiang. Qi Huaiguo, professeur de relations internationales à l'université Fudan de Shanghaï estime que la décision du président américain de se donner des moyens militaires accrus pour combattre Al-Qaida et les talibans « permettra à la Chine de s'assurer d'un environnement plus sûr à sa frontière occidentale ».

La Chine affirme que le Mouvement islamique du Turkestan oriental (ETIM), un groupe armé radical de type djihadiste, continue à mener des opérations en vue de provoquer la sécession du Xinjiang, même si de nombreux experts étrangers remarquent que cette organisation semble aujourd'hui très affaiblie depuis la mort au combat, en 2003, dans le Sud Waziristan pakistanais, de son chef, Hassan Mahsum.

De mystérieux attentats qui ont eu lieu dans la région « autonome » ouïgoure en 2008 ne suffisent pas, ajoutent ces mêmes experts, à démontrer qu'il y a un regain de l'activité islamiste et indépendantiste dans la région. Le Xinjiang reste cependant un motif d'inquiétude pour Pékin, notamment depuis les violentes émeutes intercommunautaires qui ont ensanglanté la capitale, Urumqi, peuplée majoritairement de Hans, en juillet.

Plus de résistance

La réaction officielle du ministère des affaires étrangères à l'annonce de renforts américains en Afghanistan a été des plus prudentes : « Nous espérons que l'indépendance, la souveraineté et l'intégrité territoriale des pays en question seront pleinement respectées », a déclaré le porte-parole Qin Gang. Une formule consacrée en phase avec le concept chinois traditionnel de « non-ingérence » dans les affaires intérieures du voisin, et qui cache mal l'irritation de Pékin, pour qui la perspective d'un possible enlisement américain en Afghanistan n'a rien d'une bonne nouvelle.

« Le plan d'Obama pourrait bien conduire les talibans à venir se réfugier en Chine », redoute Li Qingdong, secrétaire général adjoint du Conseil chinois pour les études de politique de sécurité nationale. « En outre, nos importants projets [économiques] en Afghanistan pourraient en pâtir », ajoute-t-il. Récemment, le ministre afghan des mines, Muhammad Ibrahim Adel, a révélé dans un entretien au quotidien britannique The Daily Telegraph que les investissements chinois dans la mine d'Aymak (3,5 milliards de dollars) pourraient tripler les revenus du gouvernement de Kaboul d'ici à cinq ans.

D'autres experts s'inquiètent également du fait que l'intensification des combats chez ce voisin afghan, avec lequel la Chine partage une frontière courte mais stratégique à très haute altitude - sur les solitudes glacées du Pamir -, ne constitue pour Pékin une pression militaire supplémentaire sur ces marches déjà instables. Le professeur Shi Yinhong, spécialiste des questions de politique américaine à l'Université du peuple de Pékin, estime que « l'implication croissante des militaires américains dans le bourbier afghan aura probablement pour conséquence, entre autres, de provoquer plus de résistance chez les combattants islamistes de la région, voire de les pousser à élargir leur champ d'activité. »

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1 commentaires:

Tietie007 a dit…

Depuis 2002, les relations commerciales, sous l'impulsion de l'OCS, entre la Chine et les pays d'asie centrale sont passées de 1 à 13 milliards de $ ! Les chinois, pour alimenter leur colossale croissance, investissent à fond dans les pays de l'ex-CEI, que ça soit au Turkmenistan, pour faire venir le gaz par un gazoduc long de 7 000 km, dans le port de Gwadar, au Balouchistan ou en Afghanistan, en exploitant la mine d'Aymak !