Au nord de la province côtière du Guangdong, la ville de Shaoguan ne connaît pas le sort des cités exportatrices de Shenzhen ou de Dongguan, touchées de plein fouet par la chute de la demande mondiale. La ville préfecture a vu ces toutes dernières années sa périphérie semi-rurale se couvrir de parcs industriels : celui de la Xuri Toy Factory, l'un des plus gros sous-traitants mondiaux de l'industrie du jouet, est flambant neuf. Près de 18 000 ouvriers y travaillent. Une véritable ville.
Le groupe hongkongais a délocalisé ici une partie de la production de ses usines de Shenzhen : " Le patron est malin. Il y a bien moins de taxes dans les villes de l'intérieur, et les salaires sont moins élevés. Nous faisons ici les heures supplémentaires qu'ils ne font plus à Shenzhen ", dit un ouvrier d'une trentaine d'années. Il vient du chapelet de villages et de bourgs regroupant deux millions de ruraux qui entourent la ville, de presque un million d'habitants.
Nombre de ruraux se sont longtemps employés dans les zones de forte croissance le long des côtes. C'est moins le cas aujourd'hui : Qun Fashen et Liu Lilai, frère et soeur d'une vingtaine d'années tout juste embauchés, viennent du comté rural de Renhua, à plusieurs heures de bus. Ils logent en dortoir, mais rentrent dans leur famille le week-end. Ils n'ont aucune envie, disent-ils, d'aller à Shenzhen ou à Dongguan, qui leur font peur, avec leur brassage permanent de millions de nouveaux venus. Ce qu'ils font de leur argent ? " Moi, je dépense, dit Liu Lilai. Nous, les jeunes, on n'est pas comme nos parents. "
" Réserve de croissance "
Nouvelles configurations urbaines et industrielles, nouveaux modes de vie et de développement, la Chine de l'intérieur change. Shaoguan, avec son paysage de collines et ses sites bouddhistes, est sur le passage du train à grande vitesse qui relie Canton à Wuhan et Pékin, qui sera inauguré à la fin du mois. Ce qui la place à environ quarante-cinq minutes de Canton, contre près de trois heures auparavant, lui ouvrant de nouveaux débouchés commerciaux et touristiques. L'immobilier s'envole.
Comme Shaoguan, les villes de troisième voire quatrième catégorie commencent à décoller, dans le sillage des villes de seconde catégorie, déjà parvenues à un niveau élevé de prospérité, telles que Chengdu, Wuhan, ou Changsha, capitales des provinces de l'intérieur. Ou encore Dalian, Hangzhou, ou Ningbo, pôles secondaires ultra-dynamiques de provinces côtières.
" L'amélioration du réseau routier et le train à grande vitesse font venir les promoteurs, les industriels, la grande distribution, puis le luxe. A leur tour, ces pôles que sont les villes secondaires diffusent vers des villes de moindre importance. En grillant des étapes : les villes secondaires puis tertiaires s'enrichissent de l'expérience de leurs aînées et bénéficient de modèles modernes de distribution déjà éprouvés sur le marché chinois et qui lui sont adaptés. Même chose pour les modes de consommation. Ce qui a pris des années à Shanghaï ou Pékin se fait naturellement car les gens en ont déjà fait l'apprentissage en voyageant, en regardant la télévision ", constate Marie-Chantal Piques, qui a coordonné pour les Missions économiques-Ubifrance un rapport récent sur la distribution dans les villes secondaires de Chine. Signe que la mondialisation de la Chine la transforme en profondeur, les professionnels du marketing explorent des endroits encore plus reculés que Shaoguan.
Chargé d'étudier les tendances futures de la consommation en Chine pour Ogilvy à Shanghaï, l'Indien Kunal Sinha a lancé ses équipes à la découverte du potentiel de consommation dans les villes de la 4e à la 6e catégorie. Celles où les marques internationales et même nationales, dit-il, sont moins nombreuses que les marques locales parmi le top ten des consommateurs interrogés. " Notre prospection a commencé juste avant la crise. Aujourd'hui, tout le monde veut savoir où se trouve la prochaine réserve de croissance ", dit-il.
Brice Pedroletti
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