lundi 21 décembre 2009

La Chine se prépare à accueillir des millions de nouveaux citadins - Brice Pedroletti

Le Monde - Economie, mardi, 22 décembre 2009, p. MDE1

Chaque mois de décembre, se tient à Pékin un conciliabule de la plus haute importance pour l'économie chinoise, la Conférence centrale sur les travaux économiques. Rassemblant, du 5 au 7 décembre, les plus hauts dirigeants du parti, elle a défini les orientations de l'année à venir.

Prenant acte de l'impérieuse nécessité pour la Chine de changer de modèle économique, ceux-ci ont insisté sur le développement des petites et moyennes villes : il s'agira " d'encourager les paysans à rejoindre ces villes en assouplissant le régime du hukou ", le permis de résidence qui maintient chaque Chinois dans la catégorie d'" urbain " ou de " rural ", avec peu d'espoir de changement.

En s'urbanisant, les ruraux accèdent à toutes sortes d'avantages sociaux qui peuvent libérer leur capacité à consommer, ainsi qu'à une propriété aliénable : les paysans, eux, ne peuvent vendre leur terrain, qui appartient à la collectivité.

Aujourd'hui, 46 % seulement de la population est classée comme " urbaine ", soit 600 millions de personnes - même si une partie des 700 millions de ruraux habite déjà, en réalité, dans des quasi-villes. Les revenus et les dépenses des " urbains " sont plus de trois fois supérieurs, en moyenne, à ceux des " ruraux ".

L'idée d'une réforme du hukou n'est pas nouvelle : c'est un peu l'Arlésienne de la politique économique chinoise. Trop sensible et lourde de conséquences pour être jamais entreprise. Mais cette fois, se félicitent les économistes chinois, elle intervient dans un environnement favorable : la crise requiert une rupture.

" Changer maintenant correspond au projet d'ajustement du modèle de croissance chinois mené par le gouvernement... L'urbanisation est l'un des ajustements structurels destinés à réduire la dépendance de la Chine envers la demande extérieure ",souligne Yao Yang, un chercheur du China Center for Economic Research dans un long article publié sur la fin du hukou par le China Daily du 16 décembre.

En outre, il s'agit de profiter du boom sans précédent qui touche des villes de seconde, mais aussi troisième ou quatrième catégories, imperméables à la crise et grandes bénéficiaires du plan de relance chinois. Au point que s'ébaucherait déjà le rééquilibrage tant attendu du modèle économique chinois, qui déplacerait la croissance plus loin des côtes, où sont les ports, à mesure que le marché intérieur prend le pas sur les débouchés extérieurs.

Plusieurs phénomènes alimentent cette évolution : le développement accéléré des infrastructures du pays reproduit, dans un délai plus court, le modèle de conurbation mi-planifié, mi-anarchique qui a pris forme ces dix dernières années dans les régions les plus avancées économiquement (hinterland de Canton et Shanghaï). Toutes sortes d'agglomérations, grandes et moyennes, se dotent de villes nouvelles. Les grands pôles sont désormais reliés par des trains à grande vitesse. L'arrivée de la grande distribution fait basculer de plus en plus d'habitants dans des modes de consommation qui leur étaient jusqu'alors étrangers.

Demande fantasmée

La spectaculaire montée en puissance des capacités logistiques, couplée à des politiques fiscales préférentielles et une main-d'oeuvre meilleur marché (jusqu'à 50 % moins chère), attirent les usines vers l'intérieur. Comme le ralentissement de fin 2008 a poussé une partie des travailleurs migrants à rentrer dans leurs régions d'origine, certains y restent pour un salaire certes moindre, mais avec l'assurance d'avoir une vie de famille.

Cette dynamique d'urbanisation reste cependant pour l'instant bien insuffisante pour désintoxiquer la Chine de sa dépendance aux investissements productifs et aux exportations : en 2009, la part de la consommation dans le produit intérieur brut (PIB) a encore reculé, tout comme les revenus des ménages. Et les surcapacités sont patentes dans 21 secteurs industriels.

La perspective de la migration vers les villes de plusieurs centaines de millions de paysans a même préparé les bulles de demain, en substituant à la demande réelle une demande fantasmée, dont s'enivrent les industries de la construction et leurs relais politiques : toujours plus de tours de bureaux, de barres de logements et de parcs industriels ne valent que s'ils trouvent preneurs dans un délai tenable. Or, beaucoup sont vides et pourraient le rester.

Selon la version 2009 du Rapport sur le développement urbain en Chine réalisé par l'Académie des sciences sociales, les villes chinoises se sont agrandies de 70 % en superficie de 2001 à 2007, mais n'ont vu leur population urbaine croître que de 30 %, signe que le mitage urbain devance l'installation de la population dans les villes.

Et pour cause, le modèle économique de l'atelier du monde repose en grande partie sur la mise au travail de paysans migrants qui, devenus ouvriers ou employés, ne résident dans les villes que de manière temporaire, souvent dans des dortoirs, et ne consomment que le strict minimum en vue d'accumuler de l'argent qu'ils renvoient au reste de la famille.

Comment les urbaniser sans perdre l'avantage comparatif qu'ils procurent ? Comment forcer les villes à ouvrir un numerus clausus auquel tiennent jalousement leurs résidents (Shanghaï, par exemple, a annoncé de nouvelles règles, censées être plus souples, pour l'octroi de son hukou... avant de s'apercevoir que seules 3 000 personnes étaient éligibles).

Pour l'économiste Lu Ming, du département de recherche sur l'emploi et la sécurité sociale de l'université de Fudan à Shanghaï, la stratégie du gouvernement était jusqu'à maintenant de préférer les transferts d'argent aux transferts de résidence : " On use de politiques fiscales, de subventions du gouvernement central pour dévier les investissements vers des régions plus pauvres et tenter de résorber les disparités régionales. " Avec, selon lui, une efficacité toute relative : le boom de certaines régions intérieures tient plus du " coup de fouet ". " Cela risque d'être un phénomène de court terme. Si la reprise se confirme, les provinces côtières vont rebondir et peut-être croître plus vite. " Les investisseurs peuvent aussi partir au Vietnam, par exemple.

En réalité, soutient-il, les disparités d'échelle entre les villes en Chine sont plus faibles qu'ailleurs : Shanghaï doit pouvoir grossir bien davantage en population (6 de ses 19 millions d'habitants n'ont pas le statut de résident). Tout comme les capitales de province. Or, les villes les plus riches sont contraintes par la raréfaction du quota de terres constructibles.

La solution, selon lui, est de permettre aux ménages ruraux non pas de vendre leurs terres (c'est politiquement risqué, et pas forcément rentable), mais de les doter d'un " quota de terre " qu'ils pourraient céder à la ville qui les accueille, en échange d'un " package de résidence " (un hukou urbain et des avantages sociaux). Pour consommer davantage, les Chinois doivent s'urbaniser plus vite... encore faut-il savoir comment.

Brice Pedroletti

Pour affranchir la croissance chinoise de sa dépendance aux exportations, Pékin souhaite développer les villes de l'intérieur du pays. L'urbanisation, au coeur des débats économiques.

PHOTO - Reuters - Migrant workers walk on a bridge as they leave a train station upon their arrival in Dongguan in China's southern Guangdong province after spending their Lunar New Year holidays in their hometowns in the north February 3, 2009. Millions of migrant workers may be out of a job and China's once booming economy may be locked in a downward spiral as the global economic crisis bites.

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