La Suisse accueillera-t-elle un deuxième voire un troisième ex-prisonnier? L'affaire se complique. Certains cantons accusent Berne d'un manque d'information.
La Suisse accueillera-t-elle un deuxième, voire un troisième ex-détenu de Guantanamo? L'affaire complique fortement les relations entre la Confédération et les cantons. Elle vient de connaître un nouveau rebondissement jeudi, avec l'annonce, par le canton du Jura, de sa disponibilité à ce sujet.
Charles Juillard, le ministre jurassien responsable de la Justice, a failli s'étrangler en apprenant que Genève accueillera un ex-détenu de Guantanamo. Le démocrate-chrétien a particulièrement peu goûté les déclarations d'Eveline Widmer-Schlumpf, selon qui seul Genève aurait répondu positivement aux appels de la Confédération concernant l'accueil éventuel d'un ex-prisonnier. Car le Jura, affirme Charles Juillard, aurait formulé il y a plusieurs mois déjà sa disponibilité à ce propos. «Or, la Confédération ne nous a jamais fait parvenir de demande officielle», dit-il. Du coup, le ministre PDC, résolu à prendre le taureau par les cornes, a envoyé jeudi matin un fax à Eveline Widmer-Schlumpf afin de réitérer son offre, mais par écrit cette fois-ci...
Les autorités fédérales ont-elles insuffisamment sondé les cantons sur leur envie d'accueillir un réfugié de Guantanamo? Surtout, le Conseil fédéral a-t-il vraiment intérêt, en fin de compte, à ce que la Suisse reçoive des ex-prisonniers supplémentaires, sachant que ces derniers seront forcément de nationalité ouïgoure? Il semblerait que non.
Mercredi, Eveline Widmer-Schlumpf n'excluait pas la venue, à l'avenir, d'autres réfugiés que l'Ouzbek. Parmi la longue liste de détenus transmis par les Etats-Unis, quatre personnes ont été examinées, en août, par une délégation helvétique à Guantanamo. Et trois d'entre elles, a indiqué la Grisonne, répondaient aux critères d'accueil posés par la Suisse: l'Ouzbek, apparemment considéré comme un «risque moyen», ainsi que deux Ouïgours (musulmans chinois) classés «risques faibles». Le canton de Genève s'est finalement décidé pour le réfugié ouzbek, apparemment né à Tachkent en 1974, selon le site internet du Tages-Anzeiger. Quant à une éventuelle venue ultérieure des deux Ouïgours en Suisse, a encore noté Eveline Widmer-Schlumpf, tout dépend de la disponibilité des cantons.
Or, il n'est pas certain que la conseillère fédérale responsable de la Justice souhaite vraiment que les cantons fassent preuve de bienveillance envers les deux Ouïgours. «On peut se demander, lâche un observateur, si le Jura ne met pas les pieds dans le plat.» La nationalité des deux Ouïgours semble effectivement avoir joué en leur défaveur, à l'heure où Berne et Pékin s'approchent de l'ouverture de négociations en vue de la conclusion d'un éventuel accord de libre-échange (LT du 17.12.2009).
Le 22 novembre déjà, la SonntagsZeitung révélait que la ministre de l'Economie, Doris Leuthard, avait mis en garde ses collègues du Conseil fédéral sur le risque de froisser la Chine en accueillant un Ouïgour en Suisse. Certaines sources confirment en outre que Doris Leuthard serait également intervenue auprès des cantons. Voilà qui pourrait expliquer le poker menteur auquel se livrent la Confédération et les cantons depuis deux jours autour de l'éventuel «bug» de communication pointé notamment par le Jura.
A ce propos, un autre ministre cantonal renchérit: «Il n'y a effectivement pas eu de demande officielle écrite de la Confédération à tous les cantons. Ce qui est étrange, au vu du nombre de courriers que l'on reçoit toujours de Berne. Et encore plus étrange, si l'on se souvient que la Suisse évoquait la venue de deux ou trois ex-détenus. J'imagine que seuls certains cantons, dont Genève, ont été consultés par Eveline Widmer-Schlumpf ou Micheline Calmy-Rey.»
Le secrétaire général de la Conférence des directeurs cantonaux de Justice et police, Roger Schneeberger, qui a d'ailleurs représenté les cantons dans le groupe de travail Guantanamo de la Confédération, ne partage pas cet avis. «Les cantons n'ont pas été mal informés. Au mois d'avril, Eveline Widmer-Schlumpf a assisté à une réunion plénière des ministres cantonaux de la Justice. Elle a clairement répété à cette occasion que la Confédération cherchait des cantons disposés à accueillir des ex-prisonniers.»
Le Jura ou d'autres cantons recevront-ils à leur tour un réfugié de Guantanamo, ouïgour cette fois-ci? C'est loin d'être sûr. En insistant sur le fait que tout nouvel accueil dépendra de la bonne volonté des cantons, Eveline Widmer-Schlumpf a certainement compliqué la donne.
Valentine Zubler
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