dimanche 6 décembre 2009

VIDÉO EN INTÉGRALITÉ - Apocalypse, la 2e Guerre Mondiale


Apocalypse - La 2e Guerre Mondiale - Coffret Daniel Costelle et Isabelle Clarke.
Ce documentaire retrace en six épisodes l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, avec des documents inédits et colorisés. Un magnifique travail historique, à destination de tous, en particulier des jeunes.

L'AGRESSION 1/6




L'ÉCRASEMENT 2/6





LE RESTE EST À VENIR TOUS LES JOURS

LE CHOC 3/6

L'EMBRASEMENT 4/6

L'ÉTAU 5/6

L'ENFER 6/6

LES DIFFÉRENTS AVIS :

Le Nouvel Observateur - Arts - Spectacles, jeudi, 15 octobre 2009, p. 128
On n'en sortira donc jamais, de cette guerre qui a incendié le monde il y a plus d'un demi-siècle. Mais, pour une fois, voici les lignes de force bien établies, les responsabilités mises en évidence, les abdications, les trahisons, les lâchetés bien posées. Jean-Louis Guillaud, Henri de Turenne, Isabelle Clarke et Daniel Costelle, concepteurs de cette série de six films de 52 minutes, ont fait oeuvre didactique, avec une terrifiante clairvoyance. La montée de Hitler, le cynisme de Staline, la totale absence de scrupules des nazis, tout est mis sur la table. J'ignore comment les réalisateurs ont pu trier la masse de documents issus des archives des quatre coins du monde, comment ils ont mis la main sur telle image d'un enfant allemand en uniforme, apeuré, ou sur telle autre d'une femme qui court, une valise à la main, devant la tourelle d'un char. C'est passionnant.

Libération, no. 8838 - Ecrans, vendredi, 9 octobre 2009, p. 36
Près de 8 millions de téléspectateurs pour un documentaire historique. Une presse unanime et dithyrambique. Un projet gigantesque multipliant les hyperboles sur le coût, la qualité des images, des sons, le métrage utilisé... Daniel Costelle au générique d'une série documentaire à base d'archives sur la Seconde Guerre mondiale. L'historienne des médias se croit revenue à une époque lointaine, les années 60, où la série les Grandes Batailles entamait, en 1966 avec Verdun, une brillante carrière sur les petits écrans. Certes, les interviews des témoins ont disparu et les images sont colorisées; le ton de Mathieu Kassovitz paraît bien froid pour ceux qui ont encore aux oreilles la belle voix d'Henri de Turenne. Pourtant il s'agit bien, dans les deux cas, de raconter avec des images d'archives la Seconde Guerre mondiale.
Sur France Inter, l'historien Fabrice d'Almeida déplorait la «facture trop classique» d'Apocalypse, tandis que, sur France Culture, dans la Fabrique de l'histoire, on évoquait le «maniement suranné de l'histoire». Et l'historien Gilles Vergnon, dans la même émission, qualifiait le documentaire d'«histoire-batailles».
Héroïques oublis.
Apocalypse est-il un remake des Grandes Batailles ? Un ersatz pour les nostalgiques ? Un approfondissement pour les thuriféraires ? Les changements profonds entre les deux programmes me semblent pourtant essentiels. Ils révèlent un changement de regard radical sur la Seconde Guerre mondiale. La télévision, mémoire collective, en témoigne.
La première série de Turenne, Guillaud et Costelle déclinait la Seconde Guerre mondiale comme une série de batailles : Verdun, la bataille d'Angleterre, celles de France, du Pacifique, etc., ce qui était un choix politique. C'est replacer cet événement dans le cycle éternel des conflits entre Etats. Les survivants étaient déplacés sur les lieux des combats et leurs récits, pleins de souffrances, de sacrifices, dépeignaient la guerre comme un moment à part qui ne manquait ni de grandeur, ni d'héroïques oublis de soi. L'univers de la guerre se partageait entre des méchants et des gentils, les qualités sans pareil de ces derniers étant magnifiées par la noirceur des premiers. La paix installée, le monde pourrait continuer à tourner comme avant. Le dernier «épisode» apportait pourtant en partie, à cette vision de l'histoire-batailles, une autre dimension. Le Procès de Nuremberg, diffusé en 1974 comme une conclusion à la série des Grandes Batailles, neuf ans après le début de la série, marquait devant l'histoire que ces années qui venaient de s'achever avaient «inventé» une catastrophe à nulle autre pareille. Une véritable «apocalypse»!
Proportions inouïes.
Le choix de ce titre me paraît tout à fait fondamental. Il figure cette nouvelle vision de la Seconde Guerre mondiale qui s'est progressivement imposée. Le deuxième conflit mondial n'était pas une série de batailles. C'était un drame primordial qui s'est répandu dans le monde entier, éliminant dans des proportions inouïes, et dans des conditions que le monde a mis des années à comprendre. Il s'y est perpétré des actes qui ne cessent d'être interrogées par la conscience humaine et qui modifient profondément son essence.
Daniel Costelle a déclaré avoir pris le mot «apocalypse» dans son sens biblique de «révélation». Les cinéphiles n'ont pas manqué l'allusion au film de Francis Ford Coppola. Je pense cependant que le titre de ce documentaire part du sens second donné par le dictionnaire : il y sera question d'une «catastrophe comparable à la fin du monde, telle qu'elle est décrite dans l'Apocalypse». L'organisation des émissions y est dès lors chronologique, chaque épisode cherchant à rendre compte de la montée d'un cataclysme qui enflammera le monde entier.
Les auteurs ont insisté sur la place particulière de la Shoah, dont ils ont respecté le noir et blanc d'origine. Ils ont déclaré avoir voulu montrer la guerre à hauteur d'homme (et non pas de militaire) en multipliant les images de civils, deux manières de rappeler que l'apocalypse, la catastrophe qui s'est abattue sur le monde, progressivement, à partir de 1939, jusqu'à aboutir dans un autre paroxysme, celui des bombes larguées sur le Japon, était d'une nature qui dépasse largement les questions militaires.
Mais ont-ils réussi ? Peut-on tenir un propos personnel avec des mots qui ne sont pas les nôtres ? Peut-on dire le vrai avec des images destinées au mensonge ? Peut-on montrer le caché, le disparu, l'inmontrable ?
Puissance des images.
Les images de la Seconde Guerre mondiale ont été tournées par ceux qui avaient des caméras, de la pellicule, des autorisations de tournage. Ils ne travaillaient pas pour montrer ou dénoncer mais pour prouver, convaincre, tromper. Leurs chefs étaient ceux qui donnaient des ordres : les politiques, les militaires. Leurs images sont d'abord des images de propagande, de propagande militaire. Les images de la guerre parlent d'abord de la guerre et des batailles. Alors le talent des auteurs, du monteur, du compositeur, du conteur, même grand, même convaincant, semble bien peu de chose face à la puissance des images, ces images dont la colorisation a accentué le charme, la force, le spectaculaire.

La Croix, no. 38477 - Médias, samedi, 3 octobre 2009, p. 18
« Apocalypse », retour sur un succès phénoménal. - Laurent Larcher
«Je n'ai jamais vu mon fils de 15 ans aussi passionné par un programme diffusé à la télévision. Il n'a manqué aucun épisode d'Apocalypse. Il était plus accroché qu'à aucune de ses séries américaines. Nous avons eu de vrais échanges sur la Seconde Guerre mondiale et, par ricochet, sur l'histoire de notre famille. Il a pris conscience que cette période a été vécue par ses arrière-grands-parents », constate, encore étonnée, Nathalie, mère de deux adolescents. Une remarque qui témoigne du succès et de l'impact d'Apocalypse, la série documentaire de Daniel Costelle et d'Isabelle Clark sur la Seconde Guerre mondiale programmée trois mardis de septembre sur France 2 à une heure de grande écoute. Avec près de 8 millions de téléspectateurs pour le dernier volet de la série, le 22 septembre, Apocalypse pulvérise les audiences habituelles des documentaires. Le programme a ainsi réuni plus de téléspectateurs que la série américaine Les Experts diffusée le même soir sur TF1. Huit jours plus tôt elle avait fait jeu égal avec un match de football (Olympique de Marseille-Milan AC). Comment expliquer ce succès ? Annoncé habilement par France Télévisions, relayé généreusement par les médias, Apocalypse a bénéficié d'abord d'une visibilité médiatique importante. Ainsi, dès le premier soir, le 7 septembre, les deux premiers épisodes ont d'emblée réuni 5,5 millions de téléspectateurs. Saisi par l'efficacité du montage, la qualité de la colorisation, la clarté du propos et la force de l'histoire, le bouche-à-oreille a fonctionné à merveille. La semaine suivante, 700 000 téléspectateurs de plus étaient au rendez-vous des 3e et 4e épisodes. Un chiffre dépassé le 22 septembre pour les deux derniers films. Plus remarquable encore a été la pénétration chez les adolescents, un public pourtant réputé le plus réfractaire à ce type de programme. Sur l'ensemble, la part d'audience moyenne des 11-14 ans a été de 29 %, et de 21 % sur les 15-24 ans. Comme Gabriel, 13 ans, en classe de 4e : « Je les ai tous vus. Cela m'a passionné. C'était mieux qu'en cours où l'on apprend cette histoire à travers le papier, les livres. Là, c'était des images. Elles m'ont permis de saisir combien cette période a été horrible, bien plus affreuse que je ne l'imaginais alors. » Un témoignage qui recoupe celui de Marianne, 17 ans, en classe de terminale scientifique. « Je connaissais la période pour l'avoir étudiée en classe et avoir lu un certain nombre de témoignages. Mais ces images m'ont frappée comme je ne l'avais pas été par mes cours. Je ne me rendais pas compte de l'intensité des souffrances endurées par les civils. » Daniel Costelle est très ému et très heureux de cette réussite : « Cela prouve que l'on peut toucher un large public. Que les jeunes aient été au rendez-vous, cela me réjouit encore plus. Le public n'a pas eu envie de zapper. Ce qui prouve que le problème n'est pas la télécommande, mais la qualité de l'offre. Isabelle Clark a su insuffler dans ce travail une énergie, un savoir-faire exceptionnel, à la manière d'un Steven Spielberg pour le cinéma. Pour toucher les gens, il faut mettre les moyens, leur proposer une expérience forte. Par les images, la colorisation, le travail sur le son, le montage, Isabelle Clark a su rendre présente la chose passée.»« Dès le départ nous avons eu l'objectif de toucher le public le plus large possible. Nous avons proposé une approche globale de la guerre et nous avons mis tous nos moyens au service d'un public jeune dont la culture télévisuelle est celle des séries américaines. Nous voulions qu'ils deviennent quasiment acteurs de cette histoire », ajoute Patricia Boutinard Rouelle, la directrice des documentaires de France 2. Doit-on forcément s'en féliciter ? Ne cultive-t-on pas une illusion ? Interrogé, Marc Ferro, historien de la Seconde Guerre mondiale et ancien présentateur d'Histoire parallèle, préfère se féliciter du succès remporté par Apocalypse : « Diffuser un tel programme, c'est rendre service aux téléspectateurs. Le travail de Daniel Costelle, depuis sa Bataille de Verdun en 1966, a toujours été remarquable. Faisons attention, cependant, à ne pas trop sombrer dans le spectaculaire. On risque alors de privilégier l'effet et de faire dire aux images ce que l'on a envie qu'elles disent. »


Le Monde diplomatique - Novembre 2009, p. 3
" Apocalypse " ou l'histoire malmenée - Lionel Richard

En septembre, un grand battage publicitaire annonçait sur France 2 la diffusion d'Apocalypse, un documentaire de plus de cinq heures, en six épisodes, sur la seconde guerre mondiale (1). L'accueil du public n'a pas failli. Six à sept millions de téléspectateurs ont regardé la série.

A compté pour beaucoup, dans cette publicité, le retentissement donné à ce qu'il fallait absolument découvrir : une masse d'images " souvent inconnues ", résultat d'une traque dans les archives internationales. Sur ces documents d'époque, les bruits des moteurs d'avion et des pilonnages ont été sonorisés. De plus, afin que la vérité des opérations militaires sur tous les fronts soit appréhendable au mieux, les images ont été partiellement soumises à une " colorisation " - ou plutôt, conformément à la formulation des auteurs, à une " restitution des couleurs ". Orange, les flammes sur les décombres. Grisâtres, les joues d'Adolf Hitler. Bien roses, celles de Joseph Staline.

Bref, tout dans le spectaculaire. Il eût été regrettable que les jeunes générations fussent en décalage avec ce qu'elles ont l'habitude de voir dans les films de fiction. Pour reprendre la prose des experts en communication de France Télévisions : un " scénario haletant ", rythmé par une musique originale qui " parfait la splendeur " d'un " programme hors du commun ".

Effectivement, le spectacle a de quoi captiver. D'une bataille à l'autre, alors que tout le monde connaît l'épilogue, le montage parvient à susciter une attente. Encore faut-il, afin d'entrer dans le jeu, accepter un truisme comme postulat : la guerre est la guerre. Pour la moitié des séquences au moins, les soldats succèdent aux soldats. Chars, bataillons, escadrilles, bombardements, ruines fumantes, cadavres. De l'Europe au Pacifique, le regard souffrirait vite de saturation si ne passaient en voix off, sur cette frénésie de bruit et fureur à répétition, les phrases percutantes du commentaire.

Car c'est lui, ce commentaire, qui permet de fixer son attention sur les images, qui leur donne sens - ou contresens. Début de la série ; titre indiqué : " Berlin, 1932 ". Quelques secondes d'une scène de L'Ange bleu, le film de Josef von Sternberg. Aucune source. Il est annoncé que " Marlene Dietrich chante à Berlin, Alexanderplatz ". Vraiment ? Depuis 1928, cabarets et revues sont terminés pour elle. L'Ange bleu a été tourné en 1929-1930. En 1932, Marlene se trouve à Hollywood, où elle joue dans le nouveau film de Sternberg, Blonde Vénus.

Afin de prolonger l'illustration de l'insouciance alors censée régner à Berlin, fondu enchaîné sur les terrasses de café des beaux quartiers : " Thomas Mann savoure son prix Nobel de littérature sous les tilleuls d'Unter den Linden... " Tiens donc ! Cet écrivain habite Munich, où il ne cesse, en dehors des vacances, de travailler avec acharnement. C'est en 1929 que le prix Nobel lui a été décerné, pour son roman Les Buddenbrook. Berlin ? Il ne s'y trouve, en 1932, que le 18 mars, pour tenir un discours devant l'Académie prussienne des arts, en l'honneur du centième anniversaire de la mort de Goethe.

Insouciant, Thomas Mann ? Tout le contraire. A la fin de son allocution, il invite les héritiers spirituels de Goethe, les " fils de la classe bourgeoise ", à prendre en main la défense de la démocratie, afin d'engager l'Allemagne sur " un ordre rationnel ", un régime qui soit " conforme au stade atteint par l'esprit de l'humanité ". L'avant-veille, interrogé par un journal de Vienne à propos de la victoire du maréchal Paul von Hindenburg à l'élection présidentielle, il a déclaré qu'il est heureux de voir Hitler battu, " et avec lui le fascisme allemand ". Maintenant " le plus important " est, à son avis, de " désintoxiquer l'atmosphère " (2).

Un chapelet de poncifs

Les distorsions entre le texte et l'image de ces deux séquences définissent la manière dont fonctionne toute la série Apocalypse. Les plans sont détournés pour être soumis à un discours préconçu, où se condensent les poncifs que les médias vulgarisent depuis un demi-siècle.

Axe central autour duquel tout s'accroche : l'histoire contemporaine a été dominée par deux " totalitarismes ", incarnés par Hitler et Staline. Face à eux, les " démocraties " ont été paralysées. En vertu de ce schéma, le préambule de la première émission s'ouvre en mai 1945 sur les troupes soviétiques à Berlin. Trompeuse " libération ". Actionnées par la " haine ", ces troupes violent non pas certaines Allemandes, mais systématiquement, nous dit-on, " les femmes allemandes ". La dernière émission se conclut, elle, sur ces mots : " Cette série est dédiée aux victimes de tous les totalitarismes. "

Peu importe, à travers un tel encadrement, de retracer les prémices du conflit mondial. " Tout bascule " en Europe le 30 janvier 1933, signale le commentaire, avec Hitler à la tête de l'Etat en Allemagne. Comment y est-il arrivé ? Grâce à son " exceptionnel pouvoir de conviction sur les masses " et au " totalitarisme " opposé : " Les communistes allemands sont aux ordres de Moscou, pour qui les socialistes sont les vrais adversaires. Pas d'alliance avec eux. Alors, les communistes allemands chantent une dernière fois L'Internationale... "

Sur l'arrière-plan économique et social de l'Allemagne, rien. Sur l'engrenage du système répressif mis en place dès février 1933, l'appui des grands intérêts industriels du pays au système nazi, l'élimination des opposants, le mouvement d'émigration de milliers d'Allemands, leurs appels à lutter contre le national-socialisme, rien. L'aide allemande et italienne aux partisans de Francisco Franco en Espagne, l'Autriche avant son annexion en 1938, et notamment l'assassinat du chancelier Engelbert Dollfuss, les tergiversations des gouvernements français et britanniques, la trahison de la France à l'égard de la Tchécoslovaquie, les indécisions du gouvernement polonais ? Les téléspectateurs n'ont pas besoin d'en être informés.

En effet, c'est l'" alliance " des deux principaux " totalitarismes ", le 23 août 1939, qui enclenche la catastrophe. " Les Occidentaux, malgré leurs craintes du communisme, comptent sur l'URSS ", affirme le commentaire, " oubliant " leur refus obstiné du projet de sécurité collective proposé par Moscou. Mais, poursuit-il, Hitler " va les prendre de vitesse " en passant contrat avec Staline. Ce qui, en soi, n'est pas surprenant, puisque " lui aussi fait jeter des millions de malheureux dans ses camps ". La fourberie de Staline a dessillé universellement les yeux : " Pour le monde entier, le pacte germano-soviétique, c'est le signal de la guerre. " Conséquence, les communistes en Europe, français entre autres, ne rejoindront la lutte que le 22 juin 1941, " après l'attaque contre l'Union soviétique ".

Pour non négligeables que soient les responsabilités de Staline, Apocalypse nous plonge ainsi dans une simplification caricaturale archaïque. En ce qui concerne la participation du Parti communiste français à la Résistance, la querelle a été réglée depuis une décennie par les spécialistes. Si sa direction a recherché, à l'été 1940, un modus vivendi avec l'occupant, le parti s'est progressivement engagé dans la Résistance. Et plusieurs documents prouvent, par exemple, la mise sur pied sous son égide d'un Front national de lutte pour l'indépendance de la France au printemps 1941.

Cette absence de respect intellectuel envers les téléspectateurs se traduit également par les multiples approximations, contradictions, erreurs portant tant sur les événements que sur leur chronologie. Par exemple, l'armée allemande n'a pas été lancée sur la Pologne le 3 septembre 1939, après la déclaration de guerre du Royaume-Uni : les Stuka, au matin du 1er septembre, bombardent la bourgade de Wielun - mille deux cents morts sur seize mille habitants. A la suite de l'échec de la conjuration du 2 juillet 1944, Hitler fait arrêter, et pas " assassiner ", cinq mille suspects, dont deux cents vont être condamnés à mort. Même la date de la capitulation signée à Berlin par le maréchal Wilhelm Keitel est fausse. Ce n'est pas le 8 mai 1945, comme indiqué en gros caractères, mais le lendemain. D'où l'adoption du 9 mai comme fête nationale par les Soviétiques, pour célébrer la victoire sur l'Allemagne nazie.

Pour ce qui va de l'antisémitisme, des camps et de l'extermination des Juifs, la présentation est confuse, le massacre étant dit programmé " seulement lorsque l'issue de la guerre deviendra incertaine ". A croire qu'en 1941, déjà, les dirigeants nazis doutaient de l'issue de la guerre. Mais le comble de l'embrouillamini est atteint avec l'évocation de la rencontre de Yalta, du 4 au 11 février 1945 ; on explique que l'affaiblissement physique de Franklin D. Roosevelt l'amène à céder à Staline, sur tous les points. Dans le fil d'une légende tenace, la photographie archiconnue où sont réunis Winston Churchill, Roosevelt et Staline est supposée " marquer le véritable début de la guerre froide ". En réalité, les Alliés mettent alors au point la campagne finale contre Hitler ; l'optimisme rayonne et les bases de l'Organisation des Nations unies (ONU) sont posées pour l'immédiat après-guerre. Churchill parlera d'ailleurs un mois plus tard, au sujet de Staline et de ses vues sur la Pologne, d'un danger de " rupture de l'esprit de Yalta ". C'est le premier ministre britannique qui, en octobre 1944, à l'occasion d'un accord secret, a procédé avec le maréchalissime soviétique au partage de l'Europe (3).

Chaque fois que le commentaire déborde du contenu des images pour oser une digression, le texte aboutit à des allégations calamiteuses. Aux premiers jours de septembre 1939, les Polonais attaquaient-ils à cheval et à la lance les chars de l'Allemagne nazie ? " Une bataille d'un autre âge est alors livrée par les lanciers polonais, qui se font massacrer en chargeant les tanks allemands ", est-il affirmé. Pareille affabulation, construite sur un trucage, sort vraisemblablement des services de Joseph Goebbels pour railler l'état retardataire de la Pologne (4).

La plupart de ces images d'archives relèvent de la propagande, et il est compréhensible qu'il ne puisse en être autrement. En dehors de quelques prises de vues en provenance de cinéastes amateurs, elles émanent d'opérateurs professionnels au service des armées en lutte. Supercherie que de les proposer comme un reflet fiable des phénomènes de la guerre ! Elles exigent d'être replacées dans leur contexte.

Leur insertion dans une combinaison de séquences reconstruites, comme il advient dans Apocalypse, redouble leur manque intrinsèque de vérité. Le procédé vire à la désinvolture pour toutes celles qui sont tirées des kilomètres de pellicule tournés par les nazis. La vision du front de l'Est sous l'oeil russe est infime. Une vingtaine de secondes pour la vie de la population de Leningrad, montrée charriant des pierres, alors qu'elle a été assiégée pendant près de neuf cents jours, du 8 septembre 1941 au 27 janvier 1944.

A quoi bon une nouvelle composition documentaire si elle vise, avant tout, à séduire visuellement ? Sous peine de racolage médiatique, l'essentiel est d'obtenir que les images en question, sorties de leur fonction initiale de propagande, complètent impartialement, pédagogiquement, les connaissances déjà solidement acquises. Apocalypse en est loin. Les recherches universitaires sont à la fois plus sûres et plus avancées que les données apportées par l'ensemble de ses épisodes. Du reste, aucun historien, en qualité de conseiller ou consultant, ne figure à son générique.

Oui, trop d'entorses aux faits dans cette série, d'insinuations non justifiées, d'omissions, pour qu'on puisse admirer sans réserve la somme d'informations qu'elle véhicule. Mais à qui se permet de critiquer ce film d'archives, ses défenseurs ont beau jeu de rétorquer qu'il n'a pas été réalisé à l'intention des " spécialistes ", que son but était de toucher le grand public. Or les téléspectateurs ont été ravis, clame-t-on, de s'instruire sur une période dont ils n'avaient en tête que des éléments fragmentaires. S'en prendre à une production de haute ambition comme celle-ci, " magistral cours d'histoire en images ", selon Télérama, entraînerait les directeurs des programmes télévisés à ne plus se risquer hors de l'habituelle et efficace médiocrité.

Intimidante mise en garde !... Autrement dit, enterrons toute réflexion critique au bénéfice de dithyrambes ou d'arguments de réclame. Ce que prône un tel raisonnement, c'est la résignation, par crainte du pire, aux choix intellectuels des décideurs.





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