vendredi 18 décembre 2009

Y aura-t-il encore des huîtres à Noël 2010 ? - Patricia Colmant

Les Echos, no. 20576 - L'enquête, vendredi, 18 décembre 2009, p. 9

Une épizootie ravageuse menace la production française

Après les problèmes récurrents de toxicité supposée qui ont frappé les parcs ostréicoles du bassin d'Arcachon, une crise bien plus grave se profile pour la profession. De la Méditerranée à la mer du Nord, une mortalité sans précédent frappe les jeunes huîtres. Si, cette saison, la production sera bien au rendez-vous, l_année prochaine risque d'être placée sous le signe de la pénurie.

Le tracteur file à bonne allure sur la plage, en direction de longues superstructures qui s'étalent sur l'estran. Le ciel est bas et la mer encore loin. Un enchevêtrement de poutres de bois se détache sur le sable ocre, comme une gigantesque table, nappée d'algues verdâtres qui s'agitent dans le vent. C'est le terroir de Marc Vivier, ostréiculteur à Asnelles, dans le Calvados, depuis 1996, lorsque l'Etat a décidé de créer un nouveau site ostréicole en France. Ce Caennais a démarré avec un parc de 2 hectares, soit 25 % de plus que la taille moyenne des exploitations du bassin d'Arcachon. Aujourd'hui, il exploite 8 hectares, ayant pu, au fil des années, acquérir des parcelles mitoyennes et d'autres à Saint-Vaast-la-Hougue (Manche). « C'est important de se diversifier géographiquement. C'est la meilleure parade en cas de pépin »,explique Marc Vivier.

« Pépin » : le terme traduit l'inquiétude qui plane en permanence sur la profession. Même si les huîtres s'annoncent, cette année, d'excellente qualité et bien charnues, l'avenir de l'ostréiculture est bien sombre. La raison ? Les jeunes Crassostrea gigas, autrement dit les huîtres creuses introduites en France en 1968 et qui représentent 95 % des huîtres élevées dans le monde, connaissent un taux de mortalité sans précédent. Une épizootie qui rappelle celle qui a laminé la production d'huîtres plates il y a près d'une vingtaine d'années. Elle est tombée de 20.000 tonnes en 1980 à 1.500 tonnes aujourd'hui.

Des causes mal identifiées

De la Méditerranée jusqu'en mer du Nord et dans le reste de l'Europe, la totalité de la production d'huîtres creuses est gravement touchée depuis l'été 2008. « Le phénomène n'est pas nouveau. Cela fait des années que le naissain (les larves d'huîtres) est fragile sans que l'on ait défini les causes exactes du problème. Mais celui-ci a pris une ampleur catastrophique depuis deux ans », explique Goulven Brest, président du Comité national de la conchyliculture. « Désormais, le taux de mortalité des juvéniles atteint 70 % », poursuit ce responsable professionnel, ostréiculteur en baie de Morlaix. Un « pépin » confirmé par les chercheurs de l'Ifremer. « Cela fait une dizaine d'années que l'on travaille sur l'huître. L'Ostreid Herpès virus (OsHV), spécifique à l'huître, a été identifié dès 1992. Mais il n'est pas seul en cause. Le phénomène est multifactoriel, d'où la difficulté de trouver une solution », explique Maurice Heral, directeur de la prospective et de la stratégie à l'institut. Les scientifiques ont identifié près de 70 facteurs, à l'origine de cette mortalité, dont la présence du virus OsHV-1, le réchauffement de l'eau et les hivers trop doux.

« Chez nous, 80 % du cheptel juvénile est mort entre mi-juin et mi-août 2008 et, cet été, c'était à peine moins », confirme Marc Vivier, qui note que l'hécatombe a aussi « touché 40 % des huîtres de dix-huit mois ». Pour compenser la mortalité de l'année, il a racheté du naissain naturel à raison de 12 euros pour 1.000 bébés huîtres. « Comme une partie de ces nouvelles juvéniles meurent aussi, ce n'est pas une solution. Et cela double nos investissements. » Même avec les aides gouvernementales, pour une exploitation qui réalise un chiffre d'affaires de 1,1 million d'euros avec une dizaine de salariés, il est difficile de faire face à ce genre d'aléa financier.

La cinquantaine de chercheurs de l'Ifremer qui travaillent sur le dossier propose à la filière, dès 2010, de nouvelles souches résistantes, les triploïdes (dotées de 10 triplets de chromosomes, au lieu de 10 paires comme les huîtres non modifiées). « C'est un choix fondamental pour la profession, car ces huîtres sont stériles, ce qui contraindra les ostréiculteurs à renoncer à collecter du naissain naturel. Ils feront comme les agriculteurs qui, chaque année, achètent leurs semences », admet Maurice Heral.

Dans l'immédiat, bien que cette mortalité touche l'ensemble des producteurs, elle n'aura pas d'incidence sur l'offre de produits de l'Atlantique pour les fêtes de Noël, compte tenu du cycle de production des bivalves. Ce mollusque est en effet vendu dans sa troisième année d'élevage. « Pour la fin de l'année, on a les quantités et la qualité. Les huîtres sont excellentes. Mais, l'an prochain, ce sera autre chose. Les consommateurs se battront pour en trouver », prédit Younick Vallégant, producteur d'huîtres en eau profonde dans le golfe du Morbihan.

Efforts de qualité anéantis

En cette veille de fêtes, les ostréiculteurs de Méditerranée sont, eux, encore moins à l'aise. « Dans le bassin de Thau, les huîtres sont en eau profonde et bénéficient d'un plancton très riche, qui raccourcit leur cycle de croissance. Elles sont donc bien charnues, mais, contrairement à l'Atlantique, c'est dès cette saison que nous allons en manquer », admet Denis Regler, directeur de la section régionale conchylienne Méditerranée. « Le paradoxe, c'est qu'elles sont très belles, voire trop grosses par rapport aux habitudes des consommateurs, mais on n'en aura pas assez. »

La gravité de cette crise a échappé au grand public, dont l'attention a été captée par les problèmes récurrents de toxicité supposée des huîtres du bassin d'Arcachon qui ont émaillé l'année (voir ci-contre). Pourtant, elle est bien réelle et risque d'anéantir les efforts de qualité de la profession. Marc Vivier comme d'autres de ses collègues, tel Pierre-Marie Barrau, qui produit des huîtres marennes d'Oléron, très recherchées par les restaurants, ont choisi de valoriser leur production à travers leur marque. « Je souhaite que le consommateur qui déguste une de mes huîtres retienne ma marque. C'est la meilleure façon de mettre en valeur mon produit. » Chaque jour, à marée basse, il part poser des poches d'huîtres d'une vingtaine de kilos chacune. « En fait, on en met moins pour qu'elles aient plus de place pour grossir », précise l'ostréiculteur. Avec ses hommes, il vérifie l'état des poches déjà en place, les retourne pour bien repositionner les huîtres dans le courant et relève d'autres lots, prêts à la consommation. « Nous sommes les seuls éleveurs qui ne nourrissons pas nos animaux », note en riant cet ancien étudiant en médecine, qui a, très vite, préféré les bancs d'huîtres aux bancs de la fac. D'où l'impérieuse nécessité d'une surveillance de la qualité des eaux, problématique au coeur des préoccupations de tous les ostréiculteurs.

Chaque année, les 3.000 entreprises françaises d'ostréiculture produisent environ 120.000 tonnes d'huîtres, ce qui place la France au 4e rang mondial derrière la Chine, le Japon et la Corée. Les Français sont les premiers consommateurs de ces bivalves si choyés par près de 15.000 personnes passionnées par ce métier. « Vous ne pouvez faire ce métier que si vous l'aimez à fond », lance Younick Vallégant, qui ne veut pas entendre parler de reconversion. Marc Vivier ne l'envisage pas non plus, malgré toutes les difficultés, et encore moins lorsqu'il voit son fils de dix ans manier avec dextérité le chariot élévateur pour ranger les palettes de poches d'huîtres. « Il n'est pas sûr, malheureusement, que le métier soit encore rentable quand il aura l'âge de l'exercer », conclut l'ostréiculteur.

PATRICIA-M. COLMANT

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