jeudi 28 janvier 2010

Des paysans chinois se mobilisent en faveur du meurtrier d'un cadre corrompu

Le Monde - International, jeudi, 28 janvier 2010, p. 7

Zhang Huping, 24 ans, est à Pékin depuis samedi 23 janvier pour suivre, auprès de la Cour suprême, la demande d'appel de son frère, Zhang Xuping (PHOTO), 19 ans, condamné à mort pour avoir assassiné, en septembre 2008, Li Shiming, le responsable du parti du village de Xiashuixi, à Luliang (province du Shanxi).

Il attend de rencontrer l'avocat Liu Xiaoyuan, actuellement en déplacement, devenu célèbre pour avoir chroniqué sur son blog, en 2008, le procès de Yang Jia, accusé de l'assassinat de six policiers dans un commissariat à Shanghaï.

Chroniqué seulement : la mère du prévenu, que comptait aider maître Liu, fut enlevée par la police et placée au secret dans un hôpital psychiatrique. Condamné à mort et exécuté dans la foulée, Yang Jia, qui s'était fait rosser par la police pour une broutille avant d'aller se venger, est devenu un héros sur l'Internet chinois.

Cette fois, la victime, le chef local du parti, qui pouvait compter sur un réseau de protecteurs et disposait d'hommes de main, s'était tellement fait d'ennemis parmi la population que celle-ci s'est mobilisée pour soutenir le justicier.

Malgré la discrétion de la presse, l'histoire de son frère Zhang Xuping fait son chemin sur les forums Internet en cette fin d'année lunaire où se multiplient les émeutes dans les zones rurales. La police a tué à deux reprises en tirant sur la foule, début janvier, dans le Guangxi et le Guizhou, tandis qu'une femme est morte dans le Jiangsu lors d'une bataille entre des gangsters à la solde du gouvernement local et des habitants refusant de déménager.

A Xiashuixi, la région de Loess au paysage mité par les mines de charbon, Li Shiming était connu pour accaparer des parcelles de forêt dont il faisait abattre les arbres sans autorisation. Il s'arrangeait ensuite pour requalifier les terrains, qui accueillaient ensuite des projets industriels.

Les villageois, qui ont un droit de propriété collective sur les terres et se les distribuent, n'étaient dédommagés que de façon symbolique. Les récalcitrants étaient agressés, comme Wang Waixin, cité par le South China Morning Post. Son terrain fut confisqué pour construire un ensemble de logements.

Les pétitionnaires allaient en prison : Wang Hou'e, la mère de Wang Xuping, que le chef du parti prend en grippe car elle est la plus active au sein d'un groupe de villageois en colère qui font le déplacement à Taiyuan, la capitale provinciale, pour dénoncer ses pratiques, fera un an de prison en 2002. Elle y subit des sévices.

" Mon frère avait 12 ans. Moi, je venais d'entrer au lycée. Mon frère a un certain sens de la justice et a très mal supporté cette période. On n'avait pas un sou ", raconte au Monde Wang Huping. " Xuping avait de mauvaises notes, il se bagarrait ", poursuit-il.

Quand sa mère sort de prison, l'adolescent est renvoyé de son école, sur instruction, affirme son frère, de Li Shiming. Il tombe dans la petite délinquance, fait de la prison et tente de se suicider.

La presse locale épingle pourtant certaines des dérives du chef du parti. En vain. C'est un habitant du nom de Zhang Huping (un homonyme du frère du meurtrier) qui commandite l'assassinat de Li Shiming alors que celui-ci est en réunion dans une école, le 23 septembre 2008. Il donne à Zhang Xuping des chaussures, des habits noirs, et 1000 yuans (100 euros).

Le jeune homme pénètre dans l'école et plante une lame dans le flanc de l'officiel, seul à ce moment. Celui-ci rejoint en titubant sa voiture de luxe et démarre. Mortellement blessé, il n'atteindra jamais l'hôpital. Zhang Xuping sera arrêté peu après.

Mais les villageois soutiennent la famille et rassemblent 10 000 yuans (1 000 euros). Zhang Huping, le frère, quitte son travail dans une aciérie : il a parcouru à ce jour, raconte-t-il au Monde, 48 villages de la région et rassemblé 28 000 signatures de soutien.

En août 2009, le procès de Zhang Xuping, dans la ville voisine de Luliang, est ajourné, car les villageois sont venus en masse. Il s'est tenu en novembre sous une imposante protection policière. La pétition, qui rappelle un conte de la Chine ancienne, où les villageois demandent clémence à l'empereur pour le meurtrier d'un officiel corrompu, a été rejetée par les magistrats.

Désormais, l'avocat Liu Xiaoyuan, qui n'assure pas encore officiellement la défense du jeune Xuping, compte sur le soutien de l'opinion publique. Il espère obtenir au moins un sursis à l'exécution ou une commutation de la peine.

Le cas est révélateur des tensions croissantes dans les zones rurales à mesure que les habitants prennent conscience de leurs droits : " Les conflits dus à l'expropriation des terres se sont multipliés et intensifiés, confie l'avocat. Il existe des lois pour protéger les citoyens, mais les autorités locales font ce qu'elles veulent. "

Brice Pedroletti

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