lundi 11 janvier 2010

INTERVIEW - Rogge : « Le pouvoir de président du CIO, ça se bâtit »

Le Figaro, no. 20355 - Le Figaro, lundi, 11 janvier 2010, p. 12

PROPOS RECUEILLIS à Lausanne PAR Laurence SCHREINER

Plébiscité pour un dernier mandat, Jacques Rogge se confie à un mois des Jeux.

Jacques Rogge, président d'un CIO pris en pleine tempête politique internationale liée au contexte chinois, ne savait pas s'il briguerait un second mandat. Plébiscité en octobre pour quatre dernières années, le Flamand n'a jamais été aussi détendu. Successeur du très politique Juan Antonio Samaranch, celui qui a endossé le costume de M. Propre après le scandale de corruption de Salt Lake City semble avoir désormais les coudées franches. Et restera comme le président qui a introduit la révision du programme olympique et a osé le pari brésilien, pour les premiers Jeux sud-américains de l'histoire.

LE FIGARO. - Lors du congrès de Copenhague en octobre, le CIO ne s'est-il pas affranchi d'un certain passé ?

Jacques ROGGE. - Cela correspond à ma vision des choses. Nous devons avancer tout en poursuivant dans la voie que j'ai tracée depuis 2001 : nous battre pour les valeurs. Tolérance zéro en matière de dopage, qualité des arbitrages et, désormais, lutte contre les paris truqués. Nous avons créé notre propre société pour contrôler les paris aux Jeux. Nous ne sommes pas encore ciblés mais, tôt ou tard, nous aurons des problèmes. Côté innovation, le golf et le rugby à VII entrent au programme en 2016 et les premiers Jeux de la jeunesse auront lieu cet été à Singapour.

En désignant Rio de Janeiro hôte des Jeux 2016, le CIO ne s'est-il pas refait une vertu après les choix controversés de Pékin et Sotchi ?

(Rires.) Peut être... Mais mes collègues n'ont pas pensé de cette manière. Il y avait un désir clair au sein du CIO, dans la mesure du possible et avec comme priorité la qualité des Jeux, d'aller dans des parties du monde où nous n'avons jamais été. Les Jeux ne sont pas là pour faire plaisir à des peuples, à des nations... Ils sont là pour des athlètes qui ont une ou deux fois dans leur vie la possibilité d'y participer.

Chicago a été éliminée au premier tour, le contentieux a éclaté sur la redistribution des revenus olympiques favorable aux Américains. Les États-Unis perdent-ils de leur influence auprès du CIO ?

Il y avait des prémices en 2005 quand New York est sortie rapidement. S'est greffé le contentieux sur la redistribution des moyens financiers. On a trouvé un accord de principe pour la redéfinir après 2020, qui marquera la fin des contrats existants pour sept ou huit sponsors. Ce sont des contrats léonins, signés dans un tout autre contexte*. Mais le résultat de Chicago n'est pas l'expression d'une volonté du CIO de s'affranchir de quoi que ce soit. N'oublions pas que les États-Unis sont toujours la première nation du monde - même si leur position est menacée par la Chine - et qu'ils génèrent le plus de moyens financiers pour l'olympisme.

La préparation des Jeux de Vancouver et de Londres a été affectée par la crise mondiale. Êtes-vous inquiet ? Le CIO en a-t-il souffert ?

La crise ne va pas diminuer la qualité des Jeux. Il y a eu des adaptations temporaires qui sont tout à fait neutres. Les sources du financement privé se sont taries et les gouvernements se sont substitués au privé. Les experts disent que les États vont rentrer dans leurs fonds, en 2013-2014 pour Londres, 2011-2012 pour Vancouver. Quant au CIO, il a perdu jusqu'à 25 millions de dollars mais, aujourd'hui, nous avons plus d'argent que nous en avions avant le début de la crise. Nous avons toujours été extrêmement prudents dans nos investissements.

Comment vous sentez-vous aujourd'hui dans votre costume de président ?

Je me suis représenté parce que je savais que j'avais la confiance de mes collègues. Ce n'est pas évident, il y a toujours une usure du pouvoir et j'ai pris des décisions qui ont déplu : quand j'ai dit non à la visite des villes candidates, quand on a sorti le softball et le base-ball, quand j'ai plaidé pour un CIO austère...

Le président et l'homme Jacques Rogge ont-ils changé depuis 2001 ?

Oui, mais pas au niveau des convictions. Mon énergie, ma passion restent les mêmes. Mais la fonction est lourde, elle détruit toute possibilité de vie privée. Je ne peux plus me promener en vieux jeans et en polo pas repassé ! Je suis un homme discret, très timide. Président du CIO, je suis devenu un personnage semi-public. C'est pire que je le pensais, ça me déplaît souverainement.

M. Samaranch a été le président du gigantisme des Jeux. Quelles étaient vos relations ?

M. Samaranch est resté vingt et un ans à la présidence, je resterais au maximum douze ans. Il a eu l'intelligence de conduire le CIO où il est, dans les périodes de la fin du communisme et du début de la télévision et du sponsoring. Il a voulu un CIO plus représentatif. Mais il a fallu le traumatisme de la corruption des Jeux 2002 pour y parvenir. M. Samaranch m'a nommé à la commission d'enquête, il m'a confié un rôle important dans les réformes de 2000. J'étais convaincu qu'il fallait un CIO différent, plus ouvert et transparent, avec une gouvernance stricte au niveau financier. Ce n'était pas sexy ni révolutionnaire, mais nécessaire. Et nous avons dû prendre des mesures désagréables.

Avez-vous dû compter vos amis ?

(Sourire.) Quand on vous élit, on vous donne un accès au pouvoir, mais vous n'avez pas encore le pouvoir. Vous pouvez le bâtir si vous avez le soutien de vos collègues. Quand j'ai été élu le 16 juillet 2001, je n'avais pas en main toutes les clés. Il fallait m'adresser aux différents acteurs de ce pouvoir très diffus et très multiforme au sein du CIO. J'ai fait des erreurs, et des choses ont très bien marché. Sur la réforme du programme olympique, j'ai mis sept ans pour convaincre. Pour les Jeux de la jeunesse, il m'a fallu attendre le bon moment, quand notre structure financière était consolidée, en 2005-2006. C'est vrai que c'était un projet un peu solitaire.

Diriez-vous que votre plus grande victoire, c'est la réforme du programme, les Jeux de la jeunesse, l'élection de Rio ?

C'est encore trop tôt ! Si les Jeux sont réussis en 2016, on dira que c'est un succès, sinon on dira que nous avons été imprudents. Idem pour les Jeux de la jeunesse. Il y aura des erreurs, ce ne sera pas parfait. Souvenons-nous que quand Coubertin a créé les Jeux modernes, les quatre premières éditions ont été une catastrophe avant ceux de 1912 ! Le temps dira ce que j'ai bien fait, ce que j'ai mal fait.

Est-on préparé à devenir président du CIO ?

Le sport, avec la possibilité de se fixer un objectif, et mon métier de chirurgien m'y ont préparé. Le médecin doit avant tout écouter son patient. Il y a le dit et le non-dit. En observant le langage corporel de cette personne, il doit se faire une idée sur son véritable problème. Ça s'apprend. Et le diagnostic établi, le traitement nécessite l'acceptation du patient. Je n'ai pas fait autre chose au CIO.

* Dans les années 1980, le CIO a négocié un contrat illimité avec le comité olympique américain au terme duquel il perçoit 12,75 % des droits télévisuels générés aux États-Unis et 20 % des revenus marketing globaux, soit autant que tous les autres comités nationaux olympiques réunis. À l'époque, sponsors et chaînes de télévision américains généraient la quasi-totalité de la richesse olympique.

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