Pour Pékin, en besoin de matières premières, le pragmatisme prime.
Ce jour-là, la clé du salon de réception de l'ambassade de Chine était égarée. Sans protocole, l'entretien avec M. Shi Shu Xinhua s'est donc déroulé dans le hall d'entrée, sous les affiches indiquant le prix des visas et les promotions pour les billets d'avion. Ancien de l'Ecole nationale d'administration à Paris, l'ambassadeur s'exprime dans un français impeccable et surtout, il ignore la langue de bois. Pour lui, admonester publiquement les autorités congolaises, « cela ne sert à rien, sauf à fâcher inutilement, à faire perdre la face... De toute façon, ce qu'il faut dans ce pays, c'est renforcer l'Etat, le rendre plus efficace. Mieux vaut souligner les aspects positifs et accompagner nos amis là où ils en ont besoin. » Lucide, le diplomate ne cache cependant pas certaines déceptions : « Nous avons amené le câble à fibre optique de Matadi jusqu'à Kinshasa, les travaux sont terminés mais... rien ne s'est passé. L'Office des Postes aurait pu gagner un milliard de dollars par an en faisant payer les opérateurs de téléphone, mais tout est toujours bloqué, l'argent part dans le privé. »
Sur le Boulevard du 30 juin, les travaux ont repris, camions et bennes ronronnent jour et nuit. L'ambassadeur voit là un exemple du pragmatisme de ses compatriotes : « Au départ, le gouverneur de Kinshasa avait entamé ces travaux sur fonds propres, nous n'y étions pas impliqués. Puis on nous a demandé un coup de main pour la pose de canalisations, afin d'éviter les inondations. Après avoir commencé, l'argent est venu à manquer, tout a été stoppé... La population était mécontente. J'ai demandé au ministère chinois de la Coopération de financer les travaux sur le Boulevard, afin qu'ils soient terminés d'ici le 30 juin. Désormais, tout est réglé. » Pourquoi tant de bonne volonté ? « Nous savions que c'était important pour les autorités congolaises et, si les travaux s'étaient arrêtés, nous aurions été mis en cause. »
Xu, un jeune interprète de la société Crec (Chinese Railway Corporation), la troisième entreprise de travaux publics du monde, voit les choses autrement : « Les Congolais nous ont piégés. Dès que nous avions commencé, nous ne pouvions plus nous retirer, il en allait de notre réputation. Et l'ambassadeur a dû trouver les moyens. »
C'est que le diplomate ne manque pas de volontarisme, il suit pas à pas la progression des chantiers, qui représentent déjà un montant de 400 millions de dollars d'investissements et l'an dernier, lorsque les 700 engins de chantier ont débarqué à Matadi, il a réussi à faire bloquer tout le port durant deux jours pour que le convoi puisse quitter les lieux au plus vite.
Face au FMI, qui s'est longtemps opposé aux contrats chinois, redoutant un nouvel endettement du pays, Chinois et Congolais ont-ils dû lâcher du lest ? L'ambassadeur minimise, évoque un malentendu : « Les montants que nous prêtons sont garantis par la teneur des gisements miniers et, ayant réalisé des études préalables, nous connaissons leurs potentiels. La garantie de l'Etat n'était qu'une exigence de principe, mais pour que la boucle soit bouclée, nous ne pouvions pas céder. Et le Congo ne voulait évidemment pas renoncer aux travaux d'infrastructures. A cause des exigences du FMI, tout a été bloqué, l'effacement de la dette du Congo a été retardé d'un an et demi. Finalement nous avons trouvé un compromis où la garantie de l'Etat ne portera que sur les travaux actuels, pas sur la partie minière. »
Des travaux pharaoniques
« En fait, explique le diplomate, le malentendu vient de la différence de nos méthodes de travail : alors que le FMI et la Banque Mondiale travaillent sur des montants fixés une fois pour toutes, nous les Chinois, nous sommes pragmatiques. Nous tenons une comptabilité systématique, au jour le jour, des travaux que nous réalisons. En effet, ce qu'ils coûtent aujourd'hui n'est pas le prix qu'ils représenteront demain. » Partant d'un rire communicatif, le diplomate conclut que les chiffres ne sont pas importants. « Ce qui compte c'est d'avancer, de réaliser des routes, des écoles, des hôpitaux. Ce pays a besoin de tout, tout est urgent et nous avons décidé de l'aider. »
Ce volontarisme convient bien aux riverains du fleuve, du côté des rapides de Kinsuka. Depuis longtemps, la route touristique qui court le long de l'eau était régulièrement inondée, les érosions le disputaient aux éboulements et à chaque saison des pluies, la circulation s'interrompait, des maisons plongeaient dans le fleuve.
Depuis notre dernier passage, des travaux véritablement pharaoniques ont été réalisés : tout le versant de la colline, traversé de sources, a été drainé, étançonné. Dominant la route et le fleuve, s'étendent d'immenses terrasses de moellons, coupées par des escaliers sur lesquels les Congolais coltinent leurs charges jusqu'au sommet.
Plus loin, un pont domine désormais une rivière qui se jette dans le Congo, la route a été élargie. Ici, les gens saluent les contremaîtres chinois avec reconnaissance. Xu admet cependant que « ce n'est pas toujours facile avec la population locale, au début on avait l'impression qu'elle se méfiait de nous, qu'elle était prête à protester, à revendiquer. Aujourd'hui, cela s'améliore. »
Les visites discrètes de Kabila
L'interprète est encouragé par le fait qu'à plusieurs reprises, conduisant sa jeep et méconnaissable sous sa casquette, le président Kabila est venu vérifier l'état d'avancement du chantier. Jacques, notre chauffeur, admet que « les Chinois travaillent pour nous, mais nous n'avons pas beaucoup de contacts avec eux. Quant aux travailleurs, ils se plaignent d'être mal payés... »
En haut de la route, les Chinois ont établi leur « base de vie » : un laboratoire où est étudiée la composition des sols et des revêtements, un immense parc de véhicules d'un côté, des containers rangés en carrés de l'autre, petits parallélépipèdes gris dans lesquels ces hommes seuls rentrent le soir, se délassant devant des vidéos. Sur un long mur chaulé, une main a tracé en lettres bleues « Vive l'amitié entre les peuples chinois et congolais. » « Ne perdez pas votre temps à faire des photos, conclut Xu en rigolant, c'est un slogan idiot. »
© 2010 © Rossel & Cie S.A. - LE SOIR Bruxelles, 2010
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