Avoir triomphé outrageusement à Pékin, à l'été 2008, avec la bagatelle de 51 médailles d'or, ne leur suffit pas. Les Chinois comptent bien profiter de la plus importante délégation (91 athlètes, le double en comptant les entraîneurs et les médecins) jamais envoyée à des Jeux d'hiver pour marquer les esprits, à Vancouver, et se lancer à la conquête de disciplines où leur palmarès est encore embryonnaire. La ville leur sourit déjà, puisque le 10 février, ils ont eu le bonheur d'apprendre que la ville de Nankin avait été élue pour accueillir, en 2014, les seconds Jeux olympiques d'été... de la jeunesse.
Le responsable chinois des sports d'hiver, Zhao Yinggang, n'a fixé aucun objectif chiffré, mais le butin record collecté à Turin, en 2006, devra être dépassé. Soit onze médailles dont deux d'or, quatre d'argent et cinq de bronze. Il a ajouté que " les sports d'hiver, qui font partie de la stratégie olympique chinoise, doivent profiter des avantages du système public pour se développer ".
Trente ans après leur apparition hivernale à Lake Placid, aux Etats-Unis, les Chinois ne sont donc plus des nains olympiques. Pas encore un yéti, la nation émergente a déjà obtenu 33 médailles en concentrant ses efforts sur la glace. Les Chinois sont les rois, ou plutôt les reines, du patin, de vitesse ou artistique. Avec une prédilection pour le short-track (vitesse sur piste courte) qui leur a permis de monter vingt fois sur les podiums.
Dès 1992, année de l'intronisation olympique de la discipline, ils se sont distingués en remportant leur première médaille (d'argent) à Albertville. L'or attendra dix ans, à Salt Lake City (Utah). A Vancouver, c'est Wang Meng, médaille d'or sur 500 mètres à Turin, triplement victorieuse (500 m, 1 000 m et relais) aux championnats du monde 2009 à Vienne, qui pourrait s'imposer.
Viennent ensuite le traditionnel patinage de vitesse et le patinage artistique (cinq médailles chacun), puis le ski acrobatique (trois récompenses). Dans cette dernière discipline, les taquins expliquent l'aisance chinoise par la pratique ancestrale des arts martiaux. Elle a toutefois permis à Han Xiaopeng d'obtenir, à Turin, la première médaille d'or chinoise sur neige.
Pour le reste, mystère. On sait que les femmes partent favorites en curling, un sport qui était encore totalement inconnu en Chine il y a quinze ans. Quant aux hockeyeuses, elles s'apprêtent à dresser un rempart devant leur but face aux Américaines, dimanche 14 février, jour du Nouvel An chinois. Elles avaient obtenu une surprenante quatrième place, à Nagano, au Japon, en 1998. Hélas !, la légendaire gardienne Guo Hong, alias la " Grande Muraille de Chine ", n'est plus là pour défendre la cage de l'empire du Milieu.
Ambitieuse, la délégation chinoise est pourtant toute de modestie et de discrétion. Les conférences de presse de sportifs sont rarissimes, sinon assorties d'une solide langue de bambou. Leur attaché de presse est le seul des grandes nations, avec son homologue russe, à ne pas avoir communiqué ses coordonnées téléphoniques, signe que les temps n'ont pas tellement changé. Le comité d'organisation lui-même participe à l'opacité en refusant de communiquer le nombre de journalistes chinois couvrant les Jeux : " C'est confidentiel. "
Finalement, jeudi 11 février, à la veille de la cérémonie d'ouverture, est parvenue la brochure de présentation de la délégation chinoise. Cette déclinaison austère de photos d'identité, de mensurations et de performances valorise les vingt-neuf officiels du Comité olympique chinois dont la taille des photos est parfois le double de celle des sportifs. Celle du président, Liu Peng, est même reproduite deux fois. Les contacts fournis sont ceux de l'ambassade chinoise au Canada et des consulats à Vancouver, Toronto et Calgary.
La pression serait d'autant plus forte que ces athlètes concourront dans une métropole qui abrite la plus importante communauté chinoise du Canada. Spectaculaire, le chiffre d'un habitant sur trois qui circule via le bouche-à-oreille est pourtant faux, confondu avec la proportion d'origine asiatique. Le dernier recensement, en 2001, fait état de 18 % pour le Grand Vancouver, soit 450 000 personnes d'origine chinoise.
Cette particularité autorise déjà quelques athlètes à se départir de toute prudence et à prendre les vessies pour des lanternes de l'année du Tigre. Il en va ainsi du patineur artistique Hongbo Zhao (PHOTO), vétéran de la compétition du haut de ses 36 ans. Son âge n'arrête pas ses ambitions pour Vancouver : l'or, tout simplement. Pour se donner toutes les chances, Hongbo Zhao et sa femme, Xue Shen, ont fait appel à une chorégraphe canadienne, Lori Nichol.
Premier couple chinois champion du monde en 2002, les époux avaient fini troisièmes, l'année précédente aux mêmes championnats, organisés déjà à Vancouver. En conséquence, " les spectateurs canadiens nous connaissent bien, estime Hongbo Zhao. Peut-être en ont-ils assez de nous voir. Mais il y a beaucoup de Chinois qui vivent à Vancouver. D'une certaine manière, nous avons presque l'avantage d'évoluer à domicile. " Pour preuve, la nourriture chinoise que peut consommer Hongbo Zhao au village olympique, même si elle est, selon lui, trop " aromatisée au goût occidental ".
Les athlètes chinois ne sont guère dépaysés, surtout que bon nombre s'entraînent à Richmond, au sud de Vancouver. C'est là qu'a été construit l'anneau olympique qui accueille les épreuves de patinage de vitesse. C'est aussi dans cette commune, connue pour son temple bouddhiste, que les plus récents migrants s'installent. A Richmond, plus d'un habitant sur trois serait originaire de Chine.
Alors, les dames du patinage de vitesse se sentent aussi un peu chez elles. Jin Peiyu est formelle : " Ce n'est pas différent de la Chine. " Ce qui est assez juste lorsque l'on contemple les tours d'habitation des années 1960 jouxtant le parc Stanley. Le quartier a d'ailleurs été baptisé " Hongcouver ". A son tour, Wang Beixing dit ne pas souffrir du mal du pays : " C'est comme un retour au bercail pour nous. " Mais, dans le centre-ville, une visite à " Chinatown " - pourtant le troisième d'Amérique du Nord après ceux de New York et de San Francisco - refroidit vite les ardeurs. Ici, on peine déjà à se passionner pour les Jeux. Alors s'enthousiasmer pour les représentants d'un pays que l'on a quitté...
Sur Pender Street, derrière la majestueuse porte du Millennium Gate, réplique de celles des cimetières de Pékin, les prix des produits s'effondrent à mesure que le Canadien d'origine européenne se raréfie. Les étals regorgent de thé, ginseng, herbes médicinales, poisson séché. Les boutiques de souvenirs se partagent entre gadgets à la gloire de la feuille d'érable ou de la police montée et articles pour le Nouvel An. Officiellement, la communauté chinoise se convertirait aux sports d'hiver. On remarque pourtant peu de drapeaux canadiens, et aucun de la République populaire. Pas d'icônes de sportifs, comme celles de ces hockeyeurs omniprésents downtown. Seul le torse glabre du " dragon " Bruce Lee fait exception.
Un commerçant se déclare " emballé par les Jeux ", surtout parce qu'" ils vont attirer beaucoup de touristes ici pour le Nouvel An ". Le passage à l'année du Tigre devrait réunir 2 000 participants, 500 de moins que la cérémonie d'ouverture des Jeux. A l'opposé de ce négociant, Julia, 20 ans, originaire de Shanghaï, est incollable sur la compétition. Elle affirme que ses préférences " dépendent des disciplines : le Canada pour le hockey, la Chine pour le patinage de vitesse " et, plus original, " l'Angleterre pour le curling ". Julia travaille pour le comité d'organisation, au " service de dépannage de la presse ".
Elle attire surtout l'attention sur la star en devenir, Patrick Chan. Ce prodige de 19 ans est un patineur artistique canadien de souche hongkongaise. Médaillé d'argent aux championnats du monde junior 2007, il a été nommé l'année suivante " Asiatique de l'année dans les arts et le sport " par le magazine Asia Network. Lui patinera vraiment devant son public.
Bruno Lesprit
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