lundi 8 février 2010

La Chine n'a pas les moyens de son arrogance envers Washington - Valérie Niquet

Marianne - Lundi 8 Février 2010 à 05:01

La Chine multiplie les agressions verbales contre les Etats-Unis après les ventes d'armes à Taiwan, comme si elle se jugeait désormais invincible. Notre chroniqueuse Valérie Niquet rappelle que, 108° puissance mondiale en terme de PNB par habitant, la Chine reste encore très dépendante du reste du monde.

Comme avec Berlin, Paris, Londres ou Copenhague, Pékin a choisi la stratégie de la tension avec Washington. Mais en brandissant des menaces de rétorsion dans la gestion des grands dossiers internationaux tels que l’Iran ou la Corée du Nord, si les Etats-Unis « persistent dans leurs erreurs » en vendant des armes à Taiwan ou en recevant le Dalai Lama, le régime chinois révèle brutalement une réalité particulièrement préoccupante, que beaucoup ne souhaitaient pas voir : Non, Pékin n’a pas comme objectif prioritaire d’apparaître sur la scène internationale comme « grande puissance responsable » et le régime Chinois ne considère pas que certains sujets d’importance globale transcendent les « intérêts nationaux » constamment mis en avant.

Le positionnement particulièrement agressif de la RPC met donc en évidence les limites des stratégies d’engagement de la puissance chinoise et le caractère irréductible des différences d’analyse et de positionnement très largement liées à la nature du régime.

Les autorités chinoises sont aujourd’hui confrontées à des tensions particulièrement dangereuses. En dépit de taux de croissance mirifiques en pleine crise économique et financière mondiale, les signes d’inquiétude s’accumulent quant à la pérennité de la croissance chinoise. On craint l’inflation, le pouvoir peine à maîtriser la manne du crédit et chaque annonce de reprise en main provoque une amorce de panique sur les marchés. Profondément impliqué dans les grands courants économiques mondiaux, Pékin s’aperçoit qu’il ne maîtrise plus grand-chose.
Dans le même temps, les attentes en termes de croissance, de la part d’une population qui n’endure les travers du régime que dans la mesure où ce dernier peut lui garantir l’amélioration de son niveau de vie, ne faiblissent pas.

Enfin, des divergences se manifestent au cœur même du pouvoir et le processus de succession « apaisé » mis en place par Deng Xiaoping semble rencontrer lui aussi des limites. 
Dans ces conditions, le régime chinois se raccroche aux vieilles recettes de l’exaltation de la fierté nationale et des sentiments de revanche. Surtout, la crise financière qui a frappé l’Occident et les discours répétés à l’envie sur « le miracle chinois » et le « siècle de la Chine », pourtant démentis par nombre d’analystes chinois eux-mêmes, ont semble-t-il, fini par persuader une partie au moins de la direction chinoise que Pékin désormais pouvait « tout se permettre ». Condamnée à subir un ordre international dans lequel elle n’avait longtemps pas eu sa place, la RPC a cru pouvoir désormais imposer son propre agenda et ses propres normes.

La Chine artisan d'un néoprotectionnisme ?

Mais la crise actuelle avec Washington met au contraire en évidence le grand isolement diplomatique de Pékin. Chacun souhaite l’engagement de la Chine sur la scène internationale, mais pas à n’importe quel prix, et comme le président Sarkozy l’avait souligné, l’importance croissante des attentes de la communauté internationale est bien le prix à payer en échange de la puissance à laquelle aspire la RPC.

L’arrogance et la maladresse dont a fait preuve une diplomatie chinoise encore peu au fait des usages internationaux pourraient donc avoir des conséquences négatives et nuire à la stratégie d’émergence pacifique et d’harmonie patiemment mise en œuvre par la RPC depuis la fin des années 1990, notamment vis-à-vis de ses voisins. La réaction très négative de Pékin face aux ventes d’armes prévisibles des Etats-Unis à Taiwan démontre s’il en était besoin les limites très étroites du rapprochement entre Pékin et Taipei. L’intransigeance et la maladresse dont ont fait preuve les représentants chinois à Copenhague sont venus remettre en cause, au-delà de l’affront très direct au président Obama et à son représentant, le discours optimiste sur les progrès du multilatéralisme censés fonder les évolutions du système international depuis la fin de la guerre froide.

Le Japon, qui ouvre les bras à la Chine dans cette nouvelle communauté de l’Asie orientale qui se voudrait fondée sur le modèle européen ne peut-être qu’inquiet devant une telle évolution. Ceci d’autant plus qu’en dépit de l’amélioration des relations et des accords passés la RPC ne perd pas une occasion de réaffirmer ses revendications en mer de Chine orientale. 
Pourtant, derrière son discours de puissance, la Chine est vulnérable. Troisième, peut-être demain deuxième puissance économique mondiale devant le Japon, son PNB par habitant la place au 108ème rang mondial et ses besoins sont énormes. Elle demeure la première détentrice de bons du trésor américain mais c’est parce que ce type de placement reste pour elle le plus sûr. Prisonnière de sa volonté de maintenir une valeur du yuan suffisamment basse pour préserver les chances de reprise de ses exportations, elle doit acheter des dollars. Se débarrasser massivement de ces avoirs aurait des conséquences dramatiques bien sûr pour la stabilité mondiale, mais plus encore sans doute pour l’économie chinoise elle-même. La Chine surtout pourrait se voir confronter à un montée plus importante encore du protectionnisme, aux Etats-Unis et ailleurs, alors que la tentation est déjà là.

La Chine, grande puissance émergente dispose, et ça n’est pas nouveau, d’une puissance de nuisance considérable dont il impossible de ne pas tenir compte. Elle ne semble en revanche pas encore prête à s’imposer comme une puissance constructive occupant toute la place qui pourrait lui revenir dans le système international. La question est de savoir Pékin sera un jour capable de franchir le pas, au risque d’une transformation profonde de son système politique.


Bookmark and Share

0 commentaires: