Pourquoi une si longue impunité ?
Par Danielle De March-Ronco, ex-vice-présidente communiste du Parlement européen (*).
En France, en Europe des milliers de victimes de l'amiante agissent depuis des décennies, crient leur colère, manifestent. Ces luttes pour le droit à la vie sont au coeur du combat de classe.
Il a fallu près d'un siècle pour obtenir l'interdiction de l'amiante en France. Patronat et gouvernements s'épaulaient pour fuir leurs responsabilités, ignorant les propositions de loi des parlementaires communistes. Dans toutes les régions, des luttes se sont engagées contre ce que Me Jean-Paul Tessonnière, avocat de victimes françaises, appelle « un crime lucratif ».
Car la vérité, la voilà : depuis 1906, un inspecteur du travail, le docteur Auribaut, avait alerté sur la dangerosité de l'amiante. En 1930, des médecins avaient dénoncé son caractère cancérigène.
L'amiante est un Hiroshima silencieux. Les chiffres, terribles, sont là. En 2020, on comptera cent mille morts dues à une exposition à l'amiante dans toutes les grandes entreprises, les universités et autres bâtiments où ce poison a été injecté massivement.
J'ai recueilli dans mon dernier livre des témoignages de victimes de l'amiante. Ils sont révélateurs de l'ignorance des salariés qui travaillaient comme en Corse, encordés et sans protection, dans les mines à ciel ouvert ou bien qui manipulaient ce matériau en usine ou sur des navires. Leurs vies ont été amputées, brisées, leurs fins se sont déroulées dans d'atroces souffrances, leurs familles ont été plongées dans la douleur.
À Turin (Italie) un procès s'est ouvert. C'est un procès historique. Après trente années de lutte, associations et syndicats ont gagné le droit de poursuivre au pénal les amianteurs. Pour la première fois, sont sur le banc des accusés les grands patrons de la multinationale Eternit, le milliardaire suisse Stephan Schmidheiny et le baron belge Cartier de Marchienne qui sont passibles de peines de prison ferme. Face à eux, plusieurs milliers de parties civiles. Ils crient justice ! Les patrons sont poursuivis pour n'avoir ni protégé, ni informé leurs salariés, ni avoir pris aucune mesure de sécurité pour la santé de la population environnant les usines. Pour la seule commune de Casale Monferrato, proche de la plus grande mine d'amiante d'Europe, on recense près de 2 000 décès dus à l'amiante parmi les ouvriers de l'usine Eternit (qui a tourné de 1905 à 1986), et aussi parmi les habitants exposés aux poussières.
Agir contre « la tueuse » est urgent : chaque jour en France, huit personnes meurent d'un cancer de l'amiante. Car le cynisme industriel continue à prospérer dans le monde quand l'empire Eternit règne encore dans 28 pays de la planète. Le grand patronat parle maintenant de « double standard » qui lui permet de jouer pour toujours plus de profits sur les inégalités de protection sociale et sur les règles de prévention entre pays dominants et dominés. C'est ainsi que toute l'Amérique latine, l'Inde, la Chine, le Brésil, l'Afrique du Sud, la Russie sont concernés par l'ouverture de mines d'amiante et leur exploitation sans bornes. C'est ainsi que des milliers de travailleurs sont à nouveau en danger.
À Turin, ensemble, avocats italiens, français, belges et suisses qui comparent ce « maxi-procès » à ceux de la Mafia, vont agir pour faire reconnaître les responsabilités internationales de ces patrons. Leur cause commune : créer un tribunal pénal international du travail. Je partage à ce propos la réflexion de la sociologue Annie Thébaud-Mony : « Quand travailler devient synonyme de mise en danger délibérée de la vie d'autrui, d'atteinte à la dignité, de non-assistance à personne en danger, de double standard, d'expérimentation humaine, de répression, la justice ne doit-elle pas de toute urgence rechercher les coupables et les condamner à la mesure de leurs actes ? »
Oui, vraiment, à quand la création d'un tribunal pénal international du travail ?
Danielle de March ira prochainement à la rencontre des victimes de l'amiante à La Ciotat, à La Seyne-sur-Mer, dans le Nord et en Corse.
(*) Auteure de Clara et les poussières bleues (Éditions Sudarènes).
© 2010 l'Humanité. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire