Les Etats-Unis renoncent à renvoyer des hommes sur la Lune. Trop cher. La Chine et l'Inde reprennent le flambeau et fourbissent déjà leurs fusées.
Si la nouvelle course à la Lune devait être comparée à un sport, les Etats-Unis, tenants du titre depuis les missions Apollo, en étaient les grands favoris. Leur forfait, qui devait être rendu officiel, lundi 1er février, par la présentation au Congrès d'une proposition de budget qui ne finance plus le programme Constellation de la NASA, va donc logiquement bouleverser la physionomie de la compétition. Les équipiers, comme l'Europe et le Japon, vont devoir réviser leurs stratégies, et peut-être s'inventer leurs propres ambitions. Les autres concurrents vont aiguiser les leurs, sachant que désormais ils n'auront plus d'excuses à finir deuxième.
Ces prétendants déclarés, sont, aujourd'hui, au nombre de deux : Chine et Inde. Ce qui résume, en soi, le glissement du centre de gravité mondial vers l'Asie. Dans cette épreuve, où elles entendent gagner une reconnaissance de leur nouvelle importance, les deux puissances émergentes ne pèsent toutefois pas le même poids. La Chine a plusieurs coups d'avance, et une époque de retard, ce qui constitue un autre avantage. Son régime dictatorial et sa motivation très fortement nationaliste renvoient à l'époque où la conquête de la Lune était avant tout un effort de guerre froide.
Ce n'est pas un hasard si les Chinois, dans leur apprentissage du spatial, semblent à la fois revisiter les classiques des missions Apollo et les fondamentaux des vols soviétiques. Avec cependant une manière bien à eux de ne pas afficher trop vite, et trop clairement les objectifs. « Ils ont chaque fois procédé de la même façon, analyse Philippe Coué, spécialiste du spatial chinois et auteur de La Chine veut la Lune (A2C Médias, 2007). Jusqu'à la fin des années 1990, ils disaient avancer prudemment vers les vols habités, ils montraient quelques vagues études pour un avenir lointain. En réalité, ils étaient prêts, et tout le monde s'en est rendu compte avec le premier tir d'une capsule Shenzhou en 1999 qui a conduit au premier Chinois dans l'espace en 2003. »
La première mission robotisée autour de la Lune, Chang'e-1, avait été précédée du même flou prudent avant son succès de 2007. Et aujourd'hui, la technique est reprise pour se risquer sur le terrain d'une conquête humaine de notre satellite naturel. « Peu après l'annonce du programme Constellation par les Américains, la Chine a fait savoir que la Lune aussi les intéressait, raconte Philippe Coué. Puis grand silence jusqu'en 2008, où un officiel a déclaré qu'ils se préparaient à cet objectif majeur. La date fixée pour cette arrivée d'un Chinois sur la Lune, 2025, n'a été évoquée que l'an dernier. Mais on peut parier que leurs plans sont beaucoup plus précis et avancés que ce qu'ils laissent entendre. »
Pour l'heure Pékin assemble les pièces d'un puzzle extraordinairement complexe. Car, la NASA vient de s'en souvenir à ses dépens, aller sur la Lune est une entreprise ardue et coûteuse, dont le savoir-faire s'acquiert lentement et s'oublie très vite. Pour le grand public, le temps écoulé depuis la dernière mission Apollo, en 1972, a partiellement effacé les multiples opérations nécessaires à la réussite d'une expédition lunaire : fabriquer des fusées assez sûres pour embarquer les hommes, d'autres assez lourdes pour transporter le matériel; maîtriser les « rendez-vous », arrimages entre les vaisseaux dans l'espace; se placer en orbite lunaire, poser un module sur le sol de notre satellite, le faire redécoller; après de nouveaux rendez-vous célestes, assurer son retour vers la Terre et surtout, une entrée fort délicate dans l'atmosphère.
La Chine est en train de découvrir tout cela. Le programme Shenzhou, au bout de trois vols habités, lui a permis de réussir la première sortie d'un cosmonaute dans l'espace. Les trois missions suivantes, prévues de 2011 à 2012, doivent aider à s'habituer aux techniques de « rendez-vous » autour d'un embryon de station spatial, Tiangong 1. Le programme Chang'e, centré sur l'exploration robotisée de la Lune, a déjà débouché sur une cartographie en 3D du sol lunaire par la première sonde en orbite, qui a fini par être délibérément précipitée sur son objet d'étude en mars 2009.
La sonde suivante doit achever, à la fin de cette année, ce travail de cartographie, dont la précision est en soi un aveu des futurs objectifs chinois. Puis deux autres engins, en 2012 et 2016, doivent permettre d'acquérir des techniques cruciales. Le premier en déposant un robot à propulsion nucléaire qui roulera, plusieurs mois durant, sur la surface. Le deuxième en ramenant sur Terre des échantillons des poussières locales.
Sur cette route balisée vers notre voisine, une étape décisive sera franchie lorsque Pékin aura lancé, vers 2015, sa fusée Longue Marche V, qui peut arracher 25 tonnes à la gravité terrestre. Certes, il manquera alors au dispositif un lanceur très lourd, comme les Saturn V d'Apollo, capables d'emporter plus de 100 tonnes. Mais avec sa nouvelle fusée, la Chine pourra déjà envisager de griller des étapes pour s'offrir quelques performances médiatiques autour de la Lune - à défaut de premières, toutes réalisées à l'époque par les Américains et les Soviétiques. « Il n'est pas interdit d'imaginer qu'ils puissent aller faire un simple tour de Lune vers 2017, dit Philippe Coué. Ou, avec deux lanceurs, qu'ils parviennent à se placer en orbite. La NASA a même envisagé qu'ils puissent réussir, en mobilisant quatre lanceurs et en maîtrisant parfaitement les rendez-vous, une première mission sur le sol lunaire. »
Dans tous les cas, les cosmonautes se préparent d'arrache-pied. « Le Quotidien du peuple , qui est toujours fiable sur ces sujets, vient d'annoncer la création, à côté de Pékin, de plusieurs kilomètres carrés de terrain simulant la surface lunaire, dit M. Coué. Cela semble bien grand pour n'entraîner que des robots. »
Dans le bac à sable des apprentis conquérants de la Lune, l'Inde fait en revanche figure de petit nouveau. Son agence spatiale (ISRO) ne maîtrise pas encore les vols habités, et elle n'a, pour l'heure, envoyé qu'une sonde autour de la Lune en 2009. Chandrayaan-1 a fonctionné un peu moins bien et moins longtemps qu'espéré, ce qui ne l'a pas empêché de contribuer à une première découverte scientifique : la mise en évidence d'une infime pellicule de molécules d'eau à la surface de notre satellite. La fierté qui a gonflé le pays, à l'occasion de la publication de ce résultat, a donné une idée de l'importance qu'il accorde à l'espace comme caisse de résonance de sa nouvelle vigueur économique et technologique.
L'ISRO ne pouvait donc pas faire moins que d'afficher un objectif extrêmement ambitieux : un cosmonaute indien sur la Lune vers 2025. Tenir cette échéance permettrait peut-être de doubler la Chine sur le fil alors que l'Inde ne prévoit pas de réaliser son premier vol habité avant 2015, soit douze ans après sa concurrente.
Pour gagner ce pari, l'Inde compte sur une botte secrète : une coopération étroite avec les Russes, qui eux connaissent bien la route de la Lune. Cette aide peut leur ouvrir quelques raccourcis. Ainsi Chandrayaan-2, qui doit poser en 2012 un robot sur le sol, fera-t-il l'objet d'une collaboration étroite avec Roskosmos, l'agence spatiale russe. Celle-ci vendra aussi aux Indiens un vol de Soyouz, vers 2013, pour aguerrir un équipage indien avant l'épreuve du premier vol orbital autonome, en 2015. S'ils font l'impasse sur l'étape station spatiale, que s'imposent les Chinois, les Indiens peuvent envisager de tenir leur objectif.
Mais cet appui des Russes peut placer ceux-ci dans une situation délicate. Les Chinois se sont en effet beaucoup inspirés de leurs Soyouz, et ils leur ont acheté nombre de modèles de scaphandres pour les sorties dans l'espace. Entre ces deux partenaires, les perdants de la première course à la Lune pourraient se retrouver en position d'arbitre de la deuxième compétition.
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