lundi 22 février 2010

Soies sauvages - Alain Faujas

Le Monde - Economie, lundi, 22 février 2010, p. 13

Comme tout ce qui vient de Chine, la soie est en trompe-l'oeil, surtout pour nous Occidentaux, qui vivons avec quelques clichés sur ce fil de luxe tissé par la chenille du Bombyx mori, lépidoptère apprivoisé depuis des millénaires. A regarder la courbe - approximative - des prix du kilo de fil grège de qualité très supérieure " 6A ", débobiné du cocon originel, la soie augmente spectaculairement. En six mois, elle est passée de 25 à 40 dollars, soit un bond de 60 % comparable à celui du platine durant toute l'année 2009 !

" Les causes de cette hausse sont multiples, explique Christian Morel-Journel, patron de la maison du même nom qui importe et travaille le fil depuis deux siècles. Il y a la météo qui perturbe le ver à soie, mais aussi le recul de la culture du mûrier qui nourrit celui-ci, sous l'effet de la pression foncière qu'exerce la conurbation de Shanghaï sur les zones où il prospère. Et puis, les Chinois, qui sont de grands spéculateurs, ont joué "corner" depuis l'été dernier, c'est-à-dire qu'ils ont acheté du fil, puis fait de la rétention pour faire monter les prix ! "

Cocon contre coca

Car, là encore, l'empire du Milieu règne sans partage. Premier producteur mondial de fil grège (100 000 tonnes) devant l'Inde (18 000 tonnes), il est aussi le premier exportateur (10 000 tonnes) devant le Brésil (2 000 tonnes) où les descendants des maîtres japonais de la soie ont apporté leur savoir-faire.

Tous les autres pays sont importateurs de fil, y compris l'Inde. L'Italie se fournit majoritairement en Chine et la France au Brésil pour leurs mousseline, taffetas, crêpe de Chine ou crêpe Georgette qui embellissent les corps et leurs accessoires. Mais la soie de qualité pourrait se raréfier à brève échéance parce qu'elle n'est paradoxalement plus assez chère pour pousser les paysans à la sériciculture. " Dans un carré Hermès de 265 euros, il n'y a que 3 euros de soie ", souligne M. Morel-Journel.

" La production de cocon a toujours été réservée aux ruraux les plus pauvres des régions les plus déshéritées et les plus enclavées, telles les Cévennes, raconte Gérard Chavancy, secrétaire général de la Commission séricicole internationale. Dans les pays andins, l'élevage du bombyx pourrait très bien se développer, car un hectare de mûrier rapporte autant qu'un hectare de coca ! " L'aubaine serait double. Le cocon apporterait du numéraire à des populations pauvres, ce qui susciterait des vocations de sériciculteurs haut de gamme, à la grande satisfaction des stylistes tyranniques qui ne supportent plus les sautes d'humeur et de qualité du bombyx chinois.

Encore faudrait-il que Pékin cesse la politique de bas prix qu'il mène de longue date pour empêcher l'éclosion d'une vraie concurrence. Il y a quatre ans, la Chine avait exporté en Inde son fil moitié prix par rapport à ceux qu'elle pratiquait avec les autres pays, histoire de tuer dans l'oeuf l'envie des Indiens de devenir compétitifs. Libérez les bombyx !

Alain Faujas

PHOTO - HUZHOU, CHINA - MAY 25: A silkworm farmer feeds silkworms fresh mulberry leaves at the Qianjin Township on May 25, 2007 in Huzhou of Zhejiang Province, China. Since ancient times, Huzhou is known as "the Home of Silk in China", due to being the origin of world-famous "Silk Road". China leads in silk and cocoon production and trade, with more than 70 percent of global shares bringing in about US$4 billion from foreign exchange annually.

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