lundi 1 mars 2010

" Consensus de Pékin " - Serge Halimi

Le Monde diplomatique - Février 2010, p. 1

Paraphrasant une formule célèbre de Mao Zedong du 1er octobre 1949, le président Hu Jintao, son lointain (et éloigné) successeur, a estimé soixante ans plus tard : " Aujourd'hui, la Chine est debout grâce aux réalisations du socialisme. " Le relèvement est éclatant ; le pays n'est plus depuis longtemps ni humilié ni dépecé par l'Europe et par le Japon. Mieux, une partie de sa population devient prospère. Mais le socialisme, c'est une autre affaire... Tellement étrangère à la réalité qu'on peut même avancer que la croissance chinoise (de 9,6 % en 2008, de 8,7 % en 2009) a en partie suppléé une locomotive américaine en panne. Et ainsi contribué à la convalescence d'un système capitaliste qui venait d'essuyer sa principale bourrasque depuis 1929. Blessée à Wall Street, la mondialisation s'est rétablie à Shanghaï.

Lorsque le fond de l'air était rouge, la formule " le vent d'est l'emportera sur le vent d'ouest " annonçait autre chose que l'accession de la Chine au rang de premier exportateur mondial et d'eldorado pour les chaînes d'hypermarchés : Carrefour y possède cent cinquante-six magasins ; le britannique Tesco, soixante-douze ; le géant américain Wal-Mart serait moins puissant sans la surexploitation des travailleurs chinois qui lui permet d'écraser les prix (et ses concurrents).

Si c'est à l'aune de telles transformations qu'on doit mesurer le basculement du monde, il n'a aucune raison d'effaroucher certains milieux d'affaires occidentaux. Le Wall Street Journal se pourlèche d'ailleurs les babines : " La Chine demeure un marché extrêmement attractif pour les entreprises occidentales en quête de croissance. Chacun reconnaît que ce sont les marchés émergents qui sortent le monde de la récession (1). " Singulièrement moins enthousiaste, le syndicat américain des métallurgistes a demandé à Washington d'engager contre la Chine des poursuites pour dumping...

Mais on ne peut plus résumer le " modèle chinois " à une plate-forme d'exportation qui carbure aux bas salaires ; le pays cherche à orienter son développement vers le marché intérieur et à multiplier les liens avec les économies régionales. Une zone commerciale comparable à l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena) ou à l'Union européenne apparaît déjà. Elle favorisera, comme c'est souvent la règle, les secteurs les plus puissants du pays dominant. Or, dépassant le Japon, certes beaucoup moins peuplé, la Chine devrait devenir cette année la deuxième économie du monde. Et même la première d'ici à 2026, d'après la banque américaine Goldman Sachs.

A quoi emploiera-t-elle sa puissance ? Ni les sommets du G20 ni celui de Copenhague n'ont encore permis de déceler en elle l'avocate des pauvres ou des pays du Sud. Son modèle de développement séduit, mais surtout ceux qui aimeraient concilier croissance économique, libéralisme commercial et stabilité au pouvoir d'une oligarchie mi-politique, mi-industrielle (2). On trouve de plus en plus de partisans de ce " consensus de Pékin " dans les rangs du patronat occidental...

Note(s) :

(1) Patience Wheatcroft, " Don't begrudge China's exports coup ", The Wall Street Journal, New York, 12 janvier 2010.
(2) En 2005, plus du tiers des patrons du secteur privé étaient membres du Parti communiste chinois.

PHOTO - A paramilitary policeman patrols while the other stands guard in front of a portrait of former Communist Party chairman Mao Zedong at Tiananmen Square in Beijing, March 1, 2010. China should build the world's strongest military and move swiftly to topple the United States as the global "champion", a senior Chinese PLA officer says in a new book reflecting swelling nationalist ambitions.

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