Quand il a pris la barre du numéro un mondial de l'automobile, en juin 2009, Akio Toyoda savait qu'il allait rencontrer du gros temps. Le groupe japonais venait de terminer l'exercice 2 008 sur les premières pertes de son histoire (3,53 milliards d'euros), et l'actionnariat grondait. Mais Akio n'est pas un Toyoda pour rien. Son grand-père Kiichiro, audacieux technicien fondateur du groupe, en 1937, et son père Shoichiro, qui l'a présidé de 1992 à 1999, montraient la voie. Il a été formé pour le poste. Alors, devant 3 300 actionnaires - un record -, il n'a pas hésité.
Respectueux des convenances, il a laissé s'exprimer son prédécesseur Katsuaki Watanabe. Puis il a pris la parole, histoire de planter le décor. C'était clair, la nouvelle direction du géant de Nagoya s'engageait pour " un voyage au coeur de la tempête ".
Le monde, lui, découvrait le nouveau dirigeant d'un géant dont la fameuse méthode de production fait rêver tant d'industriels. Né en mai 1956, diplômé de la faculté de droit de la prestigieuse université Keio, l'homme apparaissait sans grand charisme mais doté d'une présence certaine. Sa réputation ? Agréable, attentionné, dynamique, brillant sans avoir le génie de son père ou de son grand-père, selon l'entourage.
Surtout, Akio Toyoda incarne une nouvelle génération de dirigeants au sein du groupe. Il possède un MBA, obtenu au fameux Babson College du Massachusetts, preuve d'une maîtrise des ressorts de la globalisation et de sa langue, l'anglais. C'est d'ailleurs les arcanes de cette globalisation que le groupe peine encore à maîtriser. " Il est un des rares chez Toyota à avoir un tel profil international ", juge Yoshio Sakuma, de l'Institut d'études économiques internationales.
Après quelques années dans un cabinet américain de conseil, Akio Toyoda rejoint Toyota en 1984. " Son père Shoichiro a voulu qu'il s'imprègne du TPS, le système de production Toyota ", explique l'Américain Jeffrey Liker, auteur du best-seller Le Modèle Toyota. Il l'a envoyé dans la meilleure école pour cela, l'OMCD, le puissant groupe de conseil sur la gestion des opérations, chargé de transmettre les fondamentaux du système de production Toyota et de mener des expérimentations pour l'améliorer.
Là, il a appris à concevoir des projets, travailler pour réaliser des performances de haut niveau et diriger une équipe. " Il aime travailler en groupe, note M. Sakuma. Cela date de l'université, où il était membre de l'équipe de rugby. "
Sa carrière lui permet de découvrir l'ensemble des opérations du groupe. De 1998 à sa prise de pouvoir, il passe par différents postes, sur les marchés importants, Etats-Unis, puis Chine, avant de revenir au Japon. Quand il devient président, il n'a que 53 ans. Un jeune, selon les critères du monde des affaires japonais.
Ce choix n'est pas considéré par les analystes comme le meilleur pour un groupe qui emploie 300 000 personnes et produit près de 8 millions de véhicules par an. Mais tout le monde reconnaît qu'Akio Toyoda a l'avantage de bien connaître l'entreprise. " Le problème avec les autres dirigeants, c'est qu'ils sont tous des spécialistes d'un domaine, précise M. Sakuma. Ils n'ont pas de vision globale du groupe. "
De fait, les vingt-cinq ans passés par Akio Toyoda à l'école Toyota n'ont pas été inutiles. Il n'est pas un ingénieur, certes, mais il adore les voitures. Au point de s'être aligné au volant de la nouvelle Lexus LF-A en 2009 pour une course sur le circuit allemand du Nürburgring. Il a également tenu un blog sur la compétition et la construction automobiles. C'est là qu'il a comparé la conception d'une voiture au " minutieux travail de restauration des sanctuaires shinto ".
Sa connaissance des véhicules lui vaut la considération de ses plus farouches opposants, et a conduit Masaaki Sato, auteur de La Maison Toyota, à le qualifier " d'obsédé des voitures ". Elle lui donne une certaine crédibilité quand il affirme que la prochaine génération de véhicules sera celle des hybrides.
Or ce savoir-faire et ses acquis sont mis à rude épreuve depuis que le constructeur affronte de nouvelles difficultés. La tempête souffle toujours, mais le vent mauvais vient d'ailleurs. Les affres de la crise, extérieures à l'entreprise, ont cédé la place aux problèmes internes. Depuis novembre 2009, les rappels aux Etats-Unis, puis dans le monde, de millions de véhicules pour des défauts de fonctionnement d'accélérateur sur certains modèles, de frein sur d'autres, et les questions récurrentes sur la fiabilité du contrôle électronique, remettent en cause l'organisation du constructeur. Akio Toyoda a reconnu la nécessité d'un " retour aux fondamentaux ".
Pressentait-il ces difficultés le 2 octobre 2009, quand il citait le spécialiste américain du management Jim Collins, auteur de How the Mighty Fall. Peut-être. Dans cet ouvrage, l'auteur détaille cinq étapes qui précèdent la chute de grandes entreprises. Parmi elles, " l'arrogance née du succès " et la " poursuite effrénée du toujours plus ". Pour Akio Toyoda, Toyota n'était pas loin d'avoir franchi quatre de ces étapes du déclin. Le constat ne l'empêche pas de se trouver sous le feu des critiques pour son long silence sur les problèmes de rappels, que ses multiples apparitions depuis le 5 février, notamment pour présenter ses excuses, ne suffisent pas à faire taire. Et les quelques mots maladroitement prononcés en anglais n'ont rien arrangé.
Des doutes s'expriment désormais sur sa capacité à diriger le numéro un mondial de l'automobile. Son audition, le mercredi 24 février, devant le Congrès américain, pour répondre aux questions de la commission chargée des problèmes de Toyota, inquiétait son entourage. Il ne s'en est pas trop mal sorti, selon Jeffrey Liker, qui doutait " de sa force, en public, face à des politiques ". Il valait mieux d'ailleurs, puisqu'il doit aller prochainement en Chine pour se livrer au même exercice de contrition et d'explication.
Toyota n'a pas d'autre choix que de s'en remettre à lui. Le profil particulier d'Akio Toyoda fait qu'il n'y a personne pour le remplacer. Surtout, " il porte en lui l'amour de la compagnie et l'exigence d'excellence dont faisaient preuve les autres membres de la famille ", observe Jeffrey Liker. Pour le constructeur japonais, seule une personne " qui a une connaissance profonde de la méthode Toyota peut ramener le groupe à ses fondamentaux ".
Et à ceux qui douteraient de ses capacités à prendre des décisions, ses proches rappellent qu'il a déjà remplacé 40 % des cadres dirigeants du groupe. S'il n'est pas le meilleur orateur que Toyota ait connu, s'il apparaît parfois plus comme un coordinateur qu'un véritable décideur, il est déterminé à sortir son entreprise de la tempête.
Philippe Mesmer
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