mardi 30 mars 2010

INTERVIEW - Agnès b : « Je lance un appel pour défendre le savoir-faire français »

Les Echos, no. 20647 - Industrie, mercredi, 31 mars 2010, p. 21

AGNÈS TROUBLÉ PDG ET STYLISTE DE LA SOCIÉTÉ AGNÈS B

La fondatrice de la marque Agnès b inaugure aujourd'hui à Paris le salon de la haute façon « made in France » qui regroupe les ateliers de confection français, sous traitants des grandes maisons de luxe. Jusqu'à jeudi soir, 80 d'entre eux exposent leur savoir-faire à la bourse du commerce. Avec la crise, cette filière de la mode qui compte environ 5.000 emplois directs est menacée. Agnès b a participé ces derniers mois aux discussions entre le gouvernement, les marques de luxe et les façonniers pour sauver ce savoir-faire français. Un engagement que cette patronne très « sociale » défend depuis la création de sa société. Elle va envoyer ses équipes sur le salon pour trouver de nouveaux fournisseurs spécialistes notamment des vêtements pour enfants et des accessoires.

Agnès Troublé

PDG et styliste de la société Agnès b

La fondatrice de la marque agnès b. inaugure aujourd'hui à Paris le Salon de la haute façon « made in France », qui regroupe les ateliers de confection français, sous traitants des grandes maisons de luxe. Jusqu'à jeudi soir, 80 d'entre eux exposent leur savoir-faire à la Bourse du commerce. Avec la crise, cette filière de la mode, qui compte environ 5.000 emplois directs est menacée. agnès b. a participé ces derniers mois aux discussions entre le gouvernement, les marques de luxe et les façonniers pour sauver ce savoir-faire français. Un engagement que cette patronne très « sociale » défend depuis la création de sa société. Elle va envoyer ses équipes sur le Salon pour trouver de nouveaux fournisseurs spécialistes notamment des vêtements pour enfants et des accessoires.

La marque agnès b. est-elle encore fabriquée en France ?

Nous sommes le premier donneur d'ordre français dans la mode. Depuis la création du groupe en 1979, je me suis engagée à faire fabriquer en France. Aujourd'hui, selon les collections, près de 50 % de notre production sont réalisés dans l'Hexagone. Nous travaillons avec une dizaine de confectionneurs, spécialistes du flou (jupe), des pantalons, de la maille, dont certains depuis l'origine de la maison. En trente ans, nous en avons perdu la moitié. Ces fournisseurs que je rencontre régulièrement, qui viennent chez nous, à nos défilés, représentent au total près de 650 emplois. Ils ont appris à travailler ensemble et se serrent les coudes.

Cette filière est-elle menacée ?

Les difficultés ne datent pas d'hier. Cela remonte à une quinzaine d'années. J'ai envoyé un courrier il y a un an à Christine Lagarde pour l'alerter sur la situation de ces fabricants, qui empire. Il est de plus en plus en plus dur pour ma société de maintenir une partie de sa production en France. Nos confectionneurs ont trop de charges et ne sont plus compétitifs. En plus, ils sont pénalisés par un euro fort. La crise a rendu les choses encore plus difficiles. Notre sous-traitant EMO installé à Troyes, qui réalise nos tee-shirts rayés, a vu ses commandes chuter de 50 % l'an dernier. La société a été placée en redressement judiciaire et bénéficie d'un plan de continuation. Elle a dû réduire ses effectifs. Nous continuons bien sûr de travailler avec elle. Mais force est de constater que nos partenaires disparaissent les uns après les autres, et avec eux, des savoir-faire. Ce qui nous contraint à chercher des fournisseurs ailleurs. Il n'y a par exemple plus de façonniers en France qui travaillent sur l'homme. Nous sommes contraints de faire faire nos costumes en Roumanie. Nos jeans, eux, viennent du Maroc. Nous nous approvisionnons aussi en Tunisie, à l'île Maurice et en Chine, notamment pour les pulls en cachemire.

Si agnès b. continue de fabriquer en France, pourquoi les marques de luxe ne le pourraient-elles pas ?

C'est clair, mes collègues sont en quête d'un maximum de profit. agnès b. n'est pas une marque de luxe. Hors du cuir, nos prix vont de 115 euros pour une jupe à 625 euros pour un manteau en drap de laine. Pourtant, nous restons fidèles à nos fournisseurs, c'est une question d'éthique. Comme les coûts de production sont plus élevés en France, nous faisons une gymnastique en établissant un prix moyen en fonction de nos coûts de revient les moins élevés et les plus chers. Les consommateurs sont prêts à payer plus pour de la qualité. En plus, nos vêtements ont un style intemporel qui permet de les garder longtemps.

Le fait d'être un groupe familial facilite-t-il cette stratégie ?

Effectivement, nous ne sommes ni Zara ni H&M. Notre chiffre d'affaires s'élève à 214 millions d'euros, avec 1.950 salariés, et un réseau de 246 boutiques dans le monde. Ce qui nous permet de rester à notre mesure, avec un volume de pièces fondé sur de petites séries qui peut être réalisé dans l'Hexagone.

Mais les maisons de luxe qui gagnent beaucoup d'argent doivent elles aussi produire plus en France. Je leur lance un appel. La responsabilité collective de défendre le savoir-faire français leur incombe. Certaines marques font faire des prototypes par des ateliers français et n'hésitent pas à confier ensuite la production à l'étranger. C'est immoral. Il faut respecter ses fournisseurs. Le « made in France » est un atout, surtout pour les entreprises de luxe qui vendent beaucoup à l'étranger. En disant cela, je ne fais pas de protectionnisme. Il est urgent de se mobiliser.

Mais les maisons de luxe qui gagnent beaucoup d'argent doivent elles aussi produire plus en France. Je leur lance un appel. La responsabilité collective de défendre le savoir-faire français leur incombe. Certaines marques font faire des prototypes par des ateliers français et n'hésitent pas à confier ensuite la production à l'étranger. C'est immoral. Il faut respecter ses fournisseurs. Le « made in France » est un atout, surtout pour les entreprises de luxe qui vendent beaucoup à l'étranger. En disant cela, je ne fais pas de protectionnisme. Il est urgent de se mobiliser.

Le savoir-faire français a-t-il une valeur auprès de la clientèle étrangère ?

Tout à fait, une marque française, c'est un style à la française, une main-d'oeuvre qualifiée, avec une notoriété liée un patrimoine reconnu dans le monde entier. Un vêtement « made in China », cela ne fait rêver personne. Il faut travailler sur la création d'un label, mais qui ne sera accordé que pour une fabrication 100 % locale. Il ne faut pas tromper le consommateur. Si un jour, il a l'impression qu'on le gruge, sa réaction sera terrible.

Je viens de lancer une nouvelle étiquette « agnès b, fabriqué en France », qui sera désormais apposée sur toute notre fabrication française. Nos clients en Asie, qui représentent la majorité de nos ventes à l'export, y sont de plus en plus sensibles. Au Japon, nos tee-shirts rayés fabriqués par EMO sont très demandés.

Je viens de lancer une nouvelle étiquette « agnès b, fabriqué en France », qui sera désormais apposée sur toute notre fabrication française. Nos clients en Asie, qui représentent la majorité de nos ventes à l'export, y sont de plus en plus sensibles. Au Japon, nos tee-shirts rayés fabriqués par EMO sont très demandés.

Que pensez-vous de la charte initiée par le gouvernement, entre les marques et leurs ateliers ?

C'est une bonne chose, mais elle fait surtout référence au secteur du luxe, alors qu'agnès b. est le premier donneur d'ordres des façonniers. Il faudrait donc étendre la discussion aux autres marques intermédiaires, moyen de gamme, tout autant représentatives du style français, comme Isabelle Marant ou Vanessa Bruno. Je trouve aussi cette charte trop timide. Si on obligeait les marques à fabriquer en partie en France, cela permettrait de baisser les coûts de production. Nous manquons aussi d'une école de formation aux métiers de la mode plus pragmatique, comme la Saint Martin School à Londres, qui intègre stylisme et management. Enfin, il faut soutenir les jeunes créateurs qui, sans ateliers en France, ne pourront pas se lancer.

A travers la Fondation agnès b., j'accueille des créateurs dans mes boutiques, car ils n'ont aucun lieu pour montrer leur travail. J'appelle cette initiative le « nid du coucou ». Je propose aussi des stages à des jeunes qui souhaitent se lancer dans la mode pour qu'ils découvrent avec mon équipe comment se réalise une collection.

A travers la Fondation agnès b., j'accueille des créateurs dans mes boutiques, car ils n'ont aucun lieu pour montrer leur travail. J'appelle cette initiative le « nid du coucou ». Je propose aussi des stages à des jeunes qui souhaitent se lancer dans la mode pour qu'ils découvrent avec mon équipe comment se réalise une collection.

PROPOS RECUEILLIS PAR DOMINIQUE CHAPUIS

Encadré(s) :

agnès b. en dix dates

Née le 23 novembre 1941 à Versailles. 1973. Création de sa marque. 1975. Ouvre sa première boutique aux Halles. 1980. Première boutique à New York. 1983. Création d'une société commune au Japon 1984. Ouvre la galerie du Jour. 1995. S'allie au Club des créateurs de beauté pour une ligne de cosmétiques. 1997. Création d'une société de production de films, Love Streams. 2004. Première boutique en Chine. 2005. Rachète les parts de Sazaby dans la coentreprise au Japon. 2009. Officier de la Légion d'honneur.

PHOTO - French designer Agnes B. appears at the end of her Fall-Winter 2010/2011 men's fashion show in Paris January 24, 2010.

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1 commentaires:

Kris a dit…

Merci de cette démarche pour défendre la marque 'Made in France'. Nous partageons non seulement votre politique, mais nous aussi fabriquons une marque de luxe, fabriqué en France. De toute façon les grands groupes ne font pas la croissance économique pour l’avenir, c’est au PME de créer des produits exceptionnels, d’excellente qualité et vivre sur les marges moins importantes. A l’instar des médias sociaux, il n’était jamais aussi facile (et peu coûteux) de lancer de nouveaux produits, donc plus besoin de dépenser une fortune en publicité, plus besoin de payer des grands chefs ! Laissez les clients parlent de vous……