Treize quotidiens chinois viennent de prendre une initiative aussi audacieuse qu'inédite : lundi 1er mars, ces journaux ont publié le même éditorial demandant au gouvernement de supprimer le passeport intérieur, le hukou.
Instauré à la fin des années 1950, durant l'ère maoïste, il continue de régir en partie la vie des Chinois, dont la mobilité est limitée par ce système d'enregistrement destiné à maîtriser les flux de population entre la ville et la campagne.
A quelques jours de l'ouverture, vendredi, de la session de printemps de l'Assemblée nationale populaire (ANP), l'unique marqueur de la vie politique, ce que l'on peut considérer comme un rare événement médiatique prend une signification toute particulière. L'ANP, qui siège au Palais du peuple, place Tiananmen, est le seul endroit où peuvent être " débattus " des projets de réformes voulus et encadrés par la direction du Parti communiste.
" La Chine a souffert depuis longtemps sous le système du hukou ", affirme l'éditorial commun publié dans ces quotidiens des provinces de Canton, de Mongolie intérieure, du Henan, du Fujian, de la municipalité de Chongqing, etc. " Nous pensons que les citoyens sont nés libres et que les gens doivent disposer du droit de se déplacer en toute liberté. Nous demandons aux délégués - les députés - de faire tout leur possible pour annoncer un calendrier de réforme du hukou. "
Les rédacteurs en chef de ces journaux qui, en dépit du contrôle strict exercé sur les médias, n'hésitent pas à aborder des questions sociales sensibles ont dû s'écarter un peu trop des marges admissibles : quelques heures après leur publication sur Internet, les éditoriaux ont disparu. Même le Quotidien du peuple, l'organe central du Parti communiste chinois (PCC), qui avait mentionné l'initiative, a opéré une retraite rapide.
Le pouvoir est d'accord pour faire évoluer le système d'enregistrement mais beaucoup d'intérêts sont en jeu et une réforme trop rapide est difficilement pensable, estiment les experts. Le hukou, à sa manière, est une institution clé de l'histoire d'un parti toujours sourcilleux face à toute proposition de réforme susceptible de remettre en question sa légitimité.
Introduit en 1958, ce système a été l'un des instruments clés du contrôle du pouvoir sur la société. Il désavantage les ruraux au profit des citadins, le but étant de limiter les migrations des campagnes vers les centres urbains.
La mesure apparaît dépassée dans le contexte du miracle économique chinois : " Le hukou fait aujourd'hui plus de mal que de bien et accentue le fossé entre populations rurales et urbaines ", remarque le quotidien hongkongais The South China Morning Post.
L'équivalent chinois de ce qui s'appelait la propiska en Union soviétique continue de corseter les citoyens de la République populaire dans un maillage limitant leurs déplacements et leurs droits aux avantages sociaux.
En dépit d'un assouplissement du système, nombre des centaines de millions de travailleurs migrants venus des campagnes construire les villes nouvelles de Chine ne disposent toujours pas du hukou. Enregistrés dans leur lieu de naissance, ils n'ont pas accès aux mêmes services que les citadins : scolarisation des enfants, prise en charge des frais médicaux...
Au mois de février, l'injustice de ce système a été une fois de plus mise en lumière quand les responsables du département de l'éducation de Pékin ont annoncé qu'une trentaine d'écoles " illégales " - où sont scolarisés une vingtaine de milliers d'enfants de " travailleurs paysans " - devront être détruites pour laisser la place à des projets de développements urbains.
Selon certaines sources, 250 000 enfants nés dans la capitale sont privés du droit à l'éducation. Dans le même temps, la presse officielle a annoncé que jamais, depuis le début des réformes économiques du début des années 1980, les différences de revenus entre ruraux et citadins n'avaient été aussi criantes.
PHOTO - Gilles Sabrié / Le Monde
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