Chine, USA : les peuples doivent rester maîtres de leurs richesses monétaires
Pour équilibrer de leur point de vue le fonctionnement du capitalisme, les dirigeants de ce système disent vouloir le moraliser et en encadrer les activités. Mais en plus de ces voeux pieux, ils espèrent, sans le proclamer, pousser la Chine à mettre l'épargne de ses ménages à la disposition des marchés capitalistes.
Cette deuxième orientation, qui correspondrait à un enracinement toujours plus profond du capitalisme dans le monde, n'a pas été couronnée de succès puisque l'on a vu le grand chef blanc se fâcher en février contre l'ami éternel de novembre. Lorsque les gouvernants de la Chine ne vont pas dans le sens souhaité par les puissants de l'autre bord, on prétend jouer avec eux au dalaï-lama. Cette stratégie politique, simple à déchiffrer, s'accompagne toutefois d'une argumentation économique contradictoire que l'on examine succinctement.
Le premier pôle de rééquilibrage concernerait le taux de change dollar-RMB. La monnaie chinoise serait sous-évaluée. En réévaluant le yuan (tout en « libérant » le crédit et les marchés, cela va de soi), les exportations chinoises deviendraient plus chères. Ainsi l'économie américaine pourrait-elle mieux faire face à la concurrence chinoise, exporter davantage, réduire son déficit commercial. Au terme de ce processus, la valeur d'échange du dollar tendrait à se stabiliser au lieu de se déprécier comme aujourd'hui. Bien des critiques ont été énoncées pour contrer ce raisonnement hypothétique. Nous en retenons deux.
Tout d'abord, cette façon de rééquilibrer les affaires du monde ferait supporter uniquement à la Chine le poids des ajustements nécessaires. Que ce pays réévalue fortement sa monnaie ne va pas stabiliser pour autant la politique monétaire impériale des États-Unis. L' ajustement du yuan contre le dollar devrait donc être permanent. Ensuite, le tissu industriel américain a été ravagé par la mondialisation capitaliste, comme tend à l'être son homologue européen. La capacité exportatrice des États-Unis mais aussi et peut-être surtout la construction d'un nouveau tissu productif ne seront pas atteints sans la mise en oeuvre d'une politique volontariste de longue haleine. Ce que suggèrent les capitalistes américains est de rééquilibrer l'économie par les prix (la valeur du yuan) alors que l'exigence, aux États-Unis mêmes, est celle d'une politique économique de moyen et long terme guidée par les besoins populaires.
La deuxième proposition de rééquilibrage, de nature inverse et adverse, est celle de la monnaie commune mondiale. On réglerait les problèmes actuels engendrés par la gestion américaine du dollar en instituant, au plan bancaire, une sorte de parlement mondial et démocratique. En ce qui concerne la partie chinoise, on doit éviter les fausses idées sur cette proposition, qu'elle a pourtant avancée. Les Chinois sont pratiques et peu portés sur le batifolage théorique. Lors d'une réunion mondiale censée résoudre durablement la crise, ils sont venus avec une question et non une solution. La valeur de leur stock de dollars tendant à diminuer constamment, pourquoi accepteraient-ils d'être dépouillés en permanence des fruits de leur travail ? Mais en ce qui concerne la pensée communiste française, l'illusion est au contraire totale. Tout se passe comme si, venant à une conférence mondiale traitant de la paix, ses adeptes proclamaient que nous sommes tous frères. En supposant, en effet, que les institutions de la monnaie commune mondiale soient démocratiquement mises sur pied (ce qui est aujourd'hui irréaliste) pour des finalités démocratiques, il leur faudrait établir un système de contraintes et disposer du pouvoir d'imposer aux États et aux peuples (aux États-Unis dans l'immédiat) une réelle discipline sous peine d'inflation généralisée. Paradoxalement, il lui faudrait prendre en charge une grande partie de la dette américaine et l'échanger contre des DTS, qui iraient alors dans les trésors des États ayant aujourd'hui trop de dollars. Mais en même temps il faudrait briser la mondialisation capitaliste et sa structure marchande financière, puisque les problèmes actuels du dollar en proviennent. Cette proposition est technocratique. Elle définit une fin sans indiquer les moyens d'y parvenir. Elle serait donc fragile.
C'est pourquoi nous suggérons de réfléchir autrement, la difficulté majeure consiste à briser la mondialisation capitaliste. Cela se fera ou ne se fera pas, mais c'est la condition nécessaire de tout changement en profondeur du système actuel. Les peuples doivent rester maîtres de leurs richesses monétaires (car c'est l'image de leur travail) et de leurs richesses réelles (car c'est le fruit de leur travail). Il faut donc admettre que le monde doive être segmenté sous l'angle de la circulation des capitaux, contrairement au grand capital, qui veut le globaliser. Chaque zone aménagerait alors l'usage de sa monnaie conformément à son niveau technique et culturel de développement, et aux exigences zonales en matière de besoins et de révolution scientifique. Le problème à résoudre pour les peuples ne serait donc pas, selon nous, de réévaluer le yuan (c'est dérisoire). Ce ne serait pas non plus de créer une monnaie commune mondiale (romantisme technocratique) mais de penser et de mettre en pratique la gestion mondiale des monnaies zonales. Les obstacles à surmonter pour y parvenir sont immenses. Mais de toute façon la révolution ne consiste pas à substituer la main invisible de la lutte des classes à la main invisible du marché. Elle consiste à éclairer et à réaliser à la vitesse des peuples le cheminement vers d'autres fins que le capitalisme.
Par jean-claude delaunay, économiste.
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