La Chine est devenue, en 2009, le premier importateur de vins de Bordeaux - hors de l'Union européenne - détrônant les Etats-Unis, où les volumes importés ont chuté de 27 %.
Surproduction, baisse de la demande intérieure, effets pervers de l'euro fort... Par les temps qui courent, les occasions de pavoiser sont rares pour la filière viticole française. Alors on se prend à espérer l'éclosion de nouveaux marchés, qui viendraient remédier au marasme des grands anciens. Londres et New York font triste mine ? Rêvons à Pékin et Shanghai.
De fait, le marché chinois a tout pour exciter les convoitises. Pensez, plus d'un milliard de consommateurs (1,3 milliard d'habitants), une croissance fulgurante, et un appétit dévorant pour le mode de vie occidental... Pour l'heure, malgré une spectaculaire croissance depuis trente ans, causée entre autres par une série de campagnes officielles menées pour détourner les Chinois des eaux-de-vie, la consommation moyenne reste d'un demi-litre de vin par personne et par an (à comparer aux 51 litres en France, avec 64,7 millions d'habitants). Autrement dit, en Chine, on ne boit pas un milliard de bouteilles par an. C'est dire l'immense potentiel de croissance du marché.
A ceux qui douteraient qu'un jour l'empire du Milieu s'éveille au vin, rappelons un précédent qui a de quoi faire saliver plus d'un exportateur. L'histoire commence aux dernières heures de la Chine impériale, en 1903, dans la concession allemande de Qingdao (province du Shandong). Pour répondre à la demande des populations européennes, qui réclamaient une bière " occidentale ", une petite brasserie anglo-allemande, la Nordic Brewery, est fondée. Malgré les tourments du siècle, l'entreprise, rebaptisée Tsingtao, connaîtra une des plus spectaculaires réussites commerciales du XXe siècle. De 1978 à 2004, elle profite d'une croissance de... 80 % par an en moyenne ! Dans le même temps, la production passe de 4 millions à 291 millions d'hectolitres, tandis que la consommation moyenne de bière des Chinois passe de 3 à 20 litres par an. En une génération, la République populaire est devenue le plus gros consommateur de bière au monde.
De là à imaginer une explosion similaire du marché du vin, qui profiterait, naturellement, aux vignobles européens, il n'y a qu'un pas. Qu'il serait déraisonnable de franchir trop vite : si les élites chinoises semblent goûter les vins européens (surtout les rouges, pour des raisons culturelles), ce n'est pas demain que la classe moyenne se passionnera pour les subtilités des grandes appellations françaises.
Pour l'instant, les Chinois consomment avant tout des produits locaux. En 2005, plus de 450 000 hectares étaient plantés en Chine, ce qui représente le cinquième vignoble au monde. Seule une petite partie des raisins récoltés est destinée aux caves. Mais le pays a largement les moyens de son autosuffisance, et s'emploie à remédier à la faible qualité de ses vins.
Il y a plus de trente ans, dans un petit essai prophétique, La Mort du vin (réédité par La Table ronde dans sa " Petite vermillon ", en 2006), l'écrivain Raymond Dumay soulignait : " Il est assez cocasse d'entendre des Français (...) déclarer sans rire qu'un territoire dont la superficie est égale à vingt fois la nôtre ne saurait offrir aucune terre comparable à notre modeste terroir. " Il parlait des Etats-Unis, mais la remarque vaut aussi bien pour la Chine.
Remarquant que la fortune des grands vignobles est toujours allée de pair avec le prestige politique de l'Etat qui les abritait, Dumay prophétisait le déclin inéluctable des vins de la vieille France, plusieurs années avant que n'émergent commercialement les vins du Nouveau Monde. Et poursuivait : " Le marché américain est si vaste que nous pouvons être tentés de nous rassurer en pensant qu'il nous assurera toujours une petite place. Rien n'est moins sûr (...) : chaque civilisation fait un vin d'un goût différent de celui qui l'a précédé. "
Faut-il en conclure, si l'on suit à la lettre ce raisonnement, que les vins chinois viendront dans quelques années concurrencer sur leur terrain ceux de la Vieille Europe, et que des grands crus venus du Yunnan voisineront chez les cavistes avec les grands bourgognes et bordeaux ? Depuis deux ans, l'auteur de ces lignes demande à chacun de ses collègues partant pour la Chine de lui rapporter une bouteille de vin local. Le résultat de ce sondage, forcément limité, est sans appel : les vignerons du Vieux Monde ont encore plusieurs années de tranquillité devant eux.
Jérôme Gautheret
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