Très sollicité depuis qu'il a reçu le prix Nobel de littérature, l'écrivain français cherche à préserver sa liberté et cultive le croisement des arts.
Gao Xingjian a eu « au moins » trois vies. La première en Chine, où l'écrivain a connu la censure. La deuxième en France où il s'est exilé en 1987. La troisième a commencé lorsqu'il a reçu le prix Nobel de littérature en 2000. « Ce prix a totalement changé mon existence, constate-t-il aujourd'hui, dans un soupir, mi-las, mi-amusé. J'ai été l'objet de sollicitations de toutes parts, sur tous les sujets : politique, social, art, littérature, cinéma... » Les conséquences de cette récompense ont fini par nuire à sa santé. « J'ai été récemment accablé par de grands problèmes », confie-t-il, partageant avoir même « frôlé la mort ». « Maintenant, je reviens au calme. Je bataille pour reprendre mon temps, mon propre rôle d'écrivain. » Pour mener à bien cette lutte, l'homme, âgé de 70 ans, a choisi de se faire plus rare. Il décline désormais les propositions d'interviews et nombre d'invitations. Mais comme il n'a pas renoncé à rencontrer son public, on peut parfois le croiser au détour d'une « lecture- rencontre » ou d'un festival. Là, auprès d'un public restreint de fidèles et de curieux, il aime toujours échanger sur son travail de création.
Les honneurs n'y ont rien changé, l'écrivain est resté avide de liberté. « Je me suis rendu compte que toutes ces sollicitations et obligations me tenaient hors de moi. J'avais un rôle de décoration, de circonstance, qui au fond ne servait à rien. » La liberté, Gao Xingjian en connaît le prix, celui de l'exil qu'il a accepté pour échapper à la censure de la Chine communiste. Il est désormais convaincu qu'elle se conquiert contre les lois du marché et les modes, fussent-elles celles du « monde culturel ». Comme hier, il est toujours convaincu que la meilleure place pour l'écrivain est « à la marge de la société, afin qu'il puisse observer calmement et procéder à son introspection ». À distance de l'ébullition médiatique, il se consacre à la seule effervescence qui compte à ses yeux, celle de la créativité.
Sa toute dernière pièce de théâtre, Ballade nocturne, encore non publiée, va être montée à la Cartoucherie de Vincennes (1). S'il continue d'écrire en chinois, les mots se posent parfois en français sous sa plume. « C'est un vrai défi pour moi de voir si je peux vraiment écrire en français. Pourquoi ne pas le faire, puisque je n'ai pas de public chinois... »
Son appétit créatif a aussi raison des frontières entre les arts, qu'il traverse en allers-retours permanents, avec une certaine allégresse. « Depuis toujours » l'artiste peint à l'encre de Chine, sur papier de riz, jouant du lavis et de ses dégradés de gris et de noirs. À distance des courants, il revendique une approche « ni abstraite, ni figurative », cherchant simplement « à exprimer dans une forme des visions intérieures, floues et très éphémères ». Des « évocations », comme il les appelle, que chacun « peut interpréter par ses propres expériences vécues ».
Dernièrement, ce gourmand de la création a aussi goûté au cinéma. « J'ai attendu 50 ans avant de réaliser le film que je voulais faire. » Pour atteindre « ce rêve », il n'a pas cédé devant les multiples sollicitations de réalisateurs, après le prix Nobel, « qui attendaient de moi un film de chinoiseries qui se vende bien ». Par un mélange d'obstination et de chance, son film a pourtant vu le jour en 2006, grâce à deux amis vidéastes qui se sont mis à son tempo et ont accepté de le suivre... pendant quatre ans ! Pour l'occasion, l'écrivain est devenu chorégraphe, a fait évoluer six danseurs à l'intérieur de ses peintures, ravi d'avoir inventé de l'« inclassable », du « ciné poème ». « Je peux expérimenter toutes les formes artistiques, sauf la danse parce que je suis trop vieux pour danser, concède-t-il malicieux. Le film n'a pas connu de diffusion commerciale. Qu'importe, je suis resté fidèle à mon plaisir. »
En 2000, le jury du prix Nobel de littérature choisit de distinguer cet écrivain français d'origine chinoise pour son « oeuvre de portée universelle, marquée d'une amère prise de conscience et d'une ingéniosité langagière, qui a ouvert des voies nouvelles à l'art du roman et du théâtre chinois ». Né en 1940 en Chine orientale, Gao Xingjian est diplômé en français de l'Institut de langue étrangère de Pékin. Envoyé en camp de rééducation pendant la Révolution culturelle (1966-1976), il a connu la censure, avant de finir par s'installer en France comme réfugié politique en 1987. Après le massacre de Tian An Men de 1989, il quittera le Parti communiste chinois et ne reviendra plus en Chine.
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