Quatre cadres du groupe minier sont jugés aujourd'hui à Shanghai pour espionnage industriel et corruption dans une affaire trouble mêlant commerce, diplomatie et politique.
Les états-majors des grands groupes étrangers travaillant en Chine vont suivre avec beaucoup d'intérêt le procès de quatre employés de Rio Tinto qui s'ouvre ce matin à Shanghai. Pendant trois jours, Stern Hu, un Australien qui dirigeait le bureau du groupe minier dans la zone, et trois de ses collaborateurs chinois -Ge Minqiang, Liu Caikui et Wang Yong -vont être jugés, en partie à huis clos, pour espionnage industriel et corruption. Ils avaient été arrêtés et mis au secret le 5 juillet dernier dans un climat confus qui avait provoqué une grave détérioration des relations sino-australiennes et alimenté l'inquiétude des investisseurs occidentaux.
Dans les jours précédant son arrestation, cette équipe de Rio Tinto s'était retrouvée impliquée dans des négociations avec des représentants des grands groupes sidérurgistes chinois pour tenter de déterminer le prix moyen du minerai de fer livré à la Chine par les producteurs étrangers.
Apaiser la polémique
Traditionnellement difficiles, ces tractations, qui opposent chaque année les sidérurgistes asiatiques aux groupes miniers Vale, Rio Tinto et BHP Billiton, s'étaient révélées particulièrement tendues en 2009 et avaient, quelques jours après l'arrestation des cadres de Rio Tinto, même fini par capoter. Très remontées, les autorités chinoises avaient alors laissé entendre que les quatre cadres de Rio Tinto avaient versé puis accepté des pots de vin pour échanger des informations sur les positions de négociation des sociétés chinoises. Le groupe australien ayant vivement nié les accusations, beaucoup d'observateurs étrangers avaient soupçonné Pékin d'avoir voulu faire payer à la société le blocage des négociations sur le prix du minerai de fer ainsi que l'échec, quelques semaines plus tôt, d'un investissement du géant public Chinalco dans Rio Tinto.
Huit mois après la retentissante arrestation, Rio Tinto et le gouvernement chinois tentent désormais d'apaiser la polémique politique et affirment que le différend n'est plus qu'un problème judiciaire qui ne pèse pas sur leurs relations commerciales. Ce matin, Tom Albanese, le PDG de Rio Tinto, doit intervenir à Pékin dans une conférence aux côtés d'officiels chinois et, vendredi, son état-major a signé un important projet de partenariat avec Chinalco (lire ci-dessus). De leur côté, les autorités de Pékin ont affirmé que l'affaire serait jugée en toute transparence et indépendance et dénoncé toute tentative de « politisation » du dossier.
Malgré ces prises de position, les observateurs étrangers vont guetter le déroulement et l'issue du procès car il les renseignera sur l'actuel état d'esprit du régime communiste, qui a récemment vu ses relations bilatérales se tendre avec plusieurs de ses partenaires occidentaux. « Probablement, le procès sera formellement parfait. Le pouvoir chinois ne veut pas prendre le risque de fauter sur un détail technique. Mais, sur le fond de l'affaire, c'est le Comité de jugement, lié au Parti communiste, qui se prononcera. Et, comme toujours, cette décision sera éminemment politique », prévient un juriste européen.
Le procès Rio Tinto s'ouvre, un test pour Pékin - Julie DesnéLe Figaro, no. 20415 - Le Figaro Économie, lundi, 22 mars 2010, p. 26
Le procès se tient en pleines négociations internationales sur le prix du minerai de fer.
Observé par le monde entier, le procès Rio Tinto, qui s'ouvre aujourd'hui à Shanghaï, est l'aboutissement de près d'un an de tensions commerciales entre la Chine et le géant minier anglo-australien Rio Tinto. Ce sera aussi un test politique pour Pékin, qui a promis la transparence.
Quatre employés de Rio Tinto comparaissent à partir d'aujourd'hui pour « corruption » et « vol de secrets commerciaux » : l'Australien Stern Hu, responsable du bureau de Shanghaï de Rio Tinto, et trois de ses collaborateurs chinois. Lors de leur arrestation en juillet 2009 à Shanghaï, ils avaient été accusés d'avoir volé des secrets d'État, c'est-à-dire des informations hautement sensibles sur la position chinoise à la table des négociations sur le prix du minerai de fer.
Depuis le début de l'affaire Rio Tinto, négociations commerciales et poursuites judiciaires coïncident étrangement. L'arrestation de Stern Hu et de ses collaborateurs est intervenue au moment où les négociations sur le prix du minerai de fer étaient en train de capoter et un mois après le rejet par les actionnaires de Rio Tinto d'une hausse de la participation du géant chinois de l'aluminium Chinalco dans le capital du groupe.
Partenariats en Afrique
En début d'année, l'annonce de la fin de l'enquête est tombée au moment où les négociations sur les prix pour l'année 2010-2011 débutaient, sans la Chine. Comme chaque année, les grands groupes miniers qui dominent le marché mondial - Rio Tinto, l'autre anglo-australien, BHP Billiton, et le brésilien Vale - se mettent d'accord avec leurs principaux acheteurs - Japon, Chine, Europe - sur un prix valable pour l'année à compter du 1er avril. Mais les groupes miniers ont cette fois décidé de discuter d'abord avec leurs acheteurs japonais.
L'an dernier, les aciéristes chinois sont restés sur une position très ferme. Aucun accord n'avait été trouvé. Les sidérurgistes avaient fini par payer le prix du marché, 80 % au-dessus des prix négociés. Cette année, les pourparlers s'annoncent encore houleux. Les miniers pourraient chercher à sécuriser des augmentations de 50 % à 90 %, selon les sources. Une hausse difficile à accepter pour les aciéristes chinois.
Mais Rio Tinto espère bien poursuivre ses affaires dans un pays devenu la principale destination de ses exportations l'an dernier, avec 24,3 % de ses ventes. L'anglo-australien multiplie les gestes amicaux. Un nouveau responsable pour la Chine a ainsi été nommé le mois dernier. Le choix de Ian Bauert n'est pas anodin. Ce sinophile et sinophone avait créé au milieu des années 1980 le premier bureau de Rio Tinto en République populaire. De son côté, Tom Albanese, PDG du groupe, est arrivé à Pékin hier pour assister à un forum économique.
La semaine dernière, sa société signait un partenariat avec le géant chinois de l'aluminium, Chinalco, pour un investissement dans une mine en Guinée. Selon la presse australienne, des discussions seraient également en cours pour des projets en Mongolie et en Australie.
© 2010 Le Figaro. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire