mercredi 24 mars 2010

Les juges chinois peaufinent leur décision dans le procès Rio Tinto

Les Echos, no. 20643 - Marchés, jeudi, 25 mars 2010, p. 32

Les 4 cadres de Rio Tinto, accusés de corruption et de vol de secrets commerciaux, pourraient attendre plusieurs semaines avant d'être fixés. Leur procès a révélé des coutumes troubles accompagnant les négociations commerciales en Chine.

Il n'aura finalement fallu que deux jours et demi aux trois juges d'une cour de Shanghai pour boucler, hier à la mi-journée, l'un des procès les plus suivis de ces dernières années par la communauté d'affaires en Chine. Depuis lundi, les magistrats jugeaient 4 cadres du géant minier anglo-australien Rio Tinto, qui sont accusés d'avoir volé des secrets commerciaux et reçu pour plus de 11,25 millions de dollars de pots-de-vin dans le cadre de la négociation de livraisons de minerai de fer à des sidérurgistes chinois.

Commentant peu les rebondissements du procès, qui s'est en grande partie déroulé à huis clos, les avocats des prévenus, un Australien et trois Chinois qui travaillaient à Shanghai jusqu'à leur arrestation en juillet, ont reconnu que leurs clients avaient admis certaines charges de corruption, mais contesté les montants cités par l'accusation. Rien n'a en revanche transpiré sur leur stratégie de défense dans le volet concernant le vol de secrets commerciaux.

Comme souvent dans le pays, les juges vont désormais disposer de plusieurs jours avant de se prononcer sur cette affaire qui avait provoqué une grave dégradation des relations sino-australiennes et jeté un froid parmi les entreprises étrangères. « Dans certains dossiers compliqués, les juges prennent plusieurs semaines avant de communiquer leur décision », pointe un avocat travaillant à Pékin. « Le cas étant, cette fois, particulièrement sensible, ils vont discuter avec le Comité de jugement, lié au Parti, qui a probablement suivi l'intégralité du procès dans une salle annexe ainsi qu'avec la cour d'appel pour assurer une harmonie de points de vue », précise-t-il.

Aveux et excuses

Hier, la plupart des experts ayant suivi l'affaire estimaient que des peines de plusieurs années de prison allaient certainement être prononcées contre les quatre accusés, mais que les juges pourraient prendre en compte la reconnaissance de certains faits. Une disposition du droit chinois prévoit, en effet, des peines inférieures pour les inculpés admettant leurs fautes. Une autre réduction est envisageable si les accusés sont excusés par leurs victimes.

Si certains observateurs étrangers semblent estimer que la reconnaissance d'une partie des accusations de corruption n'est qu'une stratégie de défense, d'autres pointaient l'environnement trouble des grandes tractations commerciales dans le pays. Il est ainsi commun de « remercier » financièrement un négociateur ayant permis la signature d'un contrat avantageux. Selon l'un des trois médias d'Etat chinois ayant été autorisés à suivre une partie du procès, le milliardaire Du Shuanghua, qui a fondé Rizhao Steel, l'un des grands groupes sidérurgiques de la côte est du pays, a d'ailleurs reconnu, dans une lettre, qu'il avait versé, il y a quelques années, 9 millions de dollars à l'un des accusés pour obtenir un traitement préférentiel, lors de l'achat de minerai de fer. « Sans son aide, ma société n'aurait jamais pu atteindre sa taille d'aujourd'hui », aurait précisé le patron, qui, grâce aux livraisons régulières de minerai, négocié à un tarif stable, avait pu accroître, au fil des ans, la production d'acier de son groupe privé et résister, un temps, aux opérations de fusions forcées avec des géants d'Etat, ordonnées par Pékin. Après un long bras de fer politique, Du Shuanghua avait finalement dû céder, en septembre dernier, le contrôle de son entreprise au groupe public Shandong Steel.

MASSIMO PRANDI

PHOTO - The Chinese national flag is raised in front of the Shanghai No.1 Intermediate People's Court in Shanghai on March 23, 2010 where the diplomatically sensitive trial of an Australian executive with mining giant Rio Tinto resumes for the second day after opening with his admission that he had taken bribes. Stern Hu and three Chinese employees of the Anglo-Australian company went on trial on March 22 in a case that has soured relations between Beijing and Canberra, and stoked concerns about doing business in China and its rule of law.



Le jugement est très attendu dans le procès des cadres de Rio Tinto à Shanghaï

Le Monde - Economie, jeudi, 25 mars 2010, p. 12

Il faudra attendre plusieurs jours, voir plusieurs semaines, avant que le tribunal intermédiaire numéro un de Shanghaï rende son jugement sur l'affaire d'espionnage et de corruption mettant en cause des dirigeants du groupe minier australien Rio Tinto. Le Sino-Australien Stern Hu, ex-directeur de Rio Tinto à Shanghaï, ainsi que trois cadres locaux du groupe, ont plaidé coupable sur l'accusation de corruption. Il leur est reproché d'avoir reçu des pots-de-vin de la part d'acheteurs chinois. Ils contestent le montant de près de 12,5 millions de dollars (9,3 millions d'euros) avancé par le parquet populaire.

L'audience s'est close mercredi 24 mars. Les quatre prévenus ont dû répondre à huis clos de l'accusation d'avoir acheté des " secrets commerciaux ", soupçonnés d'avoir donné un avantage compétitif indu à Rio Tinto. Les salariés du groupe minier avaient été arrêtés par la sécurité publique le 5 juillet 2009, quelques jours après l'échec des pourparlers entre Rio Tinto et les acheteurs chinois sur un prix garanti pour 2009-2010.

Pékin se défend de " politiser " l'affaire, qui a pour fond la perception ambivalente de la Chine par les Australiens : les achats et les investissements directs chinois dans des actifs australiens dopent l'économie du pays, mais ils font craindre une trop grande dépendance. Les Chinois ont, eux, pris comme une rebuffade l'acquisition avortée de Rio Tinto par Chinalco en juin 2009. L'affaire s'inscrit aussi dans le contexte chaotique du marché chinois du fer, où tous les coups sont permis.

Homme-clé du groupe

Plaider coupable, dans un système judiciaire chinois peu réputé pour son indépendance, peut en tout cas rendre les juges plus indulgents. Quant à Rio Tinto, il aurait, selon le quotidien The Australian, mené un audit interne pour s'assurer que les comptes de la société étaient en règles.

Originaire de Tianjin, d'abord responsable de Rio Tinto dans le nord de la Chine, naturalisé australien en 1997, devenu chef des ventes au plan national, Stern Hu était l'homme-clé du groupe minier en Chine. Il supervisait le marché du premier pays producteur d'acier de la planète, dont les 800 sidérurgistes se livrent une concurrence féroce. Le gouvernement central peine à discipliner le secteur. Selon le site d'information économique en ligne Caixin, qui cite les avocats des prévenus, Stern Hu est accusé d'avoir empoché 6 millions de yuans (654 000 euros). Ses trois subalternes, Liu Caikui, Ge Minqiang et Wang Yong, auraient reçu respectivement 3,7 millions, 6,9 millions et 70 millions de yuans. Les aciéries privées impliquées seraient la Rizhao Steel, dans le Shandong, ainsi que de " petites aciéries privées du nord de la Chine ".

Le procès et son dénouement sont surveillés de près par les investisseurs étrangers, inquiets d'avoir vu des Danone, Google ou Rio Tinto " trébucher " en Chine : " Toutes ces affaires ont pour effet de générer de nouveaux questionnements dans les états-majors des multinationales, qui découvrent les risques de la Chine ", constate Charles-Edouard Bouée, président Asie du cabinet de conseil en stratégie Roland Berger à Shanghaï. " Les décideurs font donc face à des injonctions contradictoires, presque paradoxales : on leur dit que la Chine sera leur premier pôle de croissance, mais que d'un autre côté, il y a des risques ", poursuit ce spécialiste de la Chine, qui conseille de " trouver bon équilibre entre recul et action. Ne pas surréagir, ni sous-réagir. "

Brice Pedroletti

PHOTO - Australian Consulate General Tom Connor walks away from journalists after attending a trial at the Shanghai's No. 1 People's Intermediate Court March 23, 2010. Four Rio Tinto executives, including Australian Stern Hu, faced a second day of trial in China on Tuesday, confronting charges of infringing commercial secrets after pleading guilty to taking bribes but contesting the alleged amounts.

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