Le nouvel ambassadeur de Chine à Genève est l'étoile montante d'une diplomatie de plus en plus musclée.
He Yafei à Genève? La nouvelle en a surpris plus d'un - y compris au sein de la communauté chinoise locale. Le nouvel ambassadeur de Chine auprès de l'ONU à Genève - qui vient de prendre ses fonctions - est en effet considéré comme l'étoile montante de la diplomatie chinoise. Vice-ministre des Affaires étrangères jusqu'à fin 2009, il a été l'un des «sherpas» du président Hu Jintao lors des sommets du G20 et le membre le plus en vue de la délégation chinoise à la conférence de Copenhague sur le climat. Il est représentatif de cette diplomatie chinoise plus musclée, plus sûre d'elle - plus arrogante, n'hésitent plus à dire certains diplomates occidentaux.
Est-ce le signe d'une plus grande importance accordée par Pékin au système onusien et aux organisations spécialisées ayant leur siège à Genève en particulier? C'est ce que n'hésite pas à répondre l'intéressé, qui explique que les organisations internationales de Genève peuvent aider son gouvernement dans sa politique de «développement harmonieux» alors que la Chine entre dans une phase de tensions sociales délicate.
N'est-ce pas plutôt une punition? C'est l'hypothèse émise début janvier par un journal de Hongkong, Sing Tao. He Yafei aurait fait les frais du «désastre» de Copenhague en termes de relations publiques, la Chine étant accusée par les Européens et les Américains d'avoir bloqué un accord plus ambitieux. The Guardian, dans un portrait consacré à He Yafei, rappelle son rôle clé lors de ce sommet où il a remplacé - dans la fonction de bouclier - le premier ministre Wen Jiabao aux réunions les plus cruciales. Exaspéré, Barack Obama avait déclaré à son propos: «Ce serait bien de pouvoir négocier avec quelqu'un qui puisse prendre une décision politique.» «He Yafei a été un bouc émissaire», tranche le quotidien britannique.
«Il n'y a pas de punition, ce n'est pas vrai, précise le diplomate au Temps. C'est une évolution de carrière tout à fait normale.» Né en 1955 dans la province du Zhejiang (proche de Shanghai), He Yafei a été en poste au Zimbabwe et aux Etats-Unis. Il a également été chargé des questions de désarmement ainsi que du Département des affaires nord-américaines. Il connaît par ailleurs bien Genève. De 1986 à 1987, il a suivi des cours à l'Institut de hautes études internationales (IHEI) avec l'obtention d'un diplôme. «Ces cours diplomatiques ont été très utiles pour ma carrière. J'en garde un très bon souvenir.» Le jeune diplomate est alors au bénéfice d'une bourse d'étude de la Confédération. «J'en suis très reconnaissant au gouvernement suisse.»
Frédéric Koller
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Le Temps: Quelle est l'importance de la Genève internationale pour la diplomatie chinoise? He Yafei: Ces dernières années, plusieurs défis globaux ont été du ressort d'organisations spécialisées de l'ONU basées à Genève. Il est donc légitime de dire que l'importance de Genève grandit. Depuis vingt ans, Genève a été une importante ligne de front de la diplomatie multilatérale de la Chine. Beaucoup de questions discutées ici - le désarmement, les droits de l'homme, la santé, la propriété intellectuelle, les télécommunications, etc. - sont directement reliées aux intérêts de la Chine en matière de sécurité et de développement. Nous espérons que, avec une participation profonde et générale au travail des organisations internationale basées ici, nous pourrons apprendre les bonnes pratiques et les bonnes expériences des autres pays et bénéficier de l'expertise de ces organisations. - La Chine va-t-elle jouer un plus grand rôle au sein de l'ONU étant donné son nouveau poids économique et politique? - Ces dernières années, nous voyons plus de Chinois accéder à de hautes fonctions dans le système onusien. Nous sommes fiers de Margaret Chan qui est à la tête de l'OMS. Il y a d'autres exemples. Cela reflète la plus grande intégration de la Chine dans le système international. Depuis le début de cette année, la Chine est le 8e contributeur au budget régulier de l'ONU, derrière sept pays industrialisés. Et la Chine est de loin le principal contributeur de troupes de maintien de la paix parmi les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. - Comment évaluez-vous le rôle du Conseil des droits de l'homme? Faut-il le réformer? - Rien n'est parfait dans ce monde. Le Conseil a été créé pour promouvoir et protéger les droits de l'homme à travers le dialogue et la coopération. Ces quatre dernières années, on peut dire qu'il a accompli sa tâche et qu'il est dans la bonne voie. Même s'il y a encore des problèmes comme le «deux poids deux mesures», la politisation, les obstacles techniques, ses réussites sont largement reconnues. A ce stade, la situation des droits de l'homme dans 112 pays, dont la Chine, a été soumise au mécanisme de la Revue périodique universelle. Le Conseil n'a pas besoin d'être «réformé». Je préfère parler de «révision». C'est ce que demande la résolution 60/251 de l'Assemblée générale. - La Chine invoque souvent les valeurs asiatiques ou le confucianisme pour contrer les critiques sur son propre bilan. Les droits de l'homme sont-ils une valeur universelle? - La Chine respecte l'universalité des droits de l'homme et croit que tous les droits de l'homme sont interdépendants et reliés. Elle a ratifié plus de 20?instruments internationaux des droits de l'homme. Si elle reconnaît cette universalité, elle croit aussi à la diversité de la culture, de l'histoire et à la différence des systèmes sociaux ainsi que des niveaux de développement entre pays qui peuvent conduire à des compréhensions diversifiées des droits de l'homme. Pour beaucoup de Chinois, les valeurs asiatiques ou confucéennes sont aussi importantes que les critères des droits de l'homme. Ils ne sont pas en conflit, mais se complètent et se renforcent. - La Chine fait des progrès dans le domaine des libertés. Mais le monde ne comprend pas pourquoi vous avez emprisonné à des peines de plus de 10 ans de prison des intellectuels comme Hu Jia et Liu Xiaobo simplement pour leurs écrits? - La Chine est basée sur l'Etat de droit (rule of law). Nous avons notre propre loi avec nos propres procédés judiciaires. Et les personnes que vous mentionnez sont soumises à une procédure judiciaire appropriée. En Chine nous avons une loi chinoise, en Suisse vous avez une loi suisse. Nous pouvons être en désaccord. Que vous l'aimiez ou non, c'est un autre problème. Il n'est pas question de dure condamnation ou de dur traitement, tout est fait en respect de la loi chinoise. - On a beaucoup commenté les relations sino-américaines. Que pensez-vous de la théorie d'un G2 qui dirigerait le monde? - Nous n'acceptons pas la suggestion d'un G2. La Chine est un pays en voie de développement avec une énorme population et elle a un long chemin à faire avant d'être moderne. Elle poursuit en toute indépendance sa politique étrangère de paix et ne s'aligne avec aucun pays ou bloc de pays. Dans le même temps, nous reconnaissons que la coopération sino-américaine peut jouer un rôle unique pour établir un nouvel ordre politique et économique international. Dans les tensions récentes entre les deux pays - que ce soit avec les ventes d'armes à Taïwan ou la rencontre des leaders américains avec le dalaï-lama -, la responsabilité n'est pas du côté chinois. Nous espérons que les Etats-Unis travailleront avec nous pour construire une relation positive basée sur la coopération. - Le Sommet de Copenhague était un événement majeur en termes diplomatiques. Quelle impression en retenez-vous, était-ce dur? - Les négociations sur le climat sont un processus des Nations unies qui implique plus de 190 Etats depuis quinze ans. L'attention donnée au problème du changement climatique et le discours de certains scientifiques sur le réchauffement global sont la source de grandes inquiétudes dans beaucoup de pays. Il y a différentes vues. Nous pensons que c'est un problème très sérieux et que la communauté internationale doit le traiter sérieusement. - Pourquoi le président Hu Jintao n'y a-t-il pas participé, contrairement à beaucoup d'autres chefs d'Etat? - Ce devait être une rencontre ministérielle et non un sommet. Mais plus d'une centaine de chefs d'Etat et de gouvernement sont allés à Copenhague. La participation du premier ministre Wen Jiabao a démontré l'importance que la Chine accordait à cette conférence. L'accord de Copenhague n'est pas idéal, mais il marque un grand progrès. Bien sûr que ce sont des négociations difficiles parce que les problèmes sont difficiles. Il y avait des vues différentes par exemple sur les objectifs de réduction d'émission de CO2 ou sur les procédures de vérification. Heureusement, dans un esprit de coopération, nous avons obtenu un consensus et un accord. Ce n'est pas la fin de la négociation, c'est un pas. - Angela Merkel a critiqué la Chine, qui ne voulait aucun objectif chiffré même pour les pays industrialisés. - Je ne crois pas que ce soit une description correcte de la négociation. Il y a différentes positions sur cette question. Nous pensons que notre position est la meilleure non seulement pour la Chine mais pour le monde dans son ensemble, en particulier pour les pays en voie de développement. Ce n'est pas qu'un problème de changement climatique. C'est une question de développement économique pour tous les pays. J'ai un grand respect pour la chancelière Merkel, elle est très capable, mais les pays ont certainement des différends, c'est normal. - Y a-t-il un «modèle» chinois de capitalisme autoritaire? - Ces étiquettes sont peu claires. Je ne pense pas qu'elles soient correctes. Le monde est coloré. Les gouvernements dans différents pays sont choisis par leur peuple. En Chine, nous avons un gouvernement du peuple. C'est un gouvernement établi sur la base de la démocratie. Vous allez peut-être être surpris... - Sans élections. - Avec des élections bien sûr. L'essence de la démocratie est de respecter le choix d'autres personnes. Si vous n'avez qu'un modèle de démocratie, c'est contre l'essence de la démocratie. Si vous dites que ce que vous avez en Suisse est le meilleur, et donc que tous les autres modèles sont non démocratiques, vous allez contre le principe de la démocratie. En Chine, le gouvernement est choisi par le peuple. Et l'histoire a montré que le gouvernement était très apprécié. - Quand est-ce que la Chine adoptera le multipartisme comme à Taïwan? - Taïwan n'est pas un pays mais un territoire chinois. Quel que soit le gouvernement, du moment qu'il est choisi par son peuple, il a le droit d'exister, qu'il soit issu d'un parti unique ou du multipartisme. Dans la Constitution chinoise, vous verrez qu'il y a plusieurs partis associés au gouvernement. Donc ce débat sur quel modèle est le meilleur n'a pas lieu d'être. © 2010 Le Temps SA. Tous droits réservés.
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