Patrick Thomas, 62 ans, à la tête, depuis 2006, du groupe Hermès, dévoile sa vision du luxe d'ici à dix ans, et ses projets, parmi lesquels le lancement d'une marque chinoise à l'automne, nommée Shang Xia.
Quelles sont les perspectives du secteur du luxe ?
Sur le plan macroéconomique, 2011 et 2012 seront plus difficiles que 2009-2010, car les Etats vont resserrer les fiscalités sur les catégories de clients les plus aisées. Il faudra bien rembourser les énormes déficits aux Etats-Unis et en Europe. Pour Hermès, je suis confiant. Nous fonctionnons dans une stratégie d'offre, en proposant des objets conformes à notre style, notre savoir-faire, notre créativité. L'acte d'achat est un acte de désir.
Et à plus long terme ?
Le marché du luxe va se segmenter. Il y aura toujours de plus en plus de demandes pour le luxe " justifié ", c'est-à-dire les belles matières, un savoir-faire, des choses exceptionnelles, comme Patek Philippe, Leica ou Roederer... Mais de moins en moins pour le " masstige ", ou le " faux luxe ", que j'oppose au prestige, c'est-à-dire des marques qui proposent des objets assez banals en y apposant une marque prétendument de luxe.
Le marché retrouvera-t-il ses belles années de croissance ?
Pour ceux qui font des produits exceptionnels, même les marchés matures vont continuer à croître. Pour Hermès, la bonne vieille Europe et les Etats-Unis se sont encore développés. Il reste un potentiel de croissance, même si le rythme ne sera plus le même que celui des grandes années du luxe. Le client achètera un objet dont le prix reflète une réelle valeur. Il n'achètera plus du vent.
Comment se dessine la nouvelle carte mondiale du luxe ?
Les ventes en Chine, à Macao, à Hongkong explosent. Le Moyen-Orient est en plein essor, comme la Russie - même si elle a souffert de la crise. D'ici cinq ans, l'Amérique latine, le Brésil, le Mexique prendront la relève doucement. Comme l'Indonésie et les Philippines. Enfin, d'ici dix ans, ce sera l'Inde. C'est un pays plus difficile, car il a ses savoir-faire extraordinaires, mais il reste handicapé par un niveau de taxes horriblement élevé. Nos produits y sont vendus deux fois plus cher qu'en Europe !
Vous allez lancer cet automne une marque chinoise, Shang Xia. Quelles sont vos ambitions ?
Développer en Chine une gamme d'objets qui fonctionne sur la même philosophie qu'Hermès. Il ne s'agit pas de faire une seconde ligne de produits, ni la première marque de luxe chinoise, mais de démarrer une activité d'objets d'usage, de services à thé, vêtements, mobilier d'exception. Si on arrive un jour à créer une marque, je serai très fier.
Allez-vous maintenir vos investissements ?
Nous avons d'énormes gisements de croissance organique, grâce aux quatorze métiers du groupe. Faire de la croissance interne est plus simple et moins risqué que des acquisitions. Notre rythme d'ouverture de sept à huit boutiques par an va se ralentir, afin de ne pas nous banaliser, de garder une stratégie de valeur mais pas de volume. Nous ouvrirons là où nous ne sommes pas, à Sao Paulo, Saint-Pétersbourg, Mumbai... tout en augmentant la taille de certains magasins existants.
Est-ce que les métiers d'Hermès vont évoluer ?
Quand je suis entré chez Hermès en 1989, 50 % de l'activité était réalisée dans la soie et 15 % dans la maroquinerie. Aujourd'hui, celle-ci représente 45 % et la soie 15 %. Le fonds de commerce a changé. Nous prévoyons d'étoffer notre gamme dans l'art de vivre, la maison, le mobilier, les tissus d'ameublement. Hermès se développera aussi dans les commandes spéciales - sur-mesure pour clients privilégiés - .
La contrefaçon restera-elle un problème majeur ?
Le problème, c'est surtout la Chine. Quand leurs propres créateurs se développeront, ils comprendront pourquoi il est si important de les protéger. Pourtant, aujourd'hui, les autorités chinoises sont plus coopératives que l'Italie pour lutter contre la contrefaçon. Ces problèmes devraient s'amoindrir à l'avenir.
Dans cinq ans, Hermès sera-t-il plus opéable qu'aujourd'hui ?
Toute entreprise cotée est opéable si le prix est suffisamment séduisant. Mais je ne crois pas qu'Hermès soit plus facilement opéable dans dix ans qu'aujourd'hui. Nous avons la chance d'avoir une famille d'actionnaires qui attache bien plus d'importance au long terme qu'à la richesse qu'ils détiennent. La cinquième génération, celle de Jean-Louis Dumas, a fait preuve d'une grande fidélité au capital. La sixième génération, celle de Pierre-Alexis Dumas, devrait faire preuve du même attachement. Après, no comment. Je serai bien fou de me prononcer.
Propos recueillis par Nicole Vulser
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