Trop bas, le yuan attise le débat.
Une monnaie sous-évaluée assure à la Chine son leadership sur les exportations et garantit sa croissance.
La violente bataille commerciale qui fait rage autour du taux de change de la monnaie chinoise, le yuan, pourrait être le premier choc de titans de la globalisation. De son issue dépendent l'avenir de la Chine - qui vient de ravir à l'Allemagne sa place de premier exportateur mondial - et celui des économies des pays du Nord qui dominaient les échanges internationaux. Un yuan relativement bas par rapport aux grandes monnaies (le dollar, l'euro et le yen) permet à la puissance exportatrice chinoise d'attirer toujours davantage d'entreprises occidentales sur son territoire pour assembler des produits d'exportation bon marché. Ce mécanisme permet à Pékin d'accumuler des surplus énormes, d'entretenir une croissance à deux chiffres et d'employer des centaines de millions de ses citoyens.
Comment la Chine tient un yuan bas ?
En achetant massivement des dollars et autres devises occidentales sur les marchés internationaux depuis 2003 afin de déprécier sa propre monnaie, selon le Prix Nobel d'économie américain Paul Krugman. En 2003, la Chine «ajoutait, près de 10 milliardsde dollars [7,4 milliards d'euros, ndlr] tous les mois à ses réserves de change. Aujourd'hui, Pékin en ajoute plus de 30 milliards de dollars par mois, et ses réserves sont estimées à 2 400 milliards», explique-t-il. Le Fonds monétaire international estime qu'elles devraient augmenter de 450 milliards de dollars d'ici à la fin de l'année. Pour Krugman, cette «politique de taux de change est la plus biaisée qu'un pays ait jusqu'alors mis en pratique, Et [cette stratégie] constitue un frein à une reprise économique dans le monde».
S'agit-il d'une «manipulation» ?
«Non», s'est emporté récemment le premier ministre chinois, Wen Jiabao, en fustigeant ceux qui le laissent entendre. Balayant d'un revers de veston les pressions internationales émanant des Etats-Unis, d'Europe et du FMI, il a affirmé que le yuan «restera globalement stable». La Chine se présente toujours comme un pays pauvre. «Cela prendra 100 ans, et même plus, pour que [nous Devenions] un pays moderne», A décrété, le 15 mars, Wen Jiabao. En réalité, la Chine est à la fois un pays riche et un pays pauvre. Le revenu moyen des citadins est plus de trois fois supérieur à celui des ruraux. Ce qui signifie qu'il y a une Chine développée, mais aussi un «tiers-monde» chinois, qui n'est pas prêt de disparaître puisque l'écart de revenus ne cesse de se creuser, faisant du pays l'un des plus inégalitaires au monde.
Quelle est la stratégie de Pékin ?
La Chine cherche à tout prix à maintenir sa place de puissance exportatrice dominante. Pour ce faire, elle stimule sa montée en gamme en obligeant les entreprises occidentales à transférer un maximum de leurs technologies, finance massivement la recherche et bataille contre le protectionnisme des pays-clients occidentaux (les tribunaux de l'OMC ont reçu cette année plus de plaintes émanant de Chine que de tout autre pays). Mais elle cherche tout autant à conserver sa domination sur les exportations de produits bas de gamme qui ont fait sa réussite. Il est donc essentiel que le coût de la main-d'oeuvre demeure très bas, l'interdiction des syndicats permettant de circonscrire les revendications ouvrières. Mais la Chine est tributaire de la loi du marché, et les salaires augmentent malgré tout, mettant en péril cette domination. Mais ces revenus sont exprimés en yuans : d'où l'intérêt, essentiel pour Pékin, de maintenir sa monnaie basse. Cette approche possède aussi un «avantage» protectionniste, en rendant les importations chères.
Quel impact aurait un yuan plus élevé ?
Les conséquences seraient économiques et politiques. Le coût de la main-d'oeuvre reste l'attrait essentiel du produit chinois. Même dans un cas tel que le marché du TGV en Arabie Saoudite (entre Médine et La Mecque), que Pékin est en passe de remporter, «le prix est l'avantage compétitif numéro 1 de la Chine», explique au Financial Times Dominique Pouliquen, le directeur Asie d'Alstom. Pour Pékin, donc, laisser les bas salaires augmenter dans des proportions excessives aurait pour conséquence une perte de compétitivité qui mettrait ses usines au régime sec, conduisant à un chômage massif susceptible de créer des troubles sociaux et politiques. La crise économique mondiale faisait courir ce risque à Pékin en 2009. Il l'a évité en mobilisant rapidement ses réserves pour enclencher un plan de relance étatique gigantesque qui a permis d'absorber la main-d'oeuvre en surplus. Mais un relèvement du taux du yuan aurait des conséquences plus graves que la crise mondiale, et reviendrait à se tirer une balle dans le pied. Et surtout à déprécier ces avoirs en bons du Trésor américain. Car la Chine est devenue, au fil des années le pays qui achète le plus de ces bons. Bref, le pays le plus endetté au monde (les Etats-Unis) se finance essentiellement grâce au surplus monétaire chinois. Renchérir le taux de change du yuan reviendrait à déprécier d'autant la valeur des actifs financiers américains détenues par la Chine. Et à rompre ce lien de dépendance...
Par Philippe Grangereau correspondant à Pékin
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