Giec, Grenelle de l'environnement, principe de précaution... : les deux anciens ministres de l'Éducation débattent du poids de l'écologie dans notre société. Ils plaident pour une écologie de l'innovation et de la rationalité, à l'encontre de l'idéologie de la décroissance et de l'autopunition.
LE FIGARO. - Claude Allègre, dans « L'Imposture climatique ou la fausse écologie », vous dénoncez le « mythe du réchauffement climatique » et les « alarmistes » qui en ont diffusé l'idée. Le moins qu'on puisse dire est que vous n'y allez pas de main morte...
Claude ALLÈGRE.- Le climat dans cent ans doit-il être notre priorité? Surtout quand on sait qu'un enfant dans le monde meurt toutes les six secondes, du fait de la malnutrition? Quand on sait que plusieurs milliers de personnes meurent chaque jour par manque d'eau potable? Sans oublier les 25 millions de chômeurs en Europe? On a réuni 120 chefs d'État à Copenhague pour discuter du climat. Il n'y en avait pas un au sommet de la FAO, et pas un au sommet de l'eau, l'année d'avant. C'est scandaleux. Et comment ne pas voir que la stratégie mise en oeuvre depuis la réunion de Kyoto a échoué? Les dégagements de CO2 ne font que s'accélérer! En outre, il est vain de penser qu'on va pouvoir contrôler le développement de la Chine et de l'Inde. Il faut donc changer de stratégie. Je ne suis pas un partisan des dégagements de CO2 : ils acidifient l'océan et, à terme, nul doute qu'ils auraient une influence sur le climat. Mais aux teneurs actuelles, il est difficile d'établir que le CO2 est la cause principale des changements climatiques. Basées sur des modèles mathématiques, ces prédictions se sont avérées fausses. Elles n'expliquent pas la légère décroissance que l'on observe depuis douze ans!
Luc FERRY.-Je crois que l'écologie pose mal les vrais problèmes auxquels nous sommes confrontés, notamment par rapport à l'entrée de l'Inde et la Chine dans la mondialisation et la logique de consommation à l'occidentale. D'un côté, nous avons besoin de la croissance en Europe, sans laquelle les entreprises font faillite et le chômage s'accroît. De l'autre, et ici les écologistes ont raison, la croissance au niveau mondial n'est pas tenable. L'économiste Daniel Cohen a montré que si l'Inde et la Chine avaient le même nombre de voitures que nous, par tête d'habitant, il faudrait dix planètes pour vivre! Voilà le coeur du dilemme. Si nous ne voulons pas de la décroissance qui détruirait nos économies, nous devons offrir à l'Inde et à la Chine des solutions qui reposent sur l'innovation scientifique et technique. Par exemple, des habitations basse consommation ou des voitures électriques. Si on imagine qu'en mettant une taxe carbone en France on va impressionner les Chinois, on se trompe! Pour eux, le développement économique est mille fois plus important que la question du climat.
Claude Allègre, vous mettez en cause avec virulence le Giec, Groupe intergouverne-mental d'experts sur l'évolution du climat. Que lui reprochez-vous?
C.A.- La recherche scientifique consomme beaucoup d'argent et les scientifiques doivent justifier leurs recherches pour attirer les crédits. Tous les ans, lors du vote du budget de la Nasa, huit jours avant, on vous décrète que peut-être il y a de la vie sur Mars! C'est du lobbying. Même phénomène avec les épidémies! Les gens qui travaillent sur l'épidémiologie vous disent : les épidémies, c'est terrible! Idem dans le secteur de la climatologie. Les responsables du Giec l'ont proclamé : si nous ne sommes pas alarmistes, personne ne nous écoutera! Sauf que le système est en train de s'effondrer car on va vers une stabilisation et un refroidissement. Ces gens ont érigé le consensus en principe, la pire des choses en science et ils se sont trompés! Je crains que la science n'en fasse les frais! Il aurait mieux valu dire qu'on ne connaît pas bien le rôle des nuages et de l'océan et qu'on ne peut prédire l'avenir. Et que par précaution, il est souhaitable de mieux contrôler l'émission de CO2 dans l'atmosphère.
Pour vous, cette attitude alarmiste relève d'une démarche idéologique?
C.A.- Et clanique, comme vient de le montrer la pétition lancée contre moi qui a été condamnée par de nombreux intellectuels. Elle demandait au pouvoir politique de contrôler mes livres. Ahurissant! Mais la question va au-delà : est-il nécessaire qu'il y ait un Giec, autrement dit un organisme qui décide de la vérité transformée en dogme international? Si on fait cela dans d'autres domaines, on va tuer la science. En outre, je voudrais insister sur la question de la « psychologie sociale ». Les Américains ont foi en l'idée que l'Amérique va résoudre les problèmes. Nous, Européens, les jeunes en particulier, sommes découragés. L'idéologie de la décroissance participe de cette tendance dépressive. Enfin, par rapport à la Chine et à l'Inde, il faut se garder d'une attitude néo-impérialiste. Ce qu'il faut, c'est coopérer avec eux, par exemple en développant l'isolement des bâtiments (40 % de la dépense énergétique), le photovoltaïque, la voiture électrique, le nucléaire 4e génération, la géothermie. C'est ce que font un certain nombre de nos entreprises, loin des tintamarres du style Copenhague!
L.F.- Ce que dénonce Allègre procède d'un état d'esprit qui dépasse l'écologie. Nous avons assisté ces dernières années en Europe à une véritable prolifération des peurs. Peur du sexe, de l'alcool et du tabac, peur des poulets et de la côte de boeuf, peur de l'effet de serre, des nanotechnologies, etc. L'écologie déculpabilise la peur. Une grande personne, pour parler comme Saint-Exupéry, doit être capable de quitter ses parents, de ne plus avoir peur du noir et de secourir une personne agressée dans le métro. Tout cela a changé dans les années 1970-1980. Dans Le Principe responsabilité, livre du philosophe allemand Jonas, qui servit de Bible à l'écologie allemande, il y a un chapitre qui s'appelle « Heuristique de la peur ». L'idée est que grâce à la peur, nous découvrons les menaces qui pèsent sur l'environnement et la politique. De là le slogan pacifiste, « plutôt rouge que mort » : la peur a cessé d'être une passion honteuse pour finir par inspirer le fameux principe de précaution. En outre, l'écologisme est porteur d'une haine de la modernité qui apparaît dans les films d'Hulot où on nous fait l'éloge des « peuples naturels », comme disait Rousseau. Mais quelle femme voudrait revivre dans une tribu amérindienne, être mariée de force? Quel adolescent voudrait être scarifié à 12 ans? On idéalise les « naturels » pour mieux stigmatiser la modernité. Ce n'est pas un hasard si on retrouve chez les écolos beaucoup d'ex-gauchistes : cette idéologie est le lieu de la collusion de tous les antimodernes.
C.A.-Je montre en effet dans mon livre qu'une certaine idéologie écologiste procède de l'esprit de repentance qui s'est développé en Occident. L'homme qui a créé le Giec, l'Anglais John Houghton, est un dévot fondamentaliste. Par exemple, il ne croit pas à la théorie de l'évolution darwinienne ni à la mécanique quantique. Quant à Al Gore, qui a fait fortune dans le business de l'écologie, c'est un mystique qui fait des séjours de réflexion dans les églises baptistes. Sans parler de Blair, qui mélange la « lutte contre le réchauffement climatique et la guerre en Irak ». Tout ce mysticisme est empreint de culpabilité. Et de messianisme. Il s'agit, ni plus ni moins, de sauver le monde!
Si votre analyse est juste, comment expliquer que l'écologie séduise autant la droite libérale?
L.F.- En êtes-vous sûr? J'en doute fortement. Ce que je reproche au Grenelle de l'environnement, justement, c'est d'avoir manqué une occasion unique de proposer une écologie de l'innovation et de la rationalité qui aille à l'encontre de l'idéologie de la décroissance et de l'autopunition. La droite avait un boulevard. Elle a choisi Hulot et Al Gore.
C.A.- Une des raisons de la régression électorale de la droite est liée à l'illusion que l'on peut séduire les écologistes. Jamais elle ne les séduira, parce que le socle de l'écologie idéologique est antilibéral. J'ajoute que cette séduction, qui s'exerce d'abord à gauche, se fait aux dépens des valeurs fondatrices de la gauche elle-même, comme l'a rappelé Axel Khan. Historiquement, la gauche républicaine est fondée sur l'alliance entre la science, la démocratie et l'idée de progrès. Je suis de cette gauche-là! Le fait pour la gauche de s'allier avec les Verts a mis à mal ce lien entre progrès, science et démocratie. Ce fut la cause de ma rupture avec Ségolène Royal qui est plus « écolo » que socialiste.
L.F.- L'union entre la science et la démocratie était en effet au coeur du pacte républicain. La vérité scientifique vaut pour les riches comme pour les pauvres, pour les aristocrates comme pour les roturiers. Et qu'on ne me dise pas que je pèche par optimisme scientiste. Le vrai problème est celui de la croissance tenable. Notre responsabilité, à nous Européens, est d'offrir à la Chine, à l'Inde ou au Brésil des moyens de se développer sans bousiller la planète. Ce n'est pas gagné d'avance.
Claude Allègre, à travers la question du climat, vous dénoncez le verrouillage du débat en France.
C.A.- Le rôle des médias est de faire avancer la recherche de la vérité, il n'est pas d'ostraciser ceux qui ne sont pas d'accord. On retrouve ce verrouillage sur bien des sujets, notamment l'immigration. En outre, je crois que l'écologie est devenue une idéologie de substitution du communisme. La grande majorité des communistes étaient sincères. Aujourd'hui, les écologistes sont, pour beaucoup, de très bonne foi. Mais il y a parmi eux des gens qui ont la haine de la société et de l'entreprise. Et de la liberté. Quand Hulot écrit : « Il faudra bien arriver à faire ceci, de gré ou de force », c'est inouï!
L.F.- Il y a, en effet, une tendance aux verrouillages des débats en France. La pétition lancée à l'encontre de Claude Allègre en témoigne. La vérité n'est pas affaire de pétition et ce n'est pas au politique de trancher entre les savants. Dire que le ministre de la Recherche est un « patron » et que les chercheurs sont ses employés était en outre absurde...
C.A.- Il y a évidemment des problèmes, essentiellement dus au fait qu'en un siècle la population mondiale a explosé. On se doit de les identifier et de chercher des solutions. Au sujet du climat, pourquoi ne pas lancer un grand programme de capture et de séquestration du CO2? C'est le principe du pot d'échappement. Autour des usines à charbon qui se développeront en Inde, en Chine et aux USA, vous capturez et vous enfouissez le CO2. Les premières usines pilotes sont en construction. Et les entreprises françaises sont bien placées dans ce nouveau marché. Enfin, il faut développer de nouveaux modes de transport en ville, parce que la pollution est une urgence, par exemple en promouvant la voiture électrique et plus tard le voiture à hydrogène.
L.F.-Là où nous sommes tous d'accord, c'est qu'il faut maîtriser les émissions de CO2. Partons de ce consensus. L'écologie deviendra vraiment efficace si elle accepte de poser la question suivante : qu'est-ce que nous Français et Européens pouvons offrir au reste du monde pour sauver la planète? L'exemple du G2, avec la rencontre entre Obama et le chef d'État chinois, c'est exactement ce qu'il faut faire. Mais c'est aussi ce que l'Europe n'a pas été capable de faire parce qu'elle est trop « écolo » au mauvais sens du terme. Je me considère comme un écologiste de raison. C'est pourquoi je suis si opposé à une idéologie de la décroissance qui va finir par nuire à l'écologie elle-même. Un des points positifs du Grenelle de l'environnement a été de montrer qu'il pouvait exister une écologie qui soit source de richesse et d'emploi. Le paradoxe de la situation actuelle, c'est que ce sont les écologistes qui freinent l'écologie. Trop d'écologie risque de tuer l'écologie!
PROPOS RECUEILLIS PAR Paul-François Paoli
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