L a Chine est peut-être décidée à réévaluer sa monnaie, le yuan. Ce serait une bonne nouvelle pour tout le monde - y compris les Chinois. C'est une évolution qui est souhaitée en Asie, en Europe, aux Etats-Unis et dans les autres grandes économies émergentes. C'est une évolution qui ferait du bien à l'économie mondiale.
Le sujet a été abordé lundi 12 avril à Washington lors de l'entretien que Barack Obama a accordé à son homologue chinois, Hu Jintao. Le seul fait que le taux de change du yuan ait été inscrit au menu de la rencontre est une indication. Il y a quelques semaines encore, quand on osait les interroger sur la parité du yuan avec les autres devises, les dirigeants chinois n'avaient qu'une réponse. En trois parties : notre monnaie n'est pas sous-évaluée; toute pression pour nous amener à la réévaluer est du protectionnisme; le protectionnisme est une agression contre la Chine.
La pression venait d'abord des Etats-Unis. Mais elle émanait aussi, plus discrètement, de l'Inde, du Brésil, de l'Afrique du Sud et d'autres encore. Motif : la sous-évaluation du yuan est une subvention déguisée aux exportateurs chinois. Déloyale, elle leur donne un avantage de compétitivité. Elle a été accentuée par la décision de Pékin de lier sa monnaie au dollar à la mi-2008, quand la valeur du billet vert s'est mise à décliner. L'Union européenne est aussi pénalisée que les autres zones économiques, mais - courageusement - n'a pas osé le dire !
La Chine donne aujourd'hui des signes d'évolution. Tour à tour, les responsables de la Banque centrale puis ceux de la Commission nationale du développement et des réformes ont fait entendre un autre message : Pékin pourrait de nouveau laisser le yuan s'apprécier. Les Etats-Unis en ont pris acte. Ils ont - provisoirement - renoncé à accuser publiquement la Chine de manipuler son taux de change.
Les experts estiment que le yuan pourrait s'apprécier de 10 à 25 % s'il était convertible. Ce changement de parité irait dans le bon sens. Il corrigerait le déséquilibre majeur de l'économie mondiale : un exportateur géant, la Chine, thésaurise des excédents géants, cependant que s'accumulent les déficits chez les autres.
Les Chinois y trouveraient leur compte. A court terme, une réévaluation du yuan éloignerait les risques d'inflation dans une économie menacée de surchauffe. A plus long terme, elle placerait l'économie chinoise sur la voie non pas d'un Grand Bond en avant, mais du Grand Rééquilibrage dont elle a besoin.
Une monnaie qui se revalorise redonne du pouvoir d'achat aux ménages. Elle renforce ainsi la consommation intérieure. Elle pourra aider à amorcer le passage d'un modèle de développement à un autre : une économie tirée par la consommation intérieure et non plus par les exportations.
Les dirigeants chinois ont fait preuve d'un incontestable brio dans la conduite de leur économie ces trente dernières années. La poursuite de cette performance commande d'ouvrir un autre chapitre de cette histoire à succès : la réévaluation du yuan.
Il n'empêche. Barack Obama continue de rassembler sa coalition pour faire face à la menace iranienne. Après la Russie du président Dmitri Medvedev, acquise depuis septembre à l'idée de sanctions contre l'Iran, la Chine s'est à son tour rendue aux arguments de M. Obama, si on en croit la partie américaine. " Les deux présidents sont d'accord pour que leurs délégations travaillent à une résolution sur des sanctions à New York ", a indiqué le responsable des affaires asiatiques à la Maison Blanche, Jeff Bader. " La question a été débattue en profondeur. Les Chinois partagent notre but global, qui est de préserver le régime de non-prolifération. Ils ont fait savoir qu'ils étaient prêts à travailler avec nous. " Réévaluation graduelle Côté chinois, le compte-rendu a été plus circonspect. " La Chine et les Etats-Unis partagent le même objectif général quant à la question du nucléaire iranien ", a juste indiqué Ma Zhaoxu, porte-parole de la délégation chinoise. La rencontre Hu-Obama a consacré de manière spectaculaire la décrispation intervenue depuis que les deux dirigeants se sont entretenus au téléphone pendant près d'une heure le 1er avril (M. Obama rentrait de province et avait poursuivi la conversation dans son avion immobilisé sur la piste 15 minutes après l'atterrissage). Peu après, le président chinois avait annoncé sa participation au sommet de Washington, initiative phare du début de mandat de M. Obama. Et celui-ci avait renoncé à publier, quitte à mécontenter le Congrès, un rapport sur la " manipulation " de la monnaie chinoise, prévu pour le 15 avril. Le sujet du rééquilibrage entre les deux économies a été le deuxième à être abordé lundi. M. Obama a souhaité que son homologue intervienne sur la monnaie chinoise pour parvenir à un taux de change " plus respectueux du marché ". Le porte-parole de la délégation chinoise a indiqué que les deux pays doivent " résoudre les frictions économiques et commerciales par des consultations sur un pied d'égalité ". Mais depuis la visite de Timothy Geithner, le secrétaire au Trésor, la semaine dernière à Pékin, les analystes pensent que la Banque centrale chinoise a prévalu sur les réticences d'autres cercles dirigeants et ils prévoient une réévaluation graduelle mais sûre du yuan. Les relations entre Pékin et Washington ont connu une période de forte tension après l'annonce américaine, en janvier, de la vente de 6,4 milliards de dollars de matériel militaire à Taïwan et la rencontre le mois suivant entre M. Obama et le dalaï-lama. Ni l'une ni l'autre ne constituaient des premières. Mais des observateurs avaient noté la virulence de la réponse chinoise. Pourquoi ? le rôle joué par la Chine en période de crise financière mondiale et la " dépendance " - même à double tranchant - des Etats-Unis à l'égard d'une Chine qui ne cesse d'acheter la dette américaine en bons du trésor expliquent en partie l'évolution du comportement chinois. La Chine se sent plus que jamais sûre d'elle-même quand la presse américaine la qualifie de " banquier " des Etats-Unis. La visite de M. Obama à Pékin en novembre 2009 s'était soldée par un échec : il était reparti les mains vides, en dépit de ses demandes sur les questions de réévaluation du yuan ou du nucléaire iranien. Sa photo en solitaire sur la Grande Muraille avait été interprétée par certains comme le symbole même de la façon dont Pékin avait traité leur partenaire pour sa première visite. Autre raison de l'" intolérance croissante " de la Chine vis-à-vis des Etats-Unis, selon une analyse récente de Zhu Feng, directeur adjoint du Centre international des études stratégiques de l'université de Pékin : " Le leadership chinois estime que Washington devrait répondre de manière positive à Pékin compte tenu du fait que la Chine (...) joue un rôle stimulant pour l'économie mondiale - à l'heure de la crise financière internationale - . Mais la rigidité de la position américaine ne reflète pas la nature de la nouvelle symbiose sino-américaine. " Traduction : la persistance de la demande américaine pour réévaluer la monnaie chinoise est disproportionnée et irritante. Pragmatisme chinois Le même Zhu Feng estime cependant que l'heure du " pragmatisme " est revenue, Pékin ayant décidé, après quelques semaines de " froid " sino-américain, de changer de ton. La présence de Hu Jintao au sommet de Washington en est une preuve. Deuxième signe d'un changement chinois : la réaction de Pékin, le 30 mars, qui a qualifié de " positives " les déclarations de M. Obama après que celui-ci eut dit au nouvel ambassadeur chinois aux Etats-Unis, Zhang Yesui, qu'il se félicitait des efforts de la République populaire pour réduire les tensions avec Taïwan. Sur l'Iran, le fait que la Chine a accepté de discuter du principe de sanctions contre Téhéran dans le cadre d'une négociation internationale est interprété comme le signe de sa volonté de relancer sa relation avec les Etats-Unis. Pour nombre d'observateurs, Pékin n'est pas prêt à sacrifier sa relation avec Washington en raison de ses liens économiques et politiques avec Téhéran.
Etats-Unis et Chine tentent d'aplanir leurs divergences - Corine Lesnes et Bruno Philip
Une nouvelle phase dans les relations sino-américaines ? Interrogé juste avant la rencontre d'une heure et demie entre le président Barack Obama et son homologue Hu Jintao, lundi 12 avril, en marge du sommet sur la sécurité nucléaire de Washington, un haut fonctionnaire américain répondait qu'il n'en était rien. " C'est simplement un processus qui continue. Ils ont des discussions très profondes depuis leur toute première rencontre " à Londres il y a un an, a-t-il assuré.
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