Sous un soleil printanier déjà brûlant, maçons, soudeurs, électriciens, plombiers et terrassiers travaillent encore jour et nuit sur l'immense site de l'Exposition universelle de Shanghaï afin que « tout soit prêt » pour l'inauguration solennelle le 1er mai. « Je suis parti en Europe pendant trois semaines et je viens de revenir, raconte un architecte qui travaille sur le pavillon français. Tous les bâtiments étaient sortis de terre. C'est incroyable ce que les Chinois peuvent faire lorsque la décision est prise. » Malgré l'audace architecturale qui complique les travaux. Le pavillon britannique ressemble à une boule de tiges d'acrylique. Celui voisin de la Pologne évoque le papier découpé. Tout proche, celui de la France est enveloppé dans une résille de béton et couvert d'un jardin « à la française ». Le japonais ressemble à une tortue géante violette. Le néerlandais à une tulipe jaune. Le finlandais à un grand bol blanc.
Ceux qui pensaient que la marque « Expo universelle » avait fait son temps en sont pour leurs frais : Shanghaï dépassera toutes les statistiques de l'histoire et les superlatifs possibles. « Ce sera une réussite avant tout parce que les Chinois l'ont décidé », assure sans hésiter un diplomate européen basé dans la ville. Et d'aligner des chiffres à donner le tournis : « plus de dix lignes de métro construites en cinq ans, des autoroutes, l'agrandissement des aéroports de Pudong et de Hongqiao, le toilettage de quartiers entiers. » Deux ans après les JO de Pékin, la Chine veut battre d'autres records : non seulement c'est la première Exposition universelle à se tenir dans un pays en développement, mais ce sera le site le plus vaste, avec un nombre historique de participants et bien sûr de visiteurs. « Un signe de puissance, affirme clairement Xu Bo, commissaire général adjoint de l'Expo, on y travaille depuis huit ans avec un budget de plus de 3 milliards d'euros. » Sans compter les 10 milliards d'euros pour les « aménagements de la ville ».
Le succès tient aussi à la participation massive de la planète entière. Pourquoi cette frénésie « d'y être », à l'autre bout du monde ? « Si l'Expo n'avait pas eu lieu à Shanghaï, au coeur économique d'une Chine en pleine croissance, nous n'aurions jamais autant investi », confie sous couvert d'anonymat un autre diplomate européen au volant de sa voiture traversant l'un des nouveaux ponts gigantesques enjambant le fleuve Huangpu qui coupe la vieille ville de Shanghaï, Puxi, et mène à la nouvelle zone économique de Pudong « où se joue l'avenir du monde ». Personne ne semble échapper à cet émerveillement que procure la traversée de cette mégapole qui vibre à 200 à l'heure, lorsqu'on ne la traverse pas à 400 à l'heure à bord du train à sustentation magnétique, le Maglev, menant à l'aéroport de Pudong !
« Les Expositions universelles sont nées de la révolution industrielle en Europe, explique Franck Serrano, directeur marketing de la Compagnie française pour l'Exposition de Shanghaï (Confres), mais ici, nous sommes en Chine, dans une période postindustrielle et chaque pays se présente à un concours de beauté international surtout pour séduire la Chine. Il s'agit, à Shanghaï, d'avoir un contact direct avec la population chinoise qui viendra de tout le pays, c'est un moment privilégié, une occasion unique. On peut parler sans filtre, il n'y a eu aucune censure de la part du gouvernement sur les Expositions, conférences, débats, organisés dans les pavillons. On vient se montrer au monde et à la Chine en particulier. » Il faut y payer sa place pour le prestige avant d'y voir des retombées concrètes. Ainsi, pour les grands pavillons il aura fallu compter une moyenne de 50 millions d'euros d'investissement. Celui de la France a coûté 45 millions d'euros (dont près de 30 millions financés par l'État, le reste par des grosses entreprises).
Yu Zhengsheng
maire de Shanghaï
« Accueillir une Exposition universelle
en Chine, c'est le souhait de la nation chinoise depuis une centaine d'années. »
Sous un soleil printanier déjà brûlant, maçons, soudeurs, électriciens, plombiers et terrassiers travaillent encore jour et nuit sur l'immense site de l'Exposition universelle de Shanghaï afin que « tout soit prêt » pour l'inauguration solennelle le 1er mai. « Je suis parti en Europe pendant trois semaines et je viens de revenir, raconte un architecte qui travaille sur le pavillon français. Tous les bâtiments étaient sortis de terre. C'est incroyable ce que les Chinois peuvent faire lorsque la décision est prise. » Malgré l'audace architecturale qui complique les travaux. Le pavillon britannique ressemble à une boule de tiges d'acrylique. Celui voisin de la Pologne évoque le papier découpé. Tout proche, celui de la France est enveloppé dans une résille de béton et couvert d'un jardin « à la française ». Le japonais ressemble à une tortue géante violette. Le néerlandais à une tulipe jaune. Le finlandais à un grand bol blanc.
Ceux qui pensaient que la marque « Expo universelle » avait fait son temps en sont pour leurs frais : Shanghaï dépassera toutes les statistiques de l'histoire et les superlatifs possibles. « Ce sera une réussite avant tout parce que les Chinois l'ont décidé », assure sans hésiter un diplomate européen basé dans la ville. Et d'aligner des chiffres à donner le tournis : « plus de dix lignes de métro construites en cinq ans, des autoroutes, l'agrandissement des aéroports de Pudong et de Hongqiao, le toilettage de quartiers entiers. » Deux ans après les JO de Pékin, la Chine veut battre d'autres records : non seulement c'est la première Exposition universelle à se tenir dans un pays en développement, mais ce sera le site le plus vaste, avec un nombre historique de participants et bien sûr de visiteurs. « Un signe de puissance, affirme clairement Xu Bo, commissaire général adjoint de l'Expo, on y travaille depuis huit ans avec un budget de plus de 3 milliards d'euros. » Sans compter les 10 milliards d'euros pour les « aménagements de la ville ».
Le succès tient aussi à la participation massive de la planète entière. Pourquoi cette frénésie « d'y être », à l'autre bout du monde ? « Si l'Expo n'avait pas eu lieu à Shanghaï, au coeur économique d'une Chine en pleine croissance, nous n'aurions jamais autant investi », confie sous couvert d'anonymat un autre diplomate européen au volant de sa voiture traversant l'un des nouveaux ponts gigantesques enjambant le fleuve Huangpu qui coupe la vieille ville de Shanghaï, Puxi, et mène à la nouvelle zone économique de Pudong « où se joue l'avenir du monde ». Personne ne semble échapper à cet émerveillement que procure la traversée de cette mégapole qui vibre à 200 à l'heure, lorsqu'on ne la traverse pas à 400 à l'heure à bord du train à sustentation magnétique, le Maglev, menant à l'aéroport de Pudong !
« Les Expositions universelles sont nées de la révolution industrielle en Europe, explique Franck Serrano, directeur marketing de la Compagnie française pour l'Exposition de Shanghaï (Confres), mais ici, nous sommes en Chine, dans une période postindustrielle et chaque pays se présente à un concours de beauté international surtout pour séduire la Chine. Il s'agit, à Shanghaï, d'avoir un contact direct avec la population chinoise qui viendra de tout le pays, c'est un moment privilégié, une occasion unique. On peut parler sans filtre, il n'y a eu aucune censure de la part du gouvernement sur les Expositions, conférences, débats, organisés dans les pavillons. On vient se montrer au monde et à la Chine en particulier. » Il faut y payer sa place pour le prestige avant d'y voir des retombées concrètes. Ainsi, pour les grands pavillons il aura fallu compter une moyenne de 50 millions d'euros d'investissement. Celui de la France a coûté 45 millions d'euros (dont près de 30 millions financés par l'État, le reste par des grosses entreprises).
« Nous espérons que 10 % du total des visiteurs s'y rendront, poursuit Franck Serrano, ce qui fera quand même 10 millions de personnes ! »
Coût du pavillon allemand, 50 millions d'euros. De l'italien, 55 millions. Et de l'australien, nouveau partenaire privilégié des Chinois en raison de la richesse de ses matières premières, près de 80 millions d'euros. L'ampleur et la force du geste politique s'évaluent à l'aune de la somme investie. Ainsi la palme du pavillon le plus onéreux revient au Japon : 100 millions d'euros. Proximité géographique et blessures historiques (les Japonais ont bombardé Shanghaï pendant la Seconde Guerre mondiale) expliquent un tel investissement afin de se présenter sous le meilleur jour. Aux yeux du gouvernement chinois, les États, tout comme les entreprises, qui ont investi dans l'événement seront considérés, selon le journaliste chinois Yin Bin, comme des « partenaires de la grande aventure et du succès de l'Expo. À terme ils pourront faire valoir cet engagement afin de remporter des appels d'offres ou des gros contrats. Pour le meilleur ou pour le pire, la Chine a toujours bonne mémoire ».
Ainsi la métropole économique et financière s'apprête à vivre un « moment historique », assure Beda Zhu, un vieux Shanghaïen de souche qui se souvient combien « sa » ville est restée longtemps à l'écart du développement pour payer ses péchés colonialistes et capitalistes du début du XXe siècle. « Les travaux comme le ravalement des façades des bâtiments religieux auraient été réalisés de toute manière, assure-t-il, mais avec l'Expo, nous venons de vivre une incroyable accélération de l'histoire de notre ville qui se place aujourd'hui en tête des grandes métropoles de la planète. » Et le grand historien Li Tiangang de la prestigieuse université Fudan, explique que « Shanghaï n'a pas encore atteint le sommet de sa gloire mais l'Expo la place sur la carte géographique comme une cité incontournable de ce début du XXIe siècle. Cela laissera des traces plus profondes dans l'histoire que les JO de Pékin. »
« La ville sensuelle »
Une architecture lévitant au-dessus d'un miroir d'eau, suspendue à une résille à la fois technique et douce qui enserre le bâtiment, évoquant ainsi « la puissance et le raffinement » pour illustrer le savoir-faire de la France en matière d'ingénierie. « La ville sensuelle », thème du pavillon (ici, en phase finale de construction), veut présenter une image de la France qui correspond à la vision chinoise de l'Hexagone. Douceur, romantisme, élégance et technologie aussi.À l'intérieur de la structure, un jardin suspendu verdoyant propose de sentir la nature qui peut s'imposer au coeur de la ville : replacer l'homme au centre d'un monde urbain de plus en plus technique. Expositions de tableaux de peintres impressionnistes, restaurants, conférences et rencontres avec des écrivains ou académiciens français feront vivre le pavillon pendant six mois.
Li Tiangang, un historien tellement fier de sa ville
«Depuis plus de cent soixante ans, bien avant la guerre de l'opium au milieu du XIXe siècle, Shanghaï a été la figure de proue de la modernisation en Chine. Elle a toujours incarné la nouveauté, la richesse et l'ouverture sur le monde. » Né à Shanghaï en 1957 de parents venus de la province voisine du Jiangsu, ayant grandi dans la ville et étudié dans la prestigieuse université Fudan, fondée par les jésuites, l'historien Li Tiangang sort de sa réserve d'universitaire réputé pour clamer la gloire et le prestige de « sa » ville, à ses yeux « la plus cosmopolite du monde, à l'image de ce qu'elle était déjà dans les années 1920 ». Il explique que les livres d'histoire officiels publiés à Pékin n'ont jamais cessé de la maltraiter en la qualifiant de cité de perdition antirévolutionnaire à cause justement de ses avancées technologiques, sociales ou même politiques. « En étudiant l'histoire à Shanghaï dans les années 1980, j'ai pu appréhender une tout autre perspective que celle de Pékin, découvrant que ma ville natale fut le lieu le plus important de l'histoire de la Chine moderne. »
Assis devant un café glacé dans l'hôtel Jian Guo, juste en face de la grande cathédrale catholique de Xiujiahui, au coeur d'un des plus anciens quartiers de la ville, aujourd'hui métamorphosé par les centres commerciaux, gratte-ciel, autoroutes et métros, Li Tiangang évoque une enfance paisible avec un père ingénieur dans une usine textile de plus de 10 000 ouvriers. « Membre du Parti communiste, il avait juste le grade nécessaire pour avoir accès au Cankao Xiaoxi, journal réservé à l'élite politique où toutes les nouvelles du monde étaient accessibles, raconte-t-il. Mais il n'a pu éviter d'aller nettoyer les auges des cochons à la campagne durant la Révolution culturelle en 1966. Il est mort d'un cancer en 1974. »
Lui aura passé trois ans dans l'usine où travaillait sa mère. « J'ai évité la rééducation dans les campagnes où ont souffert tant d'autres copains, sourit-il, un peu gêné. Je dois avouer que cette période très troublée pour Shanghaï et le pays tout entier a été pour moi une sorte de bénédiction : je n'ai jamais autant lu de ma vie, j'avais accès à la bibliothèque de l'école et j'ai découvert l'histoire. »
Il raconte la genèse de cette ville où s'étaient installés en 1860, au lendemain des guerres de l'opium, des soldats anglais, suivis par des commerçants de Macao et de Canton. Il minimise le rôle du port de Ningbo, de l'autre côté du delta du Yangzi Jiang (ou Yangtsé), pourtant ouvert dès le XVIe siècle aux marins portugais et hollandais. « Les gens de Ningbo étaient des petits hommes d'affaires, mais ils sont venus plus tard, après les industriels bien éduqués du Jiangsu, au nord, et les commerçants peu éduqués du Zhejiang, au sud. » Une vision partiale : en réalité, lorsqu'on demande à un Shanghaïen d'où viennent ses grands-parents, il répond dans 80 % des cas, après une longue hésitation, presque honteux : « Une petite ville juste au sud, Ningbo. » Et lorsqu'on lui montre qu'on n'ignore rien des heures de gloire de ce port et qu'on lui affirme que « sans Ningbo, Shanghaï n'existerait pas », il respire et vous prend dans ses bras !
Héritier d'un milieu éduqué du Jiangsu, Li Tiangang évoque avec excitation le « savoir-faire » local au siècle dernier : « On fabriquait tout : les montres, les vélos, les horloges, les téléviseurs et même les voitures... copie des Mercedes Benz ! Nos usines ont porté l'économie de la Chine pendant quarante ans, et puis Pékin nous a punis au bénéfice du Sud au début des années 1980. » Les propos de l'historien reflètent une rivalité permanente ancrée dans les esprits, que de nombreux Chinois associe à « l'arrogance shanghaïenne ». Li Tiangang n'échappe pas à l'environnement culturel et social de celle qu'on a appelé « le Paris de l'Orient » au début du XXe siècle, puis « la perle de l'Orient ». « Shanghaï s'est effondrée sous les ordres de Pékin, assène-t-il, mais Shanghaï a su renaître de ses cendres avant l'Exposition universelle et prendre sa revanche sur l'Histoire. »
REPERES. Un vif intérêt pour les religions
Un vif intérêt pour les religions1957 : naissance de Li Tiangang à Shanghaï.1977 : étudiant en histoire à l'université Fudan.1984 : professeur titulaire dans le département d'histoire.1990 : études à Boston aux États-Unis et en Europe ; docteur en philosophie.2001 : il donne les premiers cours d'histoire des religions à l'université Fudan.2006 : il contribue à l'ouverture officielle du département des études religieuses de l'université.
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