La directrice du Centre Asie de l'Institut français des relations internationales (Ifri) analyse les enjeux de la prochaine visite du président Sarkozy en Chine.
La prochaine visite du président Sarkozy en Chine, qui sera reçu en « visite d'État » à Pékin, puis se rendra à Shanghaï pour l'ouverture de la Foire internationale, est censée définitivement clore l'épisode de brouille qui a marqué les relations franco-chinoises depuis deux ans. Avril 2010 sera donc le printemps de la réconciliation franco-chinoise, des déclarations d'amitié et des promesses de coopération renforcée. Pourtant, au-delà des mots, de la volonté de plaire et des efforts accomplis par Paris pour amadouer le partenaire chinois, la question demeure de la définition et du contenu d'une relation franco-chinoise modernisée, qui aille au-delà du cadre limité d'un jeu multipolaire pris au sens le plus étroit du terme.
Bien entendu, la dimension économique est essentielle, mais la bonne volonté française ne suffira pas à faire oublier les interrogations nombreuses qui s'accumulent en la matière. La valeur du yuan, dont les États-Unis semblent aujourd'hui - pour un temps au moins - à nouveau s'accommoder, pénalise plus encore l'euro, soumis à la pression conjuguée des monnaies chinoise et américaine. Les entreprises françaises et européennes, comme d'autres d'ailleurs, notent avec préoccupation le raidissement des autorités chinoises et l'immobilisme dans la mise en oeuvre des réformes indispensables à un climat des affaires plus sain.
Politiquement, en revanche, tout va bien officiellement entre Paris et Pékin. La France, toutefois, demeure sous surveillance, et la République populaire de Chine (RPC) nous fait sentir que le moindre « faux pas » pourrait rapidement remettre en cause cette amitié retrouvée. Loin d'un dialogue véritablement constructif, Paris, pour faire oublier ses errements, doit donc accepter sans distance la position de la Chine sur tout un ensemble de sujets sensibles, et le concept d'« intérêt vital », constamment utilisé par Pékin, vient limiter un peu plus les échanges.
Mais c'est stratégiquement peut-être que les enjeux sont les plus importants pour une puissance comme la France, qui ne peut limiter ses intérêts aux domaines économiques ou étroitement régionaux. Paris s'est exprimé clairement sur une série de sujets qui, justement, constituent nos propres intérêts vitaux. Sur l'ensemble de ces sujets, la position chinoise demeure très éloignée de nos analyses et peu soucieuse de nos légitimes préoccupations. Ainsi, la question de la prolifération est au coeur des préoccupations stratégiques de la France.
Pour les stratèges chinois, à l'inverse, la prolifération des armes de destruction massive ne constitue au mieux qu'une menace secondaire, en raison des réactions éventuelles des États-Unis. Si Hu Jintao, sentant le vent du boulet des accusations de manipulation de la valeur du yuan, a choisi avec pragmatisme de se rendre à Washington et de feindre la conciliation sur la question iranienne, sur le fond, la position de la RPC n'a pas bougé. Il en va de même sur la question de la Corée du Nord, où la stratégie chinoise de gain de temps a réussi à s'imposer sans rien résoudre.
Les exemples pourraient se succéder : responsabilité environnementale, perception de la menace terroriste en Afghanistan, et même gestion responsable des conséquences d'une crise économique qui menace de détruire nos sociétés, aboutissant à la même conclusion de l'absence d'intérêts stratégiques véritablement communs entre les autorités chinoises et la France.
Dans ce contexte, en donnant à la RPC l'impression que Paris est désormais prêt à tout pour apaiser Pékin, le risque est grand de voir les demandes impossibles à satisfaire se multiplier, concernant par exemple la levée de l'embargo sur les ventes d'armes ou la fourniture de technologies duales trop sensibles, ouvrant la voie à de nouveaux « malentendus ».
Ainsi, si la normalisation de nos relations avec la Chine est une bonne chose et le rapprochement positif, il doit se faire sur des bases de totale réciprocité dans la prise en compte des intérêts fondamentaux de chacun. De la part de Paris, l'absence de recul serait dangereuse, même dans l'espoir d'obtenir quelques « délivrables » pour nos entreprises. La politique chinoise de la France, observée de très près par nos autres partenaires asiatiques, est trop importante pour ne répondre qu'aux exigences des effets d'annonce.
© 2010 Le Figaro. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire