lundi 26 avril 2010

EXPO 2010 - Shanghai, l'obsession sécuritaire - Brice Pedroletti

Le Monde - International, vendredi, 23 avril 2010, p. 5 Des milliers de personnes ont été arrêtées dans la ville chinoise avant l'ouverture de l'Exposition universelle, le 1er mai.

A l'approche de « l'Expo-2010 », qui ouvrira ses portes à Shanghaï le 1er mai, Feng Zhenghu avait prévu de lancer, dimanche 25 avril, sa propre « exposition [universelle] virtuelle » : la mise en ligne de documents sur douze dossiers de justice le concernant, et qui attestent, selon lui, de flagrantes violations de procédures et de ses droits.

Lundi, il a été brièvement interpellé par la police de Shanghaï, obsédée par la neutralisation de quiconque pourrait troubler l'ordre politique et social en marge de la plus grande Exposition universelle jamais organisée.

M. Feng est devenu le plus célèbre activiste de Shanghaï depuis qu'il a campé durant quarante et un jours à l'aéroport de Narita, au Japon, avant d'être autorisé à revenir en Chine, en février. Les autorités chinoises de l'immigration persistaient à lui refuser l'entrée dans son propre pays. Pékin espérait sans doute pouvoir tenir loin de Shanghaï, pendant les six mois de l'Exposition, celui qu'elle considère comme un « perturbateur ».

M. Feng est étiqueté comme un ancien participant au mouvement prodémocratique de Tiananmen, en 1989. Il a été emprisonné pendant trois ans pour avoir publié « illégalement », selon Pékin, un guide des entreprises japonaises à Shanghaï en 2000 et compilé, en 2008, un rapport sur 189 cas de violation des droits à Shanghaï.

Mais le tapage médiatique international autour de l'exil forcé de M. Feng fut tel que le gouvernement chinois n'eut d'autre solution que de le laisser revenir. En Chine, où il était inconnu, le réseau social Twitter, qui a servi de canal principal à sa chronique d'exilé forcé, en a fait la coqueluche du Web. A Shanghaï, la « victoire » de Feng Zhenghu est connue de tous. Son nouveau projet, sitôt divulgué par Boxun (site chinois de dissidents basé aux Etats-Unis) a donc provoqué une réaction immédiate des autorités de la ville.

Lundi à minuit, une demi-douzaine de policiers ont débarqué chez lui, nous a-t-il raconté, mercredi, dans son appartement de Wujiaochang, à Shanghaï. Après avoir longuement insisté, M. Feng finira par apprendre qu'on lui reproche, sans autre détail, une affaire de « diffamation ». Emmené au poste de police, des gradés l'entretiendront, de manière sibylline, du sort de l'avocat Gao Zhisheng et du dissident emprisonné Liu Xiaobo. Son appartement est perquisitionné. Une vingtaine d'objets sont confisqués : ordinateurs, disques durs, clefs USB, routeur Internet, imprimante et scanner...

Feng Zhenghu ne s'inquiète pas sur son sort. « Ils ne veulent pas que je m'exprime. Mais ils ont un train de retard en matière technologique. Dans cette société de réseau, les informations circuleront quand même ! », nous dit-il. Privé de l'Internet, il n'a que sa ligne fixe. Son portable est sans cesse appelé de manière automatique par un opérateur. Les visiteurs chinois sont éconduits. « Ils sont très nerveux à cause de «l'Expo». Ils espèrent que rien ne se passera. Pour ces gens de la Sécurité intérieure [en charge des dissidents, des sectes et des pétitionnaires] , tout le monde reste un ennemi de classe potentiel », dit-il en soulignant l'anachronisme de telles accusations rappelant l'époque de Mao. « Et puis alors, quelle importance s'il y a des tensions, s'il y a des aspects négatifs qui sont exposés ?, poursuit-il. Tous ces grands dirigeants n'ont pas un esprit très ouvert. »

Ce défi ne s'articule pas autour des principes généraux de respect des droits fondamentaux. Il repose sur la défense des droits des citoyens chinois, en vertu des lois chinoises en vigueur. Et cette argumentation se répand de plus en plus en Chine. Elle nourrit un apprentissage démocratique, favorisé par la mondialisation et l'usage de l'Internet.

Le paradoxe auquel est confronté le régime est que chaque grand événement - comme les Jeux olympiques de Pékin en 2008 et, bientôt, l'Exposition universelle de Shanghaï -, en même temps qu'il est conçu pour glorifier la nouvelle modernité chinoise, suscite ses propres anticorps. Des anticorps sous forme d'exigences de transparence, de comptes à rendre aux citoyens du Net et de happenings organisés par des pétitionnaires.

A Shanghaï, tout pourtant a été fait pour s'assurer du maintien de la sacro-sainte stabilité. Des bénévoles, retraités pour la plupart, portant un brassard rouge « sécurité », sont omniprésents. Quelque 10 000 gardes de sécurité ont été recrutés en sus des effectifs de l'armée et de la police. La municipalité a mené, du 3 au 14 avril, sa quatrième « campagne spéciale de sécurité » en deux mois. Environ 6 000 contrevenants (prostitués, tireurs de portraits, conducteurs de triporteurs, vendeurs à la sauvette...) ont été interpellés. Les deux tiers ont été relâchés.

En revanche, l'organisation non gouvernementale (ONG), China Rights Defenders, basée à l'étranger, constate « qu'un nombre croissant de pétitionnaires et de militants ont été envoyés en camp de rééducation par le travail par les officiels locaux à l'approche de l'Exposition universelle ». L'ONG a déjà documenté dix cas.

PHOTO - A paramilitary policeman takes a photograph of his colleagues in front of the China Pavilion at the Shanghai World Expo site April 21, 2010. The expo started trial operations on Tuesday with the participation of about 70 percent of the pavilions, Xinhua News Agency reported. China is the first developing nation to host the World Expo and officials hope the event, held from May 1-Oct 31, will improve Shanghai's position as a global city.

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