Face aux critiques qui dénoncent la nouvelle arrogance de Pékin, les dirigeants chinois veulent montrer qu'ils ne menacent personne et qu'ils sont prêts à prendre leur part de la gouvernance mondiale.
Dans un méandre du fleuve Yang Tsé, en plein coeur de la Chine, la ville de Chongqing n'a rien à envier, en termes d'encombrements, de pollution, de gratte-ciel et de construction effrénée, à Pékin, à Shanghaï ou aux autres cités de la côte. Partie beaucoup plus tardivement dans la course au développement, Chongqing est déjà, avec pas moins de 32 millions d'habitants, l'agglomération la plus peuplée du pays. Son dynamisme illustre le moment actuel de la politique décidée à Pékin : développer le marché intérieur et réduire l'écart de revenus entre les provinces côtières de l'est, tournées vers l'exportation, et le centre et l'ouest, longtemps restés à la traîne.
La visite, conduite par les responsables locaux, commence immanquablement par l'Exposition sur la planification de la ville. Une immense maquette, grande comme un court de tennis, hérissée de tours, présente l'état des lieux et les projets de construction pour les décennies à venir. Le fleuve, aujourd'hui au plus bas à cause de la sécheresse, se perd au pied de ce qui pourrait être une demi-douzaine de Manhattan. Quelque 200 kilomètres en aval : le barrage des Trois-Gorges. Au premier trimestre de cette année, la croissance à Chongqing, municipalité naguère appartenant à la province du Sichuan et placée sous l'autorité directe de Pékin, a atteint 18 %. L'objectif pour cette année est de 16 %, le double de celui pour l'ensemble du pays. Le succès de la ville et son caractère exemplaire pour la nouvelle Chine donne des ailes à son secrétaire général du PCC, Bo Xilai, appelé à jouer un rôle croissant dans la politique nationale.
Le développement accéléré de Chongqing est un résultat direct du plan de relance qui a injecté plus de 580 milliards de dollars dans l'économie chinoise, notamment dans les infrastructures. Le réseau de TGV, qui doit relier la ville province au reste de la Chine, a pris cinq ans d'avance et sera terminé en 2015 au lieu de 2020. « Par rapport à Shanghaï, nous disposons d'avantages comparatifs. Le coût de la main-d'oeuvre est moins élevé ici et beaucoup d'entreprises se délocalisent. Elles abandonnent les provinces côtières pour s'implanter ici », explique Zhang Haiqing, directeur général adjoint du bureau des affaires étrangères de Chongqing. Les investissements massifs sont destinés à pallier l'éloignement des marchés extérieurs. Ainsi, Hewlett-Packard a installé dans la ville sa base de production d'ordinateurs portables pour le marché asiatique.
L'Exposition universelle de Shanghaï
Sur la côte, la crise financière mondiale a réduit la demande étrangère. La croissance des « Trente Glorieuses » née des réformes de Deng Xiaoping n'est plus ce qu'elle était. La main-d'oeuvre qualifiée se fait rare et donc chère. Le taux de profit des exportations est en recul. « Nous devons développer les réexportations et investir dans l'innovation pour augmenter la qualité et la valeur ajoutée de nos produits », explique, à Hangzhou, Wang Jun, responsable des relations avec l'Europe pour la province du Zhejiang, la plus avancée en Chine en termes de technologie.
L'Exposition universelle de Shanghaï, qui ouvre le 1er mai, sera l'occasion de prouver que la Chine n'est plus seulement l'atelier du monde mais aspire aussi à devenir bientôt une puissance industrielle moderne de premier plan. « La Chine fait face à trois difficultés, explique Yang Jiemian, président des Instituts de Shanghaï pour les études internationales. Le modèle de développement que nous avons connu avec une croissance à deux chiffres atteint ses limites en termes de consommation d'énergie et de pollution. Nous sommes un grand pays économique mais pas encore une puissance technologique. Nous manquons, enfin, d'expérience en matière de gestion économique et financière. » Certes, mais la Chine dispose d'avantages considérables. Yang Jiemian insiste d'abord sur la mobilité de la main-d'oeuvre. « Le mouvement de population, qui part de l'ouest pour aller travailler dans l'est, plus développé, conjugué au mouvement de capitaux en sens inverse, pour industrialiser progressivement le centre du pays, constitue le moteur de la croissance chinoise. »
L'essentiel est dans cette capacité tout à fait inégalée qu'a le système communiste chinois de planifier un développement à long terme. « Rares sont les pays qui peuvent se fixer des objectifs sur cinquante ans », relève Yang Jiemian, avant de rappeler la doctrine officielle. En ce moment, le pays a beau être en pleine croissance, il reste un pays « en développement ». En 2050, la Chine sera « un pays développé ». Et, à la fin du siècle, « une puissance mondiale ».
Ce calendrier très conservateur est bousculé par les événements. La Chine a largement profité de la mondialisation et la crise financière a été l'occasion pour elle de creuser encore l'écart en termes de croissance. Du coup, le rattrapage s'accélère. Pékin a de plus en plus de mal à se retrancher derrière son statut de pays « en développement » pour éviter d'assumer un rôle actif dans la gouvernance mondiale.
Sur le plan économique, son émergence a été reconnue avec l'institutionnalisation progressive du G20, réuni une première fois à Londres, puis à Pittsburgh au niveau des chefs d'État. Les Chinois voudraient aller plus loin. Ils ne tiennent pas à une réforme de l'ONU qui diluerait leur pouvoir au Conseil de sécurité et insistent plutôt sur la création d'un « secrétariat » du G20. Au moment où est en vue une réévaluation du yuan, négociée exclusivement en bilatéral avec les États-Unis, il y a là un appel du pied à l'Europe, inquiète de voir s'installer un G2 qui mettrait la relation, certes conflictuelle, entre Washington et Pékin au coeur de la gouvernance mondiale.
Au-delà de l'économie, les autorités chinoises sont en train de changer d'attitude et de s'impliquer davantage dans les affaires du monde. La présence du président Hu Jintao au sommet, qui s'est ouvert hier soir à Washington, sur la sécurité nucléaire est un nouvel indice de ce changement. Le voyage du président Hu montre d'abord le prix que la Chine attache à ses relations avec les États-Unis, en dépit de la tension récente à propos du yuan, de Taïwan et de la rencontre de Barack Obama avec le dalaï-lama. Mais la sécurité nucléaire n'étant pas, jusqu'à présent, l'une des priorités de la diplomatie chinoise, la participation de Hu Jintao au sommet de Washington est aussi le signe que la Chine veut être considérée comme un partenaire fiable sur la scène internationale.
Autre signe : l'évolution de la position chinoise sur l'Iran. Aux Nations unies, la Chine se montre prête à discuter de sanctions alors qu'elle y est, par principe, opposée « dans la mesure où elle subit elle-même des sanctions avec l'embargo européen sur les armes », rappelle Mme Fu Ying, vice-ministre des Affaires étrangères. Pénaliser un pays qui est son troisième fournisseur de pétrole n'est certainement pas une perspective qui enchante Pékin.
Mieux se faire comprendre
Les dirigeants chinois ont pris la mesure de l'inquiétude que suscite dans le monde la montée en puissance de leur pays. La Conférence sur le climat à Copenhague, en décembre 2009, a marqué un tournant. Les critiques dénonçant la nouvelle arrogance de Pékin ont été alimentées par le comportement de la délégation chinoise conduite par le premier ministre Wen Jiabao. Pendant la négociation finale, celle-ci a pris de haut le président Barack Obama. Résultat, la Chine s'est trouvée à nouveau en position d'accusée.
Le besoin de mieux se faire comprendre était très net lors d'un séminaire franco-chinois, qui s'est déroulé récemment à Pékin. « La Chine ne va pas construire son développement aux dépens des autres. C'est, au contraire, une opportunité pour le reste du monde », a souligné à cette occasion le conseiller d'État Dai Bingguo, principal architecte de la diplomatie chinoise. La crise oblige la Chine à changer son modèle de développement et à réduire sa dépendance vis-à-vis de l'étranger. Chongqing en profite; les provinces côtières s'adaptent. C'est une transformation que les autorités veulent graduelle et contrôlée, comme celle qu'ils sont prêts à imprimer à leur diplomatie. Mais sur le plan international, quelle que soit l'évolution interne, le poids croissant de la Chine l'amènera à assumer de plus en plus de responsabilités.
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