La Chine et la spéculation attisent la demande pour les produits de base et pourraient relancer l'inflation mondiale.
En un an, le cours du caoutchouc a augmenté de 143 %, le propylène de 80 %; depuis le début de l'année, le nickel a pris 32 %; platine et palladium sont au plus haut depuis deux ans; record de quinze ans battu pour la pâte à papier; baril de pétrole qui se rapproche des 90 dollars contre 33 au creux de la crise en décembre 2008; minerai de fer annoncé en hausse par les entreprises minières de 100 % : les prix des matières premières explosent à nouveau, à l'exception des céréales et de l'or.
Le phénomène commence à effrayer nombre d'industriels, comme l'Association des constructeurs européens d'automobiles (ACEA) qui a demandé à la Commission européenne d'utiliser « tous les moyens appropriés » pour ralentir la folle appréciation du fer. Car le bizarre est que, sauf en Asie, la reprise est hésitante et molle, et que le dollar monte, deux facteurs normalement dépressifs pour les matières premières. Plus étrange encore, les stocks de tous ces produits augmentent, ce qui devrait provoquer leur recul.
Avec un rythme annuel de croissance qui frôle les 12 %, la Chine importe à peu près de tout en quantités phénoménales et, signe des temps, elle a même importé 104 millions de tonnes de charbon pour la première fois en 2009, elle qui en produit 3,3 milliards de tonnes ! Comme elle pèse un tiers de la consommation mondiale des métaux de base, il n'est pas étonnant que les prix fusent.
Une régulation européenne
L'action des investisseurs, autrement dit de spéculateurs, est l'autre facteur inflationniste. Ils sont de retour après les pertes abyssales qu'ils ont subies en 2008 et 2009, car il faut qu'ils placent leurs énormes liquidités. « On ne sent pas encore de mouvements spectaculaires, explique Renaud de Kerpoisson, président de la société de conseil en gestion du risque prix Offre et demande agricoles. Mais on constate la reprise de leur activité : on voit de plus en plus des achats de plus de 500 lots à la fois, alors que la norme ne dépasse pas 50. »
Jean-Pierre Castel, consultant indépendant, a fait sienne les conclusions du cabinet britannique Bloomsbury Minerals Economics (BME), qui a analysé les effets de l'arrivée des banques sur les marchés des métaux à partir des années 2000. « Aucune contestation n'est possible, affirme-t-il. Parexemple, dans le cas du cuivre, le BME estime que les investisseurs financiers sont responsables de plus de 30 % de la flambée des cours 2007-2008 et de plus de 60 % de la reprise depuis le début de 2009. Les fonds ont faussé les mécanismes de formation des prix. »
Christine Lagarde, la ministre française de l'économie, est si persuadée de cette dangerosité qu'elle a demandé, le 13 avril, à Bruxelles de rédiger une directive pour « encadrer les multiples produits dérivés qui circulent dans les marchés des matières premières ». Elle suggère la création d'un organe régulateur conçu sur le modèle de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) américaine.
Le premier danger de ces anticipations sur le futur est une forte volatilité, les prix accusant des pics et des creux spectaculaires et de courte durée. Ce mouvement irrationnel de yo-yo nuit à la visibilité des acheteurs et des vendeurs, puisqu'il ne repose pas sur des réalités comme une sécheresse ou une grève de mineurs. Il ralentit les décisions d'investissements. Il peut contribuer à créer une illusion de pénurie comme cela s'est produit en 2008 avec le riz.
Le consortium des sidérurgistes européens Eurofer a souligné l'aberration d'un doublement du prix du fer à un moment où les prix de l'acier européen sont toujours en retrait par rapport à 2008. Devoir augmenter le prix des voitures pour amortir la hausse de leurs ingrédients n'est pas la meilleure façon de soutenir l'économie mondiale. Pire : l'inflation des coûts des produits de bases pourrait déclencher un regain d'inflation généralisée.
Toutefois, de puissants freins sont à l'oeuvre qui pourraient assagir les cours des matières premières plus efficacement que le régulateur cher à Mme Lagarde. La hausse du dollar dissuade les acheteurs de métaux, car elle rend ceux-ci plus onéreux pour eux. La Chine a aussi commencé à rendre la vie moins facile à ses banques et à réduire les prêts pour ses entreprises, histoire d'éviter la surchauffe. Enfin, les stocks de réserves de céréales ont changé de camp. « Depuis deux ans, ce sont les pays importateurs - Chine, Inde, Maroc - qui stockent et pas les exportateurs, souligne M. de Kerpoisson. Cela signifie que les pressions à la baisse comme à la hausse sont moins fortes. »
La hausse va-t-elle se poursuivre ? « L'euphorie actuelle, qui a porté le cuivre à 8 000 dollars la tonne et l'acier à 150 dollars, est complètement injustifiée et je ne vois pas les prix poursuivre leur ascension, répond Philippe Chalmin, professeur associé à Paris-Dauphine, car le monde tourne sur un seul moteur : la Chine qui avance à un rythme insoutenable. La première crise du XXIe siècle sera chinoise et les matières premières en seront les premières victimes. »
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