vendredi 30 avril 2010

LE FIGARO - Shanghaï expose dans la démesure la puissance chinoise




Le Figaro, no. 20449 - Le Figaro, vendredi, 30 avril 2010, p. 6

La grande ville côtière a dépensé 30 milliards d'euros, déménagé 272 usines et 60 000 personnes pour accueillir entre 70 et 100 millions de visiteurs en six mois.


CHINE D'un point de vue chinois, d'ailleurs assez partagé, il ne faut pas se tromper. Ce n'est pas l'Exposition universelle qui va le plus apporter à Shanghaï, mais bien l'inverse. La Chine et sa capitale économique vont redonner des couleurs à un rendez-vous international ayant perdu de son sens, à l'heure de la communion mondiale numérisée. Petit tour d'horizon de cette « Expo 2010 » qui sera inaugurée ce soir, en présence notamment du couple Sarkozy, et qui va durer six longs mois, jusqu'au 31 octobre.


L'esthétique du nombre Comme les JO de Pékin, l'Exposition de Shanghaï vise les records et joue la démesure. Les estimations oscillent entre 70 et 100 millions de visiteurs. Le chiffre plancher de 70 millions ne doit rien au hasard, puisqu'il s'agit de faire mieux que le voisin et rival japonais, lors de l'exposition d'Osaka de 1970, avec 64 millions de visiteurs. On attend ici plus de 400 000 visiteurs par jour, « soit l'équivalent d'une ville moyenne en Europe », souligne Xu Bo, adjoint au commissaire général de l'Exposition. Le nombre de participants - 189 pays souverains et 50 organisations internationales - est lui aussi historique. La superficie du parc est au diapason. Il s'étend sur 5,28 km2, soit deux fois Monaco, dans le centre de la ville et non pas comme souvent en périphérie. Il a fallu déménager 272 usines et 60 000 personnes. Pour transformer son paysage urbain et ses infrastructures, Shanghaï a dépensé plus de 30 milliards d'euros.

Un événement très chinois Quelque 95 % des visiteurs devraient être chinois et les unités de travail distribueront assez de billets pour faire nombre. « À l'inverse des JO, événement télévisuel pour la plupart des Chinois, ils viendront ici eux-mêmes, explique Xu Bo. Un Chinois du Xinjiang se retrouvera directement parachuté dans le pavillon français. Vous imaginez le choc et la richesse de l'échange! » Pour relativiser, notons que la majeure partie des visiteurs chinois seront de Shanghaï et sa région. Selon les estimations, 30 % seront des Shanghaïens, 50 % viendront du delta du Yang Tsé et 20 % du reste de la Chine. Côté visiteurs étrangers, la prévision minimale est de 3,5 millions, et sûrement plus : 1 million de Japonais, au moins autant de Coréens, 1 million d'Européens... L'affluence la plus grande est prévue pour les deux derniers mois, en septembre et octobre.

Grands et petits pavillons L'Expo aligne toute une palette de pavillons. Côté États, 42 pays ont construit leur propre édifice, tandis que 42 autres ont loué des bâtiments construits par les organisateurs. D'autres trouvent leur place dans les 11 pavillons collectifs. On découvre aussi 18 pavillons d'entreprises, comme ceux de Coca-Cola ou GM. Le pavillon chinois, dont on ne peut qualifier l'architecture de légère, écrase de sa masse tout le site. Il a une folle superficie de 60 000 m2 et, si l'on y ajoute l'espace dévolu aux 31 provinces et régions, le total du site chinois atteint les 160 000 m2. Là encore, le chiffre de 60 000 m2 n'est sans doute pas le fruit du hasard, puisqu'il représente dix fois la superficie des plus gros pavillons étrangers, qui font 6 000 m2. Les modules proposés aux exposants étaient en effet de 500 m2, et une douzaine de « grands » pays - dont la France, les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon ou la Corée - en ont loué douze. Les budgets français et américains tournent autour de 45 millions d'euros, tandis que ceux du Japon ou de l'Arabie saoudite se sont envolés à plus du double!

La France à Shanghaï Xu Bo aime rappeler que la France fut le premier pays à confirmer sa participation et le premier encore à lancer la construction de son pavillon. Les attentes seraient fortes puisque, selon l'agence de relations publiques Ogilvy PR, le pavillon France vient en 2e position, derrière celui des États-Unis, dans les intentions de visite des Chinois (sur le pavillon français, lire nos éditions du 23 avril). Plusieurs régions françaises sont aussi représentées. L'Alsace, l'Ile-de-France et Rhône-Alpes feront la promotion de leur expertise en matière de développement urbain dans leur propre pavillon sur le site de l'Expo. Et Lille s'est installée en ville, dans un ancien temple taoïste de la rue de Nankin. La « journée nationale » française aura lieu le 21 juin, avec l'organisation d'une Fête de la musique à Shanghaï.

La charte de la ville de demain Avec le slogan « Meilleure ville, meilleure vie », les décideurs chinois ont habilement choisi le thème du défi urbain. Une partie du site abritera ainsi un « espace des meilleures pratiques urbaines », où villes et régions du monde entier viendront présenter leurs bonnes idées. Mais l'ambition chinoise ne s'arrête pas là. La Chine veut faire adopter à la fin de l'exposition une « Déclaration de Shanghaï », endossée par l'ONU. Une sorte de manifeste de la ville idéale traçant la voie pour les décennies futures.


La Chine a pensé l'Expo 2010 comme un « outil de diplomatie publique » - Arnaud de la Grange

Il y a, dans la plupart des esprits, un clair continuum entre les JO de 2008 et l'Exposition universelle de 2010, deux cérémonies pour un même sacre de la nouvelle puissance chinoise. Ne qualifie-t-on pas, d'ailleurs, les expositions universelles d'« olympiades économiques », ce qui renforce l'idée que l'événement de Shanghaï vient utilement compléter celui, plus politique, de Pékin? Les consignes venant du « Centre » ont été claires, « il faut une exposition à la hauteur de la Chine », confie Xu Bo, adjoint au commissaire général de l'Exposition. Il reconnaît bien volontiers que l'Expo 2010 est un « outil de diplomatie publique ». En d'autres termes, un instrument glamour de ce fameux « soft power » à la chinoise.

Paradoxalement, ces deux événements de festive communion internationale interviennent alors « qu'au sein des opinions démocratiques des grands pays développés, la Chine n'a jamais eu une aussi mauvaise image, du moins depuis trente ans », comme le constate François Godement, directeur d'Asia Centre. Et finalement, l'Expo 2010 apparaît surtout comme une allégorie de ce soft power chinois, qui n'a pour l'heure de réelle résonance que chez les Chinois eux-mêmes et les pays en voie de développement. Ce dernier volet étant d'ailleurs loin d'être négligeable. « La plus grande partie de la rhétorique chinoise, qu'il s'agisse du discours sur le confucianisme ou l'exemplarité chinoise, ne dépasse guère le cadre de la Chine », poursuit François Godement.

Une tête de tigre avec une queue de serpent

Comme les JO, l'Exposition internationale est avant tout un événement à vocation interne, 95 % des visiteurs attendus étant d'ailleurs chinois. En dépit du fait que le président français y sera présent ce soir, la cérémonie d'ouverture n'avait pas vocation à afficher un nombre record de chefs d'État et de gouvernement présents. Il s'agit avant tout de montrer l'efficacité du Parti et sa reconnaissance par le monde entier, qui se presse pour admirer ses oeuvres. Mais Pékin cible aussi en priorité ce « Sud », qu'il soit africain, latino-américain ou asiatique, où son influence ne cesse de croître. « Nous avions un devoir moral d'aider les pays africains, par exemple, explique encore Xu Bo, et nous avons alloué 100 millions de dollars pour aider les pays du tiers-monde à être présents. » Le résultat est là : 50 pays africains sur 53 ont répondu présent, y compris une vingtaine d'États ayant des relations diplomatiques avec Taïwan et non avec la République populaire.

Shanghaï sera sans doute un succès, mais pour projeter sa « puissance douce » - terme utilisé par le président Hu Jintao au 17e Congrès de 2007 - au coeur des pays occidentaux, Pékin manque encore de crédibilité. Et ce malgré les milliards de dollars que l'on a récemment débloqués pour créer des médias ou des réalisations cinématographiques à « rayonnement mondial ». À l'occasion d'un récent forum à Pékin, ce n'est pas un dissident mais Charles Zhang, patron de sohu.com, le principal portail du Web chinois, qui a averti que la Chine n'arriverait jamais à faire entendre sa voix sur la scène internationale si elle ne relâchait pas sa poigne sur le cinéma et les médias. Selon lui, ces médias « n'ont pas de personnalité indépendante, aussi n'ont-ils pas d'autorité et ne suscitent-ils pas le respect ». Et de citer une expression imaginée pour décrire quelque chose qui semble commencer fort pour se terminer par pas grand-chose : « Une tête de tigre avec une queue de serpent »...

Pour l'heure, le soft power de la Chine repose donc essentiellement sur son empreinte diplomatique légère et, surtout, sur son efficacité économique. Plus que tout autre aspect culturel, c'est bien cela que va magnifier la fête qui s'ouvre dans la capitale des affaires de l'empire. En ce sens, de l'autre côté du fleuve Huangpu, le site de l'Exposition sera le contrepoint moderne du Bund, avec ses bâtiments historiques symbolisant les anciennes et coloniales puissances.



Sarkozy rode son nouveau style présidentiel - Charles Jaigu
De Chine, le chef de l'État continue de suivre de près la crise financière européenne et le débat français sur la burqa.


Peu à peu, Nicolas Sarkozy campe le décor de la fin de son quinquennat. Il le fait depuis la Chine, accompagné de son épouse, Carla Bruni. Un décor conçu pour dissiper la mauvaise image personnelle brouillonne ou fébrile qui s'est installée ces derniers mois dans l'opinion. Pour la deuxième fois depuis le début de son mandat, il tente de trouver un équilibre entre son style personnel et les exigences de la fonction. Pour ce faire, Nicolas Sarkozy joue à fond du registre présidentiel.

Ainsi, il se garde de tout interventionnisme intempestif. Hors de question d'entrer dans des considérations sur le vote de la loi qui doit interdire le port du voile intégral. Son entourage rappelle qu'il en a fixé le principe il y a dix mois, en affirmant que « la burqa est contraire à la République ». Il laisse en revanche les détails de sa mise en oeuvre à son premier ministre. En revanche, le chef de l'État semble parfaitement déterminé à soutenir Brice Hortefeux, son ami de plus de trente ans. Et plusieurs proches se disent satisfaits de l'offensive du ministre de l'Intérieur contre « la polygamie ».

« Lehman Brothers de l'Europe »

Mais, voyage en Chine oblige, le président français parie notamment sur la politique étrangère pour retrouver la dimension qu'il avait acquise pendant la période de la présidence française de l'Union, au second semestre 2008. Après Washington, sa visite en Chine ouvre une longue marche vers un G20 en juin 2011, en France, qui doit concrétiser une nouvelle « harmonie monétaire », selon les termes élyséens. Le président français considère en effet qu'il faut appliquer une nouvelle méthode de négociation internationale, progressive, persuasive et multilatérale. A contrario, il cite souvent le sommet de Copenhague, sur les enjeux climatiques, comme l'exemple du fiasco à éviter.

Mais Nicolas Sarkozy se présidentialise aussi, s'attardant plus que d'habitude en Chine, comme il le fera en Inde, lors d'un voyage de plusieurs jours annoncé pour la fin de l'année. La visite de quatre hauts lieux de la civilisation chinoise, hier et avant-hier, répond selon lui à l'objectif stratégique de réussir à construire durablement une relation bilatérale - en deux jours il aura vu l'armée enterrée de Xian, la muraille de Chine, le tombeau des Ming et la Cité interdite, à Pékin. Mais il se fixe aussi avec son épouse une règle de distance avec la presse, absente lors de ces visites. Le chef de l'État a décidé de renforcer encore le cordon sanitaire entre son couple et la presse, afin d'éviter à tout prix le risque de « pipolisation ».

Depuis Pékin, le chef de l'État n'ignore pas non plus le minicyclone financier. S'il regrette en privé que l'Europe n'ait pas pu voler plus tôt et plus vite au secours d'Athènes, il prend acte qu'Angela Merkel ne pouvait pas courir ce risque face à une opinion allemande déchaînée. Au risque de voir la Grèce devenir le « Lehman Brothers de l'Europe », selon l'expression élyséenne, Nicolas Sarkozy estime qu'il est de la plus haute importance de sanctuariser la relation franco-allemande dans cette période troublée. Il considère en réalité que la France doit jouer dans cette crise le rôle de rassembleur de la famille européenne, surtout quand les spéculateurs, au travers de la Grèce, s'attaquent à la zone euro.

« J'ai constamment la chancelière au téléphone, on se voit », a-t-il déclaré hier, en annonçant une réunion au sommet au lendemain des élections allemandes. « J'ai été très satisfait des déclarations de (...) la chancelière sur la crédibilité du plan grec, sur sa détermination à mettre en application le plan européen de soutien à l'euro », a-t-il continué hier. « Nous ne laisserons pas la spéculation agir à son gré pour déstabiliser tel ou tel pays », a ajouté Sarkozy, qui reste très sévère à l'égard de ces agences de notation qui désormais font la pluie et le beau temps sur la monnaie européenne. Mais cela tombe bien : l'encadrement des agences de notation sera au menu des prochains G20.



Le « Paris de l'Orient » se mue en « New York de l'Asie » - Julie Desné

Le taureau de Wall Street sur les rives du Bund? Le clin d'oeil est à peine subtil mais en dit long sur le nouveau visage de Shanghaï. Le sculpteur Arturo Di Modica vient de livrer une statue de bronze quasiment identique à celle qu'il avait installée il y a plus de vingt ans aux abords de la Bourse new-yorkaise. Après avoir fait profil bas pendant de longues années, Shanghaï assume désormais son passé de « Paris de l'Orient » promis à un futur de « New York de l'Asie ».

L'Expo n'a fait qu'accélérer le processus engagé il y a vingt ans, qui a transformé le bourg de Pudong fait de baraquements, de champs et de marais, en skyline de Shanghaï. Le quartier de Lujiazui, qui regroupe la Bourse et le siège des principales banques implantées dans la métropole chinoise, compte aujourd'hui la tour la plus haute de Chine, à 492 mètres, déjà dépassée sur le papier par la tour voisine, en construction, qui s'élèvera en 2012 à 632 mètres.

Les deux décennies de travaux ont trouvé leur point d'orgue ces dernières années, avec l'Expo pour échéance. En un peu plus d'un an, la ville a doublé l'étendue de son métro, en passe de devenir l'un des plus longs du monde avec 420 km de lignes. Presque la moitié des tunnels vient d'être terminée et un nouveau terminal dans un des deux aéroports de la ville permet d'accueillir depuis le mois de mars des dizaines de milliers de voyageurs supplémentaires chaque jour. Si l'Expo a coûté 3 milliards d'euros aux organisateurs, elle a coûté dix fois plus à la municipalité, qui a investi environ 30 milliards dans les travaux d'infrastructures.

Certains quartiers, véritables champs de bataille il y a quelques mois, voient apparaître des parterres de fleurs. Le prétexte de l'Expo a permis un temps de faire passer la pilule de toutes ces transformations aux Shanghaïens. Mais, derrière l'enthousiasme collectif, certains confient tout bas leur ras-le-bol. « Enfin! L'Expo arrive. Je commençais à ne plus supporter tous ces travaux que l'on subit depuis plusieurs années », s'exclame Shi Qing. Comme beaucoup de résidents, cette jeune femme de 28 ans n'a pas beaucoup dormi ces derniers mois avec la réfection de la chaussée juste en bas de son immeuble. Consciente d'en avoir peut-être fait un peu trop, la municipalité a distribué des billets gratuits à tous les foyers de Shanghaï.

Horizon 2020

Ces efforts n'auront pas été vains. La métropole chinoise peut désormais présenter une image de ville en pleine modernisation et plus seulement en montrant, de façon anecdotique, son train à sustentation magnétique - la seule ligne en service au monde - qui relie l'aéroport... à un terminus de ligne de métro. L'objectif est bien plus lointain que l'inauguration de ce soir. La capitale économique chinoise nourrit de grandes ambitions depuis les années 1990. L'annonce par le gouvernement central, l'an dernier, du plan de développement de Shanghaï à l'horizon 2020 a fini par sceller son avenir proche. « C'est maintenant écrit noir sur blanc », souligne un économiste européen. La ville a été désignée pour devenir en dix ans un centre financier et logistique d'envergure internationale. Londres, qui doit à son essor logistique d'être devenue la place financière européenne la plus dynamique, est souvent citée comme modèle.

Reste à savoir si Pékin accompagnera jusqu'au bout cette transformation. La libéralisation du secteur financier, la sophistication des places boursières, l'assouplissement du régime de change sont autant de défis que le pouvoir central doit relever pour donner à Shanghaï les moyens de ses ambitions. Des ambitions toujours tributaires du bon vouloir de la capitale, où la banque centrale continue de siéger.


La Chine en quête de grands réalisateurs français - Paule Gonzales
Eldorado du cinéma occidental ou supplice de Tantale. La promesse du colossal marché chinois de plus de 1,2 milliard d'habitants fait espérer aux opérateurs européens et américains un relais de croissance incomparable. Mais depuis les Jeux olympiques de Pékin, en 2008, les majors américaines comme la Warner - qui s'était lourdement impliquée dans la construction de salles de cinéma - se sont retirées de Chine vendant leur part à des opérateurs locaux. Seule la France, qui après les États-Unis est le seul des pays européens à exposer régulièrement ses films dans l'empire du Milieu, a réussi à signer, hier, un accord de coproduction initié en 2004.

Une victoire dont peut se flatter le ministère de la Culture. Il reste à savoir désormais si les gros opérateurs chinois seront plus tentés par les systèmes d'aides français ou préféreront débaucher des grands noms internationaux de la réalisation, pour tourner leurs propres blockbusters. C'est ce que vient de faire la maison de production Beijing Forbidden City Film en embauchant Jean-Jacques Annaud pour tourner en 2011 Le Totem des loups. Un film à 30 millions de dollars (21 millions d'euros) qui adapte à l'écran le plus grand best-seller chinois, depuis « Le Petit Livre rouge », vendu à 4 millions d'exemplaires et piraté à 12 millions de copies.

« La culture de l'opportunité »

Le pragmatisme chinois a préféré passer l'éponge sur Sept ans au Tibet pour embaucher celui qui - fort des succès de L'Ours et de Deux frères - est considéré comme le meilleur réalisateur mettant en scène des animaux. De même, le groupe Antaeus, opérateur de 1 500 salles (près d'un quart du marché), se lance dans la production en grand avec, dans ses cartons, une dizaine de films dont il entend bien finaliser la production à Cannes. Son rêve, débaucher Luc Besson pour tourner The Kiss of the Dragon, dont le budget est de l'ordre de 10 millions d'euros, ou un autre grand nom de la réalisation française pour tourner, en partie à Paris, Les Mémoires d'une princesse chinoise en France, avec un faible affiché pour Christophe Barratier, Jacques Perrin ou encore Jean-Pierre Jeunet. « La Chine a la culture de l'opportunité », explique Baoquan Zhang, le président du groupe Antaeus, qui a fait fortune dans l'immobilier avant de se lancer dans le cinéma. « Le développement des salles augmentera le nombre de spectateurs tandis que le numérique permet de réduire les coûts de distribution. Mais, aujourd'hui beaucoup de films chinois restent sur les étagères car ils n'ont pas la qualité requise. C'est maintenant que nous devons commencer à produire. »

Parallèlement, jamais la distribution des films étrangers n'a été aussi compliquée. Sur les 13 longs-métrages et les 12 courts-métrages présentés par l'organisme de promotion Unifrance, à l'occasion du 6e festival Panorama du cinéma français qui vient de se dérouler en Chine, aucun n'a été acheté par China Films, le distributeur officiel, alors que l'accueil en salle est positif. L'année dernière, ce sont seulement quatre films français qui ont été vendus : Coco et Igor, de Jan Kounen, Ne te retourne pas, de Marina de Van, Skate or Die, de Miguel Courtois, et Arthur 2, de Luc Besson. Seul ce dernier a trouvé le chemin des salles, réalisant 470 000 euros de recette pour 210 000 entrées. À sa décharge, le film a été programmé en même temps qu'Avatar, qui a totalisé 120 millions d'euros au box-office, soit la plus grosse recette du film hors des États-Unis.

Signe des temps, si passer par les fourches caudines de la censure idéologique n'est pas une mince affaire, celle économique devient tout aussi sévère. « Ce que l'on aime ici, ce sont les gros films américains, et seulement après les gros films français », explique Guo Qu Bo qui dirige dans la province de Wuhan le réseau de salles Yingxin, quinzième au plan national avec 100 écrans. « Les Chinois aiment l'entertainment, ils veulent des acteurs connus et de grosses affiches. Et, nous exploitants, nous y sommes favorables car nous dépensons beaucoup d'argent dans la promotion des films. »

Implanter 20 000 écrans dans le pays d'ici à trois ans - Paule Gonzales

Ce sont 36 grands réseaux d'exploitation de salles qui sont les acteurs forts du cinéma en Chine aujourd'hui. Leur rêve : « Obtenir la liberté d'importer et de choisir les films que nous voulons pour nos écrans », explique l'un d'entre eux. Car ce que redoutent le plus aujourd'hui les exploitants, c'est la difficulté d'approvisionnement et la pénurie de films à venir.

Avec 200 millions de spectateurs par an et un box-office annuel de 620 millions d'euros pour 4 000 écrans, la progression du marché est de 35 % par an. Les autorités chinoises encouragent désormais la construction de salles dans les moyennes et petites villes. Le projet : disposer d'ici à trois ans de 20 000 écrans dans toute la Chine, dont la moitié seront numériques grâce notamment aux subventions de l'État. Déjà, aujourd'hui, le pays avec 700 salles numériques n'est pas loin de la France qui en compte 900. Or, sur les 400 films produits officiellement en Chine, seuls 130 sont exploités en salles et, faute de qualité, seulement la moitié mériteraient de l'être. L'appétence pour le septième art est pourtant grande. Preuve en est le piratage qui, pour le coup, ne se limite pas aux blockbusters américains mais touche aussi à la cinématographie française.


Le couple présidentiel s'attarde sur les traces du passé chinois - Charles Jaigu
Le Figaro, no. 20448 - Le Figaro, jeudi, 29 avril 2010, p. 5

C'est un Sarkozy métamorphosé qui a foulé hier le sol chinois. En novembre 2007, le tout nouveau président entendait en finir avec les « salamalecs » de son prédécesseur Jacques Chirac, sinophile déclaré, qui mettait un point d'honneur à respecter avec minutie le cérémonial de la diplomatie pékinoise. Nicolas Sarkozy avait bien l'intention d'installer un style direct et spontané, et ses conseillers vantaient les capacités d'improvisation de ce « nouveau Clausewitz », toujours à l'offensive, au pays du stratège Sun Tzu. Mais depuis ces belles résolutions, l'eau a coulé sous les ponts de la Seine et du Yang Tsé.

Trois ans après, et quelques brouilles plus tard, l'arrivée du couple Sarkozy remet donc les compteurs à zéro. « Ils sont allés à Pékin comme on va à Canossa », sourit un connaisseur. Les états d'âme des « bobos » - selon le mot d'un conseiller du président - sur les droits de l'homme et le Tibet en seront pour leurs frais : la diplomatie de Nicolas Sarkozy assume désormais sans hésitation la « realpolik ». Il est toujours aussi peu amateur de la « langue de teck » chinoise, selon un proche. La raideur du protocole chinois l'exaspère et il a gardé un mauvais souvenir - tout comme Barack Obama - des blocages chinois au sommet de Copenhague. Mais il prend acte que la Chine sort renforcée de la crise. « Nous avons besoin d'eux pour réussir le G20 l'année prochaine », note froidement un diplomate.

À cet égard, la présence de Carla Bruni est un événement en soi. La première dame, souvent discrète sur les questions diplomatiques, s'était signalée par ses convictions fortes en faveur du dalaï-lama. Elle avait décidé, contre l'avis de Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique du chef de l'État, de rendre visite au chef spirituel des Tibétains en août 2008, en Dordogne, avant de presser son mari d'aller à la rencontre de ce dernier lors d'un sommet des Prix Nobel de la paix, en Pologne, en novembre 2008. Ce qui avait valu dans la presse chinoise des articles au vitriol sur la première dame française.

La fanfare chinoise sur les chansons de Carla

Hier, Carla Bruni a sacrifié au rituel chinois sur toute la ligne. Elle a fait escale à Xian pour y découvrir l'armée des soldats enterrés, exactement comme son mari l'avait fait trois ans plus tôt, à l'époque accompagné de sa mère. Nicolas Sarkozy a voulu montrer à sa femme ces visages de guerriers « vieux de vingt-deux siècles ». Un geste de respect pour ce haut lieu de l'histoire chinoise, a commenté le président. Tout comme la visite de la Grande Muraille dans une partie moins touristique, ou du tombeau de la dynastie Ming. En revanche, le programme de la visite n'a pas prévu de présenter au président français le probable successeur de Hu Jintao. Ce n'est pas un ami de l'actuel président chinois, même si sa femme est une chanteuse de variété, très populaire en Chine...

En réponse à ce déploiement de déférence française, la fanfare de l'armée populaire de libération de la Chine n'a pas joué, comme il y a trois ans, L'Aigle noir, de Barbara, lors du dîner d'État au Palais du peuple, mais deux chansons de Carla Bruni, tirées de son premier album : Tout le monde est une drôle de personne, et, sur accompagnement musical : La Noyée.

Nicolas Sarkozy s'est donc transformé en président prochinois, comme il était devenu un président prorusse après la crise géorgienne. « Hu Jintao et Nicolas Sarkozy se sont mutuellement apprivoisés », observe, approbateur, « le » prochinois de la très forte délégation ministérielle, Jean-Pierre Raffarin. Quant à Nicolas Sarkozy, pour la quatrième fois dans l'empire du Milieu, il semble avoir pris acte qu'il ne pourra plus s'appuyer sur les trois nouveaux alliés dont il se réclame souvent - le Brésil, l'Égypte et l'Inde. À un an d'un G20 essentiel pour lui, Nicolas Sarkozy sait que son succès dépend de la bonne volonté des États-Unis et de la Chine. Après s'être rendu à Washington avec Carla Bruni, cette deuxième visite d'État - une rareté en trois ans -, dit beaucoup de l'évolution du président. Il a en tout cas entendu le célèbre conseil de Jean Monnet. Ce grand européen, qui fut banquier à Shanghaï dans les années 1930, répétait à ceux qui lui rendaient visite : « Ce qui est important en Chine, ce n'est pas quand on vient, c'est quand on revient. »



Nicolas Sarkozy veut impliquer la Chine dans la gouvernance mondiale
- Alain Barluet
Le Figaro, no. 20448 - Le Figaro, jeudi, 29 avril 2010, p. 5 Le chef de l'État s'est entretenu, hier à Pékin, avec son homologue Hu Jintao de ses projets de refonte du système multilatéral.

Le même décor et les mêmes gestes qu'il y a trois ans, lors de la première visite d'État de Nicolas Sarkozy en Chine. Hier encore, des soldats chinois des trois armes ont paradé dans l'immense hall du Palais du peuple, tandis que retentissaient les hymnes nationaux exécutés par une fanfare militaire. Cette fois, il s'agissait de tourner résolument le dos aux fâcheries du passé pour s'atteler aux lourds dossiers communs, tels les monnaies ou le programme nucléaire iranien. Hu Jintao en a pris acte en estimant que la visite de son homologue français ouvrait une « nouvelle page » dans les relations entre les deux pays. Lors du dîner d'État qui s'est tenu ensuite, le président chinois, pourtant guère enclin aux épanchements, a même souligné qu'il considérait Nicolas Sarkozy comme un « ami » personnel. Un invité raconte aussi que le dirigeant chinois semblait « heureux de reprendre le fil de leur conversation ».

Comme pour rattraper le temps perdu, Nicolas Sarkozy a développé ses chantiers prioritaires pour la présidence française du G8 et du G20, l'an prochain : stabilisation du prix des matières premières, réforme du système monétaire international, refonte de la gouvernance mondiale. « Nous avons besoin d'une Chine qui tienne toute sa place dans la gouvernance du XXIe siècle », a réaffirmé le chef de l'État.

Pékin doit « monter à bord »

Au cours des prochains mois, les deux chefs d'État se retrouveront aux sommets de Toronto, en juin, et de Séoul, en novembre. Dans cette perspective, « nous allons réfléchir et travailler ensemble », a dit Nicolas Sarkozy. « La conviction française est qu'il est parfaitement improductif de s'accuser les uns les autres. Il est beaucoup plus intelligent de préparer l'évolution nécessaire de l'ordre monétaire du XXIe siècle », a-t-il déclaré, en référence au souhait occidental de voir la Chine réévaluer le yuan. L'idée est bien d'ouvrir un chantier, en sachant qu'une réforme prendra du temps et que, de toute façon, le problème ne saurait être réglé « en binôme entre la France et la Chine », pondère une source diplomatique.

L'ombre de Copenhague plane sur un autre sujet évoqué hier, la réforme de la gouvernance mondiale. Nicolas Sarkozy répète à l'envi qu'il ne saurait être question de revivre un tel fiasco. Même si la Chine y a largement contribué, il n'était pas question, hier, de la pointer du doigt mais plutôt de l'inciter à « monter à bord » du train des réformes. Ce chantier-là est déjà ouvert avec la réforme du FMI et de la Banque mondiale. Selon Nicolas Sarkozy, l'adaptation doit se poursuivre, à l'ONU et au-delà, avec une place plus large donnée aux pays émergents.

Face aux appels du président français, les Chinois auraient fait preuve d'« ouverture », relève un témoin. Hu Jintao a évoqué « des mesures actives pour renforcer la coordination macroéconomique, combattre toute forme de protectionnisme et gérer adéquatement les frictions économiques et commerciales ». Mais il s'est bien gardé de rentrer dans les détails. Réceptivité ne signifie pas forcément adhésion.

Preuve en a aussi été fournie sur l'Iran. Une nouvelle fois, Nicolas Sarkozy a plaidé avec force pour un renforcement des sanctions en faisant valoir « combien la course atomique par Téhéran peut nuire à la stabilité du monde ». Hu Jintao l'a écouté « très attentivement », rapporte une source diplomatique.

Le test iranien

Le dirigeant chinois lui a dit que Pékin ne souhaitait pas voir l'Iran se doter d'une arme atomique. Il a dit aussi comprendre la frustration du président français de voir le dialogue au point mort avec Téhéran. La Chine est donc bien consciente des risques du statu quo actuel. Mais elle s'inquiète des conséquences que des sanctions renforcées contre l'Iran feraient peser sur la fragile reprise mondiale. « La Chine souhaite donner toute sa chance au dialogue. La France comprend », a concédé le président de la République. Toutefois, a-t-il enchaîné « chacun est convaincu que le moment approche ». Le Brésilien Lula da Silva sera le 16 mai à Téhéran avec l'ambition d'arracher un accord aux Iraniens. L'échec de cette mission sonnerait le glas des espoirs de dialogue. On saura mieux alors si Nicolas Sarkozy n'aura pas seulement été entendu, mais aussi écouté.

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