vendredi 30 avril 2010

LES ECHOS - Exposition de Shanghai : la Chine affiche sa puissance




Les Echos, no. 20668 - Une, vendredi, 30 avril 2010, p. 1

Avec l'Exposition universelle de Shanghai, la Chine met en scène sa nouvelle puissance
- Yann Rousseau

Le président chinois va inaugurer ce soir en présence de Nicolas Sarkozy l'Exposition universelle de Shanghai. Pendant six mois, le régime communiste compte montrer au monde la mutation progressive de sa nation, qui ne veut plus être considérée comme le docile « atelier du monde ».

En 1910, Lu Shi'e, un jeune médecin de Shanghai, publie dans le cadre d'un concours littéraire un petit roman intitulé « Nouvelle Chine ». Alors que le pays vit, avec humiliation, sa décadence sous l'influence des puissances étrangères et les derniers mois de la dynastie Qing, il y décrit le rêve d'un homme se réveillant un siècle plus tard dans une nation métamorphosée. Son héros Lu Yunxiang -littéralement « celui qui vole par-delà les nuages » -entrevoit une Shanghai ultramoderne, devenue une capitale des affaires, débarrassée des concessions étrangères et parcourue « de trains sous terre » qui conduisent les visiteurs du monde à la_ « Grande Exposition » sur les rives du fleuve Huang Pu. « C'était il y a tout juste 100 ans et ce rêve est devenu réalité », répète, encore fasciné par la prémonition, Xu Bo, l'adjoint au commissaire général de l'Exposition universelle qui est inaugurée, ce soir, à Shanghai, en présence de tous les cadres du régime communiste chinois et du président français Nicolas Sarkozy.

Moins de deux ans après la démonstration des Jeux olympiques de Pékin, la Chine a une nouvelle occasion de remettre en scène, pendant six mois, le retour de sa puissance sur la scène internationale. Ne se laissant pas décourager par le progressif désintérêt de l'opinion publique mondiale pour ces manifestations -les dernières éditions sont passées inaperçues -, les autorités affirment vouloir ressusciter la gloire des expositions de Londres en 1851 et surtout de Paris en 1889. « Ce sont des références », pointe Xu Bo qui rappelle que les pays hôtes étaient alors au faîte de leur gloire. « Nous, nous allons aussi célébrer l'émergence de l'Etat chinois », poursuit-il avant de rappeler que ce message de confiance et de puissance est aussi largement destiné au public chinois qui devrait constituer 95 % des 100 millions de visiteurs attendus sur le site.

Puissance créatrice

Pour réussir parfaitement ce culte, Pékin a préparé depuis 2002 la plus spectaculaire exposition universelle de tous les temps, convoqué 192 pays, offert des pavillons et des billets d'avion aux nations les plus pauvres et « amicalement » expliqué aux capitales un temps peu motivées par l'événement, telles que Washington, qu'il serait malvenu de rater leur fête. A tous, le régime entend montrer une Shanghai transformée, préfigurant la mutation progressive de l'ensemble du pays qui veut, à moyen terme, gommer son image de simple « usine du monde » pour s'imposer en puissance créatrice respectueuse de l'environnement. Les cicatrices industrielles rouillées, encore présentes il y a quatre ans en plein en centre de la mégapole de 17 millions d'habitants, ont ainsi été effacées. Les chantiers navals Jiangnan contrôlés par le groupe d'Etat CSSC ont été relocalisés et modernisés dans l'île de Changxing et quelques anciennes aciéries ont été relookées, sur le site même, en espaces culturels. Des espaces verts ont été agrandis et les façades des quartiers touristiques repeintes. « Nous voulons changer le statut de la ville pour qu'elle devienne une cité de services », résume Xu Bo, qui rappelle que le pouvoir central veut faire de Shanghai la capitale financière de l'Asie à l'horizon 2020 (voir ci-dessous).

Si les organisateurs de l'Exposition et le gouvernement local refusent de chiffrer le coût exact de la transformation de leur ville, les médias locaux affirment que plus de 30 milliards d'euros auraient été dépensés par les pouvoirs publics. Dans leurs calculs, ils incluent le budget officiel de l'expo -3 milliards d'euros -qui couvre notamment le coût de la relocalisation des 18.000 familles expulsées du site, mais également l'agrandissement de l'aéroport de Pudong, la totale transformation de celui de Hongqiao, la construction de quatre nouvelles lignes de métro ou encore la rénovation du mythique « Bund », au bord du fleuve. « Ce sont des travaux qui auraient eu lieu de toute façon. L'exposition a simplement permis à la ville d'accélérer de dix ans son processus d'urbanisation », souffle Xu Bo qui écarte d'un sourire le débat sur le coût de l'événement en rappelant une dernière fois sa dimension stratégique dans un étrange écho au livre de Lu Shi'e. A la fin de son son rêve, Lu Yunxiang s'était émerveillé de voir que « les étrangers, qui avaient l'habitude d'être arrogants et dominants, étaient désormais respectueux à l'égard des Chinois ».

L'Exposition universelle de Shanghai s'ouvre demain et s'achèvera le 31 octobre 2010.

Officiellement, la Chine a dépensé 28,6 milliards de yuans (3,1 milliards d'euros) à sa construction mais ce montant ne couvre que le site lui-même de l'Expo et son fonctionnement. En incluant le coût de construction des infrastructures, les médias d'Etat évoquent la somme de 400 milliards de yuans (43,5 milliards d'euros). Le pavillon français a pour sa part coûté un peu moins de 45 millions d'euros à la France.

La superficie de l'Exposition est de 5,3 km2 , soit vingt fois celle de Saragosse en 2008.

De 80 à 100 millions de visiteurs sont attendus, dont 95 % de Chinois. Le pavillon français attend 10 millions de curieux en six mois, soit 6.000 personnes par heure.

Le prix moyen des tickets est de 160 yuans, c'est-à-dire 17,40 euros.



Les entreprises et pavillons rivalisent de technologies vertes
- Yann Rousseau

Pour casser son image d'« usine du monde » polluante, la Chine a choisi de centrer l'exposition universelle sur la thématique : « Une ville meilleure. Une vie meilleure ».

Cinq mois après avoir été accusée par plusieurs pays occidentaux d'avoir empêché la signature d'un accord ambitieux à Copenhague, la Chine, depuis trois ans le plus gros émetteur de gaz à effet de serre, va tenter au fil de l'exposition universelle de Shanghai de prouver qu'elle a réellement enclenché sa mutation vers une croissance plus verte. Le pays a choisi de centrer l'événement autour de la thématique « Une ville meilleure. Une vie meilleure », qui doit lui permettre de mettre en scène, pour ses partenaires étrangers mais également pour sa population, sa capacité à inventer le monde de demain.

Sur le site, les organisateurs ont installé d'élégants collecteurs de pluie qui permettront d'alimenter une partie du réseau d'eau du lieu. En diffusant des panneaux solaires sur les toits de plusieurs des bâtiments, les organisateurs affirment pouvoir générer jusqu'à 5 mégawatts d'électricité - ce serait dès lors le plus gros projet solaire du pays -qui permettront de réduire la consommation de charbon.

Tentant d'être associés à ce virage vert de la croissance chinoise, beaucoup de groupes étrangers vont profiter de l'événement pour promouvoir leur propre technologie révolutionnaire. « La Chine représente pour nous une base de développement extrêmement importante », confirme Valérie Tardy, la directrice du marketing et du développement du groupe français Xella. Déjà leader mondial du béton cellulaire, la société équipe huit pavillons avec son béton Ytong, qui, grâce aux bulles d'air qu'il enferme, permet une gestion intelligente des variations de températures. « Habituellement, les constructions ont besoin d'un mur porteur et d'un isolant intérieur ou extérieur. Notre béton remplit lui toutes ces fonctions », détaille la responsable. En été, les pièces peuvent été rafraîchies plus facilement. En hiver, c'est la chaleur qui est mieux conservée. « En Chine, ces techniques de construction sont encore méconnues mais l'exposition va être l'occasion de montrer ce qu'il est possible de faire », pointe Valérie Tardy avant de rappeler que son groupe vient d'ouvrir son 5e centre de production dans le pays.

Des véhicules du futur

Dans une mégapole de près de 20 millions d'habitants connue pour ses embouteillages dantesques, le groupe General Motors, qui travaille dans le pays avec le constructeur automobile de Shanghai SAIC, va lui présenter, dès demain, au public les véhicules du futur. Le groupe américain met particulièrement en avant son étrange EN-V - prononcer « envy » -, un étroit véhicule de deux places ressemblant à une télécabine de ski. Alimenté par un moteur tout électrique, il peut être activé en un mode de conduite autonome qui permet aux passagers de se laisser guider dans la circulation par un très élaboré système de GPS, organisant l'évitement d'éventuels bouchons, et par une multitude de censeurs qui préviennent toute collision. Dans un autre modèle plus futuriste encore, baptisé « la feuille », le chinois SAIC a travaillé sur un véhicule utilisant un moteur alimenté par un panneau solaire installé sur son toit et par des petites turbines à vent glissées dans ses roues. Equipé d'un système reproduisant la photosynthèse, la coque de « la feuille » pourrait absorber du CO2 mais également de l'eau de pluie avant de recracher de l'oxygène. « Nous espérons qu'il sera possible de réunir ainsi ensemble l'homme, la voiture et la nature dès 2030 », a expliqué Liu Qihua, le chef du centre technique du constructeur chinois qui espère non seulement voir émerger prochainement un véhicule à émission 0 mais une voiture à émission négative, luttant d'elle-même contre le réchauffement climatique.



Trois régions françaises auront elles aussi leurs pavillons
- Laurence Albert

L'Alsace, l'Ile-de-France et Rhône-Alpes auront leur pavillon à Shanghai, où un espace a été dédié aux questions urbaines. Au moins un tiers des régions ont prévu de s'y rendre. Jamais les collectivités locales n'auront été aussi présentes au sein d'une exposition universelle.

Un pavillon rien qu'à soi, à l'instar des grandes nations : pour la première fois, une cinquantaine de villes et de régions du monde auront leur propre vitrine sur le très convoité site de l'exposition universelle de Shanghai, qui s'ouvre aujourd'hui. Un espace baptisé « meilleures pratiques urbaines », au sein duquel les collectivités sélectionnées exposeront leur savoir-faire (écologie, transport, technologie) sans oublier de vanter les charmes de leur terroir, ni d'aider leurs entreprises à prendre pied sur le marché chinois. Trois régions françaises, soutenues par les villes (Paris, Lyon, Strasbourg_) et un bataillon d' entreprises (GDF, Galeries Lafayette, SNCF, Schneider_) joueront dans la cour des grands : l'Alsace, Rhône-Alpes et l'Ile-de-France.

La première, habituée des expositions universelles -même si sa présence y était plus modeste -, a conçu un pavillon destiné à promouvoir « la belle Alsace », entièrement subventionné par les organisateurs chinois (2,3 millions d'euros) : seul le fonctionnement (750.000 euros) reste à la charge des collectivités. La région offrira un accompagnement sur mesure (location de salles_) à ses PME désireuses de s'implanter en Chine -125 y sont déjà -mais son pavillon est largement tourné vers le grand public et le tourisme.

Miser sur le business

L'Ile-de-France et Rhône-Alpes ont en revanche surtout misé sur le business, en pariant qu'une majorité de visiteurs seront des décideurs (élus, chefs d'entreprise). « Ce n'est pas la foire de Paris » argumente-t-on chez Jean-Jack Queyranne. Le pavillon rhônalpin (5 millions d'euros, financés pour moitié par la Chine), se veut une « vitrine industrielle et économique ». Il a été conçu par ERAI, son bras armé pour l'exportation, qui compte une centaine de salariés, dont 40 à Lyon, et 29 bureaux dans le monde. ERAI est très présent à Shanghai, où il emploie 20 salariés. Et pour cause : les deux villes coopèrent depuis vingt-quatre ans. 139 filiales d'entreprises rhonalpines sont présentes dans le pays, devenu son troisième fournisseur. En Ile-de-France, le pavillon (4 millions d'euros, financés pour moitié par la région, et pour un quart par Paris) s'adresse davantage aux Chinois qu'aux entreprises françaises désireuses d'exporter. « Mais nous y allons aussi pour voir ce que les autres savent faire ! » reconnaît Philippe Kaltenbach, vice-président de la région.

Pour nombre d'élus locaux, Shanghai s'annonce un rendez-vous incontournable : les présidents des régions Auvergne et Champagne-Ardenne ont prévu de s'y rendre. Jean-Germain, maire de Tours, y jouera les VRP des traditions françaises en effectuant des mariages. Les élus du Nord, qui ont astucieusement loué un temple non loin de l'exposition, rebaptisé sans complexe « cinquième pavillon » français, seront également de la partie_ Des campagnes de promotion non dénuées d'arrière-pensées : Rhône-Alpes vantera les mérites de la candidature d'Annecy aux JO de 2018, et le Nord pourrait manifester son souhait d'organiser_ une prochaine exposition universelle.


INTERVIEW - « Shanghai a encore beaucoup à faire avant de devenir un centre financier international »

Yonghao Pu, stratégiste en chef Asie chez UBS

Avec l'Exposition universelle, le gouvernement chinois veut remodeler l'image de Shanghai et accélérer sa mutation, d'ici 2020, en un centre financier international. Est-ce réaliste ?

C'est possible. Etant adossée à une telle puissance économique, Shanghai pourrait logiquement devenir le centre financier du pays et même rayonner sur une partie de la région. Alors que plusieurs villes, et notamment Pékin ou Shenzhen, ont longtemps revendiqué ce rôle de capitale financière globale, le gouvernement central a clairement choisi l'an dernier d'attribuer cette fonction à Shanghai et fait désormais beaucoup d'efforts pour créer un environnement favorable à l'attraction d'une expertise internationale. Beaucoup de grands groupes financiers sont déjà sur place. Toutefois, Shanghai a encore beaucoup à faire avant de vraiment pourvoir revendiquer le statut de hub financier d'Asie de l'Est. On ne peut pas d'ailleurs décréter seul qu'on est devenu une plate-forme financière globale. Il faut être reconnu en tant que tel par la communauté d'affaires internationale et cela nécessite du temps et des investissements.

Beaucoup d'investisseurs préférant actuellement travailler depuis Hong Kong expliquent que l'absence d'Etat de droit en Chine est pour l'instant un frein à cette transformation de Shanghai ?

L'existence d'un Etat de droit est en effet crucial. Il est important de pouvoir faire appliquer tous les termes d'un accord et de pouvoir faire respecter ses droits localement. Sur ces sujets, la Chine progresse dans la bonne direction. Le pays travaille notamment à une meilleure protection de la propriété intellectuelle car les autorités comprennent qu'il est de leur intérêt de protéger ces droits qui encourageront les sociétés locales à innover. Nous venons juste de voir un signe positif avec la victoire de Microsoft dans son procès contre un assureur chinois.

La transformation de la ville en un centre financier international nécessiterait également une convertibilité du yuan. Pékin est-il prêt à cette révolution ?

C'est un dossier très complexe pour les autorités. Elles savent qu'elles vont devoir autoriser une libre circulation des capitaux vers l'intérieur mais également vers l'extérieur du pays. Elles redoutent ainsi des soudaines sorties massives d'argent qui pourraient déstabiliser leur système monétaire. Pour empêcher ces mouvements, elles doivent travailler dès aujourd'hui à une amélioration des retours sur investissement en Chine où les rendements, notamment les taux d'intérêt, sont globalement faibles. Elles doivent aussi améliorer la profitabilité des sociétés cotées dans le pays.


Gouvernance mondiale : Sarkozy veut associer la Chine à ses projets
- Yann Rousseau

Le président français a dénoncé hier les tentatives de pression étrangère sur la politique de change chinoise et préféré proposer à son homologue Hu Jintao de réfléchir avec lui à l'émergence d'un nouveau système monétaire international.

Les experts chinois tentant d'identifier la position de l'Union européenne dans le houleux débat sur la valeur du yuan auront eu du mal hier soir à dégager une réponse claire à leurs interrogations. Quelques heures après avoir entendu mardi le commissaire européen au Commerce, Karel De Gucht, de passage dans la capitale chinoise, expliquer que Pékin devait laisser sa monnaie s'apprécier car « quelle que soit la méthodologie employée, on arrive à la conclusion qu'il y a sous-évaluation », les analystes auront compris que Nicolas Sarkozy, en visite d'Etat dans le pays jusqu'à vendredi soir, refusait, lui, de mettre la pression sur la Chine. « La conviction de la France est qu'il est profondément improductif de s'accuser les uns les autres », a déclaré le chef de l'Etat français devant son homologue chinois, Hu Jintao, probablement ravi de cette prise de position.

Longtemps en froid avec l'exécutif local, qui avait très mal digéré, en 2008, ses propos sur le Tibet puis sa rencontre avec le dalaï-lama, le président français a pris soin hier de flatter la puissance chinoise, sans laquelle les grandes crises macroéconomiques et diplomatiques ne pourraient pas être résolues, avant d'insister sur « les nombreux points de consensus » partagés par Paris et Pékin.

Refusant d'interpeller le pouvoir chinois sur sa politique de change, sa gestion des problèmes de contrefaçon ou son soutien aux politiques protectionnistes, Nicolas Sarkozy a préféré tenter d'associer Hu Jintao à des projets de réflexion plus globaux et « ambitieux ». Avant que la France ne prenne la présidence du G20, il souhaiterait ainsi que les deux capitales commencent à réfléchir ensemble à un éventuel système de stabilisation du prix des matières premières et se penchent sur le « délicat chantier » de la réforme du système monétaire international. Une remise à plat de la gouvernance mondiale et notamment des grandes institutions internationales serait aussi au programme des futures discussions. Officiellement, les autorités chinoises auraient été très intéressées par toutes ces promesses de débats.

Relance des relations bilatérales

Evoquant la relance des relations bilatérales, Nicolas Sarkozy a confirmé que la France espérait vendre prochainement deux réacteurs EPR supplémentaires à la Chine. Selon nos informations, les discussions entre les français Areva et EDF et l'électricien chinois CGNPC seraient même très avancées. Sur le site de Taishan, dans le sud du pays, où sont actuellement construits les réacteurs de troisième génération français, les travaux de terrassement préparatoires à l'accueil de nouvelles tranches auraient déjà été enclenchés. Un accord pourrait être annoncé à l'automne, lorsque Hu Jintao se rendra en France.

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