Mise en scène ? Pas seulement : figure de la compassion dans le régime chinois, M. Wen est l'homme des situations d'urgence. Il avait rejoint le Sichuan en ruine dès le premier jour du séisme de mai 2008. Son empathie, ses petits gestes de réconfort, la façon dont il s'accroupit au milieu des villageois tibétains pour écouter leur malheur sont le meilleur atout d'un gouvernement chinois visiblement conscient des enjeux politiques qui peuvent découler du séisme de Yushu. Séisme intervenu un peu plus d'un an après les manifestations qui ont éclaté dans l'ensemble des régions tibétaines du Qinghai, du Sichuan et du Gansu (frontalières de la région autonome du Tibet proprement dite).
Pour le gouvernement chinois, la bataille s'ouvre potentiellement sur trois fronts. Vis-à-vis des populations tibétaines, aussi bien dans la préfecture de Yushu, qui compte de nombreux monastères et des nomades sédentarisés, que dans les autres parties de l'ancien Tibet historique. Vis-à-vis d'une opinion publique chinoise de plus en plus vigilante sur la manière dont le gouvernement remplit ou non sa mission - notamment sur le dossier brûlant des écoles mal construites. Vis-à-vis des pays occidentaux, enfin, dont les prises de position sur le dossier tibétain sont une source constante de préoccupation pour Pékin.
" Les Tibétains exprimeront comme c'est normal leur gratitude pour l'aide qu'ils reçoivent du gouvernement chinois, quelle qu'ait été l'histoire passée... Aussi bien le gouvernement que les Chinois veulent saisir très consciemment cette opportunité pour réparer les blessures passées ", explique au Monde Robert Barnett, directeur du programme d'études du Tibet moderne à l'Université Columbia, à New York. Pourtant, poursuit-il, " cette relation est très fragile et, à la moindre erreur, cette situation pourrait changer du tout au tout ".
Les médias chinois ont montré des moines s'activant dans les ruines en quête des disparus aux côtés de soldats de l'armée populaire. Plusieurs témoignages rapportés par la presse étrangère ont toutefois fait état de tensions autour du problème des rites funéraires, de la comptabilisation des victimes ou encore lors de la distribution de vivres, qui a donné lieu à des pugilats. " Les autorités chinoises cherchent à tout prix à garder le contrôle et à montrer que l'Etat est le principal pourvoyeur d'aide aux Tibétains. Donc il y a un très fort potentiel de tension et de conflit ", estime l'expert.
Les destructions provoquées par le séisme, notamment en périphérie de la ville de Jiegu (épicentre), incitent aussi à s'interroger sur la politique de sédentarisation des nomades. Toutefois, note M. Barnett, Yushu " peut se prévaloir, de manière inhabituelle, de bonnes relations avec les autorités chinoises ces dernières années et les Tibétains locaux ont pu y créer des ONG, des écoles, une bibliothèque, avec beaucoup moins d'interférences que dans la plupart des villes tibétaines ". Cela explique, selon lui, que Jiegu n'ait pas connu de manifestation majeure en mars 2008.
La reconstruction pourrait créer d'autres problèmes : " L'ampleur du séisme fait qu'il y a un vrai risque que la reconstruction ne donne pas la priorité aux Tibétains, à leurs besoins et à leurs spécificités culturelles ", estime Stephanie Brigden, directrice de l'ONG Free Tibet à Londres, qui a séjourné deux ans à Yushu entre 2000 et 2002. Elle y avait constaté un afflux de migrants, pour la plupart de l'ethnie hui (Chinois de confession musulmane). " Si les Chinois ratent cette occasion, les Tibétains risquent d'être encore plus marginalisés ", prévient-elle.
Signe que la dimension politique du désastre est présente dans tous les esprits, le site Internet Boxun, basé aux Etats-Unis, a publié vendredi une pétition. Adressée à Wen Jiabao et au président chinois Hu Jintao, elle demande au gouvernement chinois de " mettre de côté " sa rancoeur et d'autoriser le dalaï-lama à se rendre sur place. Ni la provenance de la pétition ni ses auteurs n'ont été identifiés.
Brice Pedroletti
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