Les dissensions concernant le taux de change entre les devises américaine et chinoise se poursuivent. Au début de la grande récession, beaucoup s'étaient inquiétés d'un retour malvenu du protectionnisme. Les dirigeants du G20 ont promis qu'ils avaient retenu les leçons de la Grande Dépression. Le protectionnisme a été dans l'ensemble contenu en grande partie grâce à l'Organisation mondiale du commerce.
La faiblesse persistante des économies avancées comporte cependant le risque d'une nouvelle poussée protectionniste. Le Trésor américain a été chargé par le Congrès d'évaluer si la Chine « manipule sa monnaie ». Alors que le président Obama repousse depuis quelques mois déjà la date à laquelle le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, doit rendre son rapport, le concept même de « manipulation des devises » est biaisé : tous les gouvernements prennent des mesures qui altèrent directement ou indirectement le taux de change. Des déficits budgétaires excessifs, ou des taux d'intérêt bas, peuvent se traduire par une monnaie faible. Jusqu'à la récente crise grecque, les Etats-Unis profitaient d'un taux de change favorable du dollar par rapport à l'euro. Les Européens auraient-ils dû accuser les Etats-Unis de « manipuler » le taux de change pour encourager les exportations à leurs dépens ?
Bien que les politiciens américains mettent l'accent sur le déficit commercial bilatéral avec la Chine, qui reste important, la question centrale est celle du solde commercial multilatéral.
L'Arabie saoudite a également un excédent bilatéral et multilatéral important avec les Etats-Unis : les Américains ont besoin de son pétrole et les Saoudiens veulent moins de produits américains. Même en valeur absolue, l'excédent commercial multilatéral de l'Arabie saoudite, de 212 milliards de dollars, dépasse de très loin celui de la Chine, de 175 milliards de dollars. En pourcentage du produit intérieur brut (PIB), l'excédent du compte courant de l'Arabie saoudite, à 11,5 % du PIB, s'élève à plus du double de celui de la Chine. Cet excédent serait bien plus élevé encore si l'on ne tenait pas compte des exportations américaines en armements vers ce pays.
Dans une économie mondiale avec une demande agrégée chroniquement faible, les comptes courants excédentaires constituent un problème. Mais celui de la Chine aujourd'hui est en fait inférieur à ceux du Japon et de l'Allemagne combinés : en pourcentage du PIB, il s'élève à 5 %, contre 5,2 % pour l'Allemagne.
D'autres facteurs que le taux de change ont une influence sur la balance commerciale. Une donnée essentielle est celle de l'épargne nationale. Les Etats-Unis ne pourront sérieusement résorber leur déficit commercial que lorsque les Américains épargneront davantage.
Un ajustement du taux de change du renminbi aurait simplement pour effet de déplacer la source d'approvisionnement des Etats-Unis en textiles et en vêtements, de la Chine au Bangladesh et au Sri Lanka par exemple. En même temps, une réévaluation du taux de change contribuera probablement à l'accroissement des inégalités en Chine, dont les paysans pauvres subissent une concurrence accrue de la part de fermiers américains fortement subventionnés. Là se trouve la véritable distorsion de l'économie mondiale, qui veut que des millions de pauvres des pays en développement souffrent tandis que les Etats-Unis viennent en aide à des paysans parmi les plus riches au monde.
Durant la crise financière asiatique de 1997-1998, la stabilité du renminbi a joué un rôle important pour stabiliser la région. De la même manière, la stabilité de la devise chinoise contribue à une forte croissance économique régionale, dont le monde entier bénéficie.
Certains experts estiment que la Chine doit réévaluer son taux de change pour juguler l'inflation ou empêcher la formation de bulles financières. Le gouvernement chinois contient l'inflation, mais, surtout, il a tout un éventail d'autres moyens (des taxes sur les flux de capitaux et sur les plus-values à une série d'instruments monétaires) à sa disposition.
Il n'en reste pas moins que les taux de change influent sur les modèles de croissance, et il est dans l'intérêt même de la Chine de restructurer son économie de manière à être moins dépendante d'une croissance tirée par les exportations. A Pékin, les autorités reconnaissent que la monnaie chinoise devra s'apprécier dans la durée. Donner une dimension politique au rythme auquel s'effectuera cette appréciation s'est toutefois révélé contre-productif. Par ailleurs, provoquer une confrontation bilatérale n'est vraiment pas opportun.
Personne ne profite d'une guerre commerciale. Les Etats-Unis devraient donc se méfier d'en commencer une en plein milieu d'une reprise économique mondiale incertaine.
JOSEPH E. STIGLITZ, PRIX NOBEL D'ÉCONOMIE EN 2001, EST PROFESSEUR D'ÉCONOMIE À L'UNIVERSITÉ DE COLUMBIA. CET ARTICLE EST PUBLIÉ EN COLLABORATION AVEC PROJECT SYNDICATE.
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