Auteur à succès, pilote de rallye, ce jeune homme pressé si séduisant est aujourd'hui le blogueur le plus lu de Chine, en résonance avec une jeunesse lasse que l'on prétende penser pour elle.
La comparaison est hasardeuse, reconnaissons-le, mais il y a un peu de Paul Morand chez Han Han, le plus célèbre des blogueurs chinois. Cette inclination commune vers l'écriture et les voitures de sport. Une allure dilettante, une aisance avec les progrès techniques, mais beaucoup moins avec les médiocrités de la culture de masse. En fait, une capacité à monter avec détachement dans le « train d'enfer » des temps modernes, dont Internet n'a pas apaisé la folle course. Un « Morand chinois », version 2.0.
Pilote professionnel de rallye, figure vedette de l'écurie Subaru-Chine, et auteur à succès, Han Han se plaît à dire qu'il a juste choisi « deux métiers que l'on fait assis ». De figure marginale et sympathique de la jeunesse chinoise, il est devenu en quelques mois un phénomène de société. Au point d'être nominé pour la fameuse liste de Time Magazine des 100 plus influentes personnalités mondiales de l'année, aux côtés de Barack Obama ou du vice-premier ministre Wang Qishan, grand ordonnateur de la politique économique de Pékin. Écrire des romans et piloter une voiture de course offre une double raison de plaire, au moins aux jeunes filles. Ceux que séduit moins ce play-boy de 28 ans, mince de corps et large de sourire, ce sont les censeurs du régime, qui s'inquiètent de sa populaire irrévérence. Sans pour autant oser lui clouer le clavier.
À 19 ans, ce jeune homme pressé publie son premier roman, La Triple Porte. Succès immédiat, avec deux millions d'exemplaires vendus. Il y décrit la douleur et la révolte de sa génération, dans cette Chine de l'enfant unique qui fait porter une pression énorme sur ses enfants, notamment pour l'éducation. Il a quitté les bancs de l'école avant de passer le gaokao, le terrible « bac » chinois. Aujourd'hui, ses écrits trouvent une étonnante résonance au sein de la génération dite des « post 80's », ces jeunes nés après les réformes de Deng Xiaoping.
Han Han a lancé son blog en 2006. Il a reçu depuis plus de 300 millions de visites. Le dandy de Shanghaï est aujourd'hui le blogueur le plus lu de Chine, donc du monde. Au fil des billets, il est monté en gamme dans l'impertinence. En évitant la sortie de route et le couperet de Pékin. Si ses « posts » se font régulièrement « harmoniser », expression prisée des internautes chinois pour désigner la censure, il n'a pas été fermé. Sa « cyber-survie » tient sans doute à son incroyable popularité, mais aussi à son ton empli d'humour et d'ironie. Caustique et incisif, Han Han joue cependant la légèreté. Il ne livre pas de noms, n'attaque pas de front la légitimé du Parti, même s'il en raille le fonctionnement, comme la corruption et l'incurie des cadres locaux. « Je connais les »trésors* du régime, auxquels il ne faut pas s'attaquer. Je n'y touche pas, cela ne sert à rien. Mieux vaut occuper tous les espaces ouverts à côté. »
« Responsables incultes »
Han Han préfigure peut-être l'opposition douce et future d'une jeune société adolescente. Sans réelle conscience politique, mais lasse que l'on prétende penser pour elle. « Je déteste la politique, je préfère la culture et les arts, confie-t-il, mais quand la politique empêche la création culturelle et artistique, cela devient un problème pour moi. » Il s'insurge contre un système qui s'échine à tuer dans l'oeuf toute pensée indépendante. Il estime même que la flambée des prix de l'immobilier, source principale de mécontentement des Chinois aujourd'hui et officiellement combattue, a son utilité politique. « On fait tendre les jeunes générations vers ces seuls buts matériels, dit-il, on les fait vivre dans la peur de leur avenir, et cette pression les empêche de penser librement. »
« La valeur littéraire des écrits de Han Han n'est pas encore flagrante, estime le professeur et commentateur politique Hu Xingdou, mais cela parle vraiment aux jeunes »post 80's*, une génération dont il est incontestablement l'un des plus doués. Et, qui sait, il est encore très jeune, peut-être deviendra-t-il un grand écrivain. »
Récemment, le dandy des rallyes s'en est pris aux contradictions gouvernementales sur le « soft power » chinois. « Ils veulent que la Chine devienne une grande nation culturelle qui rayonne dans le monde, mais en contrôlant tout, ils tuent la création, lâche-t-il, nombre de responsables sont si incultes. Si cela continue, la Chine ne sera plus connue que pour son thé et ses pandas. » Il raconte avoir grandi dans une maison pleine de livres. Son père, journaliste, avait placé les mauvais ouvrages, « ceux d'après 1949 », sur les étagères hautes. « Le petit garçon que j'étais ne pouvait attraper que les bons, ceux d'avant la période maoïste. »
Quand il a voulu lancer un magazine culturel, Pékin a quand même agité le drapeau rouge. La couverture du numéro 1 a été vue comme une insupportable provocation. Un homme nu, fusil en bandoulière et cache-sexe de rigueur. En chinois, « cacher les parties intimes » se prononce comme « le parti central »... Et quand le vote des internautes sur le classement de Time l'a fait écraser les vedettes du régime, elles aussi nominées, la presse officielle a sorti les canons. « Han Han ne peut être un héros de notre temps », a titré le Shanghai Times, le décrivant comme un critique ayant choisi le confort du monde virtuel, n'abusant que les « naïfs ».
Han Han s'amuse que l'on s'interroge sur son avenir de blogueur frondeur. « Si je ne peux plus écrire, lance-t-il, j'aurai plus de temps pour m'entraîner, et je deviendrai encore meilleur au volant d'une voiture. »
© 2010 Le Figaro. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire