Depuis longtemps, la crise coréenne ressemble à un grand théâtre d'ombres. Avec des acteurs, qu'ils soient locaux, chinois ou américains, semblant avoir intérêt à ce que le rideau ne tombe jamais. Avec aussi une alternance un brin lassante de périodes d'apaisement négocié et de crises que l'on dit susceptibles de dégénérer en guerre totale, sans que personne n'y croie vraiment. Vu de Washington ou d'Europe, l'affaire est d'ailleurs prise moins au sérieux que le dossier nucléaire iranien. Il n'empêche, cette fois-ci, avec un bateau et 46 marins sud-coréens envoyés par le fond, une de ces fameuses « lignes rouges » a été franchie. Et, sans mettre la région au bord du gouffre, ce dernier acte met dramatiquement en lumière les contradictions ou les faiblesses des différents protagonistes.
Commençons par la Corée du Nord. Il y a sans doute chez Kim Jong-il une volonté de déstabiliser le président sud-coréen, déjà amoindri politiquement. Mais, aussi et surtout, le souci d'affirmer sa force et son pouvoir en interne, après l'affaiblissement consécutif à son accident cérébral de l'été 2008 et dans un contexte de succession annoncée. Le fait qu'il ait besoin d'un tel geste offensif, et non plus d'un essai de missiles ou d'engin nucléaire, n'est pas rassurant sur la situation derrière le rideau opaque des frontières nord-coréennes.
En attendant longtemps avant de réagir, pour finalement conclure à une attaque par torpille et non à l'action d'une simple mine, la Corée du Sud s'est enfermée dans un piège. Le président Lee Myung-bak a beau tenir un discours viril, il n'a guère d'options. La suspension des relations commerciales n'a rien de bouleversant, d'autant que la Chine, qui assure déjà 80 % des approvisionnements vitaux nord-coréens, peut aisément prendre le relais. Finalement, pour sauver la face, Séoul n'a guère comme solution que de saisir le premier faux pas nord-coréen pour venger ses marins. Mais la leçon peut toujours dégénérer.
La Chine joue un drôle de jeu, cette fois-ci difficilement recevable. Elle n'a pas joint sa voix au concert de condamnations internationales et a déclaré vouloir mener sa propre « évaluation » à propos de l'attaque. On ne voit pas pourquoi ses experts ne pourraient examiner les débris de la torpille meurtrière. Les simples appels de Pékin à la « retenue » semblent un peu courts. On imagine le calme et la « retenue » chinoise si 46 soldats de l'Armée populaire de libération étaient envoyés ad patres par une autre nation.
Les États-Unis sont embarrassés. Avec l'Afghanistan, le Pakistan et l'Iran, ils ont déjà un bel éventail de crises sur les épaules. Mais ils ne peuvent rester trop passifs, sous peine de perdre tout crédit auprès de leurs alliés sud-coréens et japonais, voire de l'ensemble la région Asie-Pacifique.
Bien sûr, l'affaire a ses effets positifs. Le premier ministre japonais a laissé entendre hier que l'affaire avait joué dans la décision de ne pas remettre en cause la base américaine d'Okinawa. Mais le fait qu'un sous-marin nord-coréen, pourtant pas de dernière génération, n'ait pas été détecté par une corvette sud-coréenne pointe aussi cruellement les lacunes de l'armée de Séoul. Et par là même sa dépendance encore forte vis-à-vis des forces américaines, alors que des transferts de responsabilité étaient prévus en 2012. Il n'est pas sûr que cette perspective réjouisse à Washington.
En janvier 2009, après une énième provocation de Pyongyang, la Maison-Blanche avait comparé la Corée du Nord à « un bébé qui frappe avec sa cuiller sur sa chaise haute pour tenter d'attirer l'attention ». En suggérant que les adultes de la nouvelle Administration Obama allaient cesser de rentrer dans ce jeu. Hier, la cuiller est devenue torpille. Et l'on se demande maintenant de quel ustensile le « bon petit diable » nord-coréen va se saisir.
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