mardi 18 mai 2010

CANNES 2010 - Une oeuvre appliquée sur le fossé des générations en Chine


Le Monde - Culture, samedi, 15 mai 2010, p. 19

CULTURE Cannes 2010

Chongqing Blues Sélection officielle/ en compétition - Comme tout cinéaste de la sixième génération qui se respecte, le Chinois Wang Xiaoshuai enregistre de film en film les colossales mutations de son pays. Son nouvel opus, Chongqing Blues, un mélo tout en suggestions, évoque en creux la fracture générationnelle de la société chinoise. Son personnage principal, Lin, un capitaine de navire marchand, y apprend au retour d'une mission la mort de son fils, Lin Bao, 25 ans, qu'il n'avait pas revu depuis quinze ans.

Installé dans une autre partie du pays, où il a refait sa vie et est le père d'un autre garçon, Lin décide de retourner à Chongqing, la ville qu'il habitait alors, pour comprendre les raisons de cette mort brutale. Lin Bao a en effet blessé d'un coup de couteau une employée et un vigile d'une grande surface, puis pris en otage une femme, avant d'être abattu par la police. En possession d'une vidéo de surveillance qui a enregistré une partie des événements, Lin va mener son enquête, retrouver les témoins et tenter, non sans mal, de les faire parler.

Le film oscille entre la quête de ce père accablé, rongé par le remords, et le progressif dévoilement, par l'entremise de ses interlocuteurs et de retours en arrière, de l'événement qui a causé la mort de son fils. La structure « policière » de ce procédé n'est toutefois qu'un leurre. L'intrigue, d'une confondante banalité, ne révèle rien d'autre que le geste désespéré d'un garçon solitaire, et plus encore le fossé abyssal qui sépare la génération des pères, en quête d'un sens à donner à l'existence, et celle des fils, jeunesse privée de modèle et d'idéal, livrée à la pure consommation du présent, brûlant sa vie par les deux bouts.

Le film reprend formellement à son compte ce clivage entre l'individu et la communauté, en juxtaposant les plans rapprochés, qui isolent les personnages, et les plans généraux, qui offrent de la ville une vision élégiaque et embrumée. En dépit de beaux moments et d'une réelle sensibilité, il manque à Chongqing Blues le tremblement, le supplément d'âme qui lui permettrait de transcender son irréprochable application. C'est un peu ce qui manque au cinéma étonnamment assagi de Wang Xiaoshuai depuis l'électrisant So Close to Paradise (1999).

Note(s) :

Film chinois de Wang Xiaoshuai. Avec Wang Xueqi, Fan Bingbing, Qin Hao. (1 h 50.)

© 2010 SA Le Monde. Tous droits réservés.

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