Propos recueillis par Mélanie Delattre
Eclairage. Le financier et essayiste proche du président croit au sursaut franco-allemand.
Le Point : L'Europe vient de mettre 500 milliards sur la table. Quelle est la portée d'une telle décision ? Alain Minc : C'est une grande victoire pour l'Europe. L'adoption en une nuit de ce plan de sauvetage montre que, lorsque l'on déclare la guerre à l'euro (et donc à l'Europe) comme l'ont fait les spéculateurs, l'Europe riposte. La capacité de réaction de nos dirigeants prouve aussi que, soixante après la déclaration Schuman, l'esprit des pères fondateurs est toujours bien vivant. Enfin, et c'est peut-être là la plus grande victoire, l'Europe vient de clouer le bec à tous ceux qui depuis des années raillaient sa lenteur, sa complexité, sa façon de marcher en crabe sans jamais vraiment avancer.
Pourquoi était-il si important de sauver l'euro ? Sans l'euro, un seul pays aurait eu les moyens de financer une politique de relance au pic de la crise financière : l'Allemagne. Tous les autres, y compris la France, auraient été obligés de mettre en place une politique de rigueur sans laquelle leur devise nationale aurait été attaquée. Au lieu de dépenser des milliards pour relancer notre économie, nous aurions dû réduire drastiquement les dépenses publiques, ce qui nous aurait ramenés à une situation proche de celle des années 30. L'euro a été notre bouclier, nous le sauvons parce qu'il nous a sauvés.
Comment être sûr que cette fois l'Europe n'est plus menacée d'implosion ? Une nouvelle secousse peut toujours se produire. Le bras de fer avec les marchés fait désormais partie de l'ordre de la vie. Mais, avec les mesures prises ce week-end, beaucoup d'opérateurs de marché ont aujourd'hui perdu des fortunes. Et le meilleur moyen de lutter contre la spéculation, c'est encore de faire perdre de l'argent au spéculateur. Plus important : avec ce plan, les pays économiquement forts, dont on disait qu'ils ne pensaient qu'à se débarrasser des pays économiquement faibles, ont fait le choix de la solidarité. L'Allemagne, pays le plus puissant de la zone, ne veut pas bouter hors d'Europe la Grèce, pays le plus faible. De ce point de vue, la date du 10 mai est à marquer d'une pierre blanche.
Les Allemands n'y sont allés que contraints et forcés.... Ceux qui disent cela oublient que l'Europe est constituée de vingt-sept pays, avec chacun son processus démocratique, son opinion publique et son propre agenda électoral. Le fait que l'Allemagne soutienne le plan n'est pas surprenant, mais au contraire complètement rationnel. C'est une décision dans laquelle la morale et l'intérêt se rejoignent. La morale, parce que les Allemands, contrairement à ce qu'on veut faire croire, n'ont pas subi l'extension de la zone euro vers le sud contre leur volonté. Ils ne peuvent donc s'exonérer de leurs choix passés. L'intérêt, parce que l'Allemagne, puissance exportatrice du continent, a tout à perdre d'une monnaie trop forte. La présence d'économies plus faibles au sein de la zone fait donc paradoxalement ses affaires.
Le couple franco-allemand donne l'impression d'un ménage qui se rabiboche dans l'urgence quand les circonstances l'exigent. Les semaines écoulées viennent au contraire de démontrer la solidité de ce couple. Les gens n'ont pas compris que la France et l'Allemagne fonctionnent comme une famille : à table, on discute de tout sans tabou, mais une fois la porte fermée on parle d'une seule voix. Pour moi, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont réinventé à leur façon le fonctionnement du couple Mitterrand-Kohl.
Quel rôle a joué Nicolas Sarkozy dans l'adoption de ce plan ? Une première chose importante, c'est que le président a su établir avec Angela Merkel les conditions d'un dialogue efficace. Il s'est ainsi montré très discret afin de ne pas mettre la chancelière en porte-à-faux vis-à-vis de son électorat. Cette stratégie a permis d'obtenir des Allemands des avancées inimaginables il y a encore quelques semaines. Une seconde chose, c'est que, comme d'habitude dans les crises, Sarkozy a été à son meilleur... Cela dit, les Anglais n'étant nulle part, les Espagnols affaiblis et les Italiens pris dans les contradictions de leur régime berlusconien, l'Europe, aujourd'hui, c'est le couple franco-allemand et, derrière lui, la machine bruxelloise....
N'est-ce pas une vision un peu arrogante des choses ? Je dirais réaliste.
A propos de machine technocratique, que dire du rôle de la Banque centrale européenne ? Une fois de plus, Jean-Claude Trichet a fait preuve d'une audace exceptionnelle. Comme en 2007, au moment de la crise financière, il a très vite pris la mesure de la situation, au point d'aller à rebours de ce que prévoyaient ses statuts et d'autoriser le refinancement par la BCE d'obligations d'Etat, quelle que soit la notation financière de ces dernières [en principe, la BCE ne peut racheter que des titres offrant toutes les garanties, Triple A si possible, NDLR].
Tout aurait été plus simple avec l'Europe politique et le budget commun que l'on attend encore... L'Europe budgétaire est en train de se faire de manière naturelle et non supranationale. A moyen terme, tous les pays européens vont devoir faire des efforts pour contenir la dette et réduire les déficits publics. De fait, leurs politiques seront donc coordonnées.
L'Europe post-plan de sauvetage est donc une Europe de la rigueur ? Ce n'est pas le plan d'aide à la Grèce qui est à l'origine de ce virage, mais la crise. Nous avons, nous les « vieux pays » européens, aidé nos économies à traverser avec le moins de dommages possible cette période de grave récession. Aujourd'hui, nous courons avec un sac de sable sur le dos. Il va bien falloir s'en débarrasser. Cela ne veut pas dire renoncer à notre système social, mais prendre des engagements contraignants étalés dans le temps, afin de réduire notre niveau de dépenses sans brider le début de la reprise. Pour les pays qui le peuvent - économiquement et politiquement -, cela pourrait prendre la forme de l'inscription dans la Constitution d'un principe de retour à l'équilibre des finances publiques, comme cela existe déjà en Allemagne.
Qu'est-ce qui nous dit que les Grecs - et ensuite les autres Européens - vont accepter les restrictions imposées par Bruxelles ? Les Grecs vont accepter de se serrer la ceinture parce qu'ils ont fait quelques provisions. Ce qu'aucune agence de notation ne rappelle, c'est que près de la moitié du PIB provient de l'économie souterraine. Austérité pour un fonctionnaire grec, cela veut dire quitter son emploi officiel à 16 h 30 au lieu de 17 h 30 et commencer son job de taxi non déclaré à 17 heures au lieu de 18 heures. Et, en ce qui concerne les autres Européens, je pense que la crise grecque les a amenés à prendre conscience d'un certain nombre de choses. Notamment du fait qu'on ne crée pas de la croissance en émettant des assignats.
Mais ne s'agit-il pas tout de même d'une victoire a minima, prise « dans le dos » des peuples ? La démocratie, ce n'est pas l'agora étendue à 400 millions de personnes. Les peuples européens ont des représentants qu'ils élisent et qu'ils ne sont pas obligés de reconduire. Leur faire croire qu'ils doivent être consultés à chaque grande étape de la construction européenne est non seulement démagogique, mais criminel. On a vu ce qu'a donné l'organisation de référendums nationaux sur le projet de Constitution européenne...
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