Détonateur. Aucun pays de la zone euro n'était aussi mal géré.
Les bouquets de fleurs et les bougies s'amoncellent sur le trottoir de la banque Marfin, avenue Stadiou, la rue des manifestations située à deux pas du Parlement grec. Devant le bâtiment calciné, où trois employés de l'agence ont péri, piégés par les flammes, le 5 mai, des Athéniens s'empoignent.« Ils n'ont que ce qu'ils méritent, vocifère un homme . C'était le jour de la grève et eux, ils travaillaient quand même. » « Imbécile, on les a forcés à travailler. Ils ne voulaient pas perdre leur travail », hurle un autre en pointant un index agressif. Les victimes n'ont pu s'enfuir à temps de la banque, dans laquelle des manifestants cagoulés avaient lancé des cocktails Molotov.« Les anarchistes ont mis le feu. Pourquoi ne sont-ils pas arrêtés ? Le gouvernement est responsable », glapit une vieille femme, le visage mangé par des lunettes de soleil.« Je suis dégoûté. Nos salaires s'évaporent et c'est à cause de cela qu'ils sont morts », soupire Christos, salarié d'une banque voisine, venu se recueillir.
Comme en décembre 2008 après la mort d'Alexis Grigoropoulos, un adolescent abattu par un policier antiémeutes, ce nouveau drame a confronté la Grèce au déni de sa propre crise. L'apparente insouciance des Athéniens, dont la consommation de cafés frappés sur les terrasses ensoleillées de la capitale n'a pas diminué, cache pourtant une angoisse existentielle. La dette publique (300 milliards d'euros), qui fait trembler toute l'économie de la zone euro, rappelle aux Grecs l'état de décomposition de leur pays et les sacrifices qui vont devoir être consentis.« Nous sommes au bord de l'abysse », a lancé le président de la République, Karolos Papoulias.« La Grèce est en faillite économique, mais doit aussi affronter une situation de faillite politique et médiatique », estime Paschos Mandravelis, éditorialiste politique pour le quotidien Kathimerini.
Saignée. Le plan d'austérité drastique présenté par le Premier ministre, Georges Papandréou, et adopté par le Parlement grec la semaine dernière prévoit des coupes sans précédent dans les dépenses publiques et une hausse de certains impôts, à commencer par la TVA, portée à 23 %.« L'avenir de la Grèce est en jeu, a justifié le chef du gouvernement devant les députés.L'économie, la démocratie et la cohésion sociale sont mises à l'épreuve. » Les taxes sur l'alcool, l'essence et les cigarettes sont relevées. Les salaires dans la fonction publique et les retraites sont gelés pour au moins trois ans. La durée de cotisation va s'allonger de 37 à 40 annuités; l'âge de départ à la retraite, qui était de 60 ans pour les femmes et de 65 ans pour les hommes - une discrimination pour laquelle la Grèce a été condamnée par la Cour européenne de justice -, devrait même être progressivement porté à 67 ans. Le gouvernement prédit une récession de 4 % pour 2010.
Chaque foyer est frappé par ces mesures et devra y laisser jusqu'à un tiers de ses revenus annuels. Une saignée. Une perte de « 3 000 euros par an » pour Vassilis, un professeur de mathématiques qui travaille six heures par jour et gagne 1 500 euros par mois. Il défilait parmi les 30 000 à 50 000 manifestants devant le Parlement, jeudi 6 mai. Ce plan de rigueur devrait permettre une économie de 30 milliards d'euros en trois ans, condition indispensable pour débloquer le prêt de 110 milliards d'euros de l'Union européenne et du Fonds monétaire international (FMI). L'échéance du 19 mai approchant (ce jour-là, Athènes doit rembourser 8 milliards d'euros d'obligations), l'Etat grec risquait de se trouver incapable de s'acquitter du salaire de ses fonctionnaires.« Ce plan est l'équivalent d'une dévaluation monétaire d'environ 20 %, estime Giorgos Glynos, ancien fonctionnaire européen et économiste à la fondation Eliamep.Une dévaluation n'est plus possible dans l'eurozone, donc on essaie d'obtenir le même résultat avec une dévaluation des revenus. »
Première pointée du doigt pour expliquer les déficits, la fonction publique pléthorique.« Personne n'est capable de donner avec certitude le nombre exact de fonctionnaires », souligne Konstantinos Michalos, le président de la chambre de commerce d'Athènes. Ils seraient plus de 1 million, militaires et clergé compris, deux à trois fois trop.« De la propagande », pour Ilias Vrettakos, vice-président de l'Adedy, le principal syndicat de la fonction publique, qui en admet 400 000.« Depuis plus de trente ans, les gouvernements ne cessent d'étendre le champ d'intervention des administrations », poursuit Konstantinos Michalos. Minée par le clientélisme et la corruption, l'administration est un gouffre : 14 % du PIB. Au fil des élections et des distributions de cadeaux, les salariés du public ont accumulé les avantages et les primes absurdes pour compenser des salaires bas. Départs à la retraite anticipés, un treizième et un quatorzième mois, un dix-septième même pour les employés du Parlement.« Ma mère, prof d'anglais, a une prime pour arriver à l'heure, une prime pour être bien habillée », sourit Alexia, une étudiante qui soutient le plan du gouvernement.« Il y a des primes de vacances et de productivité, bien que les services publics ne soient pas productifs du tout », ajoute Giorgos Glynos.
Corruption. Pour faire entrer l'argent dans les caisses, le gouvernement grec a, par exemple, fait voter une taxe sur les piscines, utilisant Google Earth pour faire l'inventaire des villas huppées du nord de la capitale. Résultat, les ventes de faux gazon et de bâches de camouflage ont subitement augmenté...« Pourquoi paierais-je des impôts, demande Andreas, 55 ans,alors que l'Etat ne me donne rien ? » Tel est le cercle vicieux des finances grecques. La part de l'économie souterraine est estimée entre 30 et 40 % du PIB et l'évasion fiscale à 25 milliards d'euros. Visés par un redressement, les médecins de Kolonaki, un quartier chic d'Athènes, déclaraient moins de 15 000 euros de revenus annuels.
Le scepticisme face au plan de rétablissement traduit aussi la peur des classes moyennes de payer pour les plus riches et pour une clique politique corrompue. Les sacrifices ont un goût amer après les scandales du gouvernement de droite, dirigé par Caramanlis. L'affaire immobilière des moines du mont Athos en 2008, les pots-de-vin distribués par Siemens aux différents partis politiques, les enveloppes offertes aux agriculteurs pour 600 millions d'euros et les milliards des fonds européens engloutis au fil des années...
Acquis.« Nous devrions nous concentrer sur le gaspillage public et la fraude », juge Christos Staikouras, député de Nouvelle Démocratie (droite), qui n'a pas voté le paquet de mesures. Quid de la réduction du budget de la défense, grande oubliée des réformes, qui représente 2,8 % du PIB, soit le taux le plus élevé de l'UE ?« Cela ne devrait même pas être une option », répond Staikouras. Malgré la crise, la Grèce continue d'acheter frégates et missiles, principalement à la France et à l'Allemagne.
Au pied du mur, Georges Papandréou n'a d'autre choix que de s'attaquer aux habitudes et aux acquis enracinés dans la société grecque. Obligé de payer pour les erreurs de ses prédécesseurs et notamment de son père, Andreas, Premier ministre dans les années 80, qui distribuait sans compter l'argent public. Face à l'ampleur du défi grec, la question clé, résume Giorgos Glynos, est : « Comment réformer l'économie pour la rendre compétitive ? On n'a pas investi dans les ressources humaines ni dans l'éducation. Voilà pourquoi il est plus facile aujourd'hui de désigner des boucs émissaires, le FMI, l'UE ou les immigrés...Tout ce qu'on peut espérer, conclut-il,c'est que cette crise crée un électrochoc » En effet...
Les cinq plaies de la Grèce
Les fakelaki Si on ne glisse pas une petite enveloppe, on n'obtient pas grand-chose. La corruption et le clientélisme sont des maux anciens et profonds.
La phobie de l'impôt L'économie noire représente 30 %, dit-on, du PIB grec. La fraude fiscale est une spécialité nationale.
La bureaucratie 80 % du budget de l'Etat sert à payer les fonctionnaires, qui, en proportion, sont les plus nombreux de la zone euro.
Les plages et les cargos Tourisme et armement naval font vivre la Grèce depuis longtemps au détriment d'autres activités. Le déficit courant de la Grèce (12,9 %) est le plus élevé de l'OCDE !
La vie comme elle vient Les Grecs n'épargnent pas. 70 % de leur dette publique est entre des mains étrangères.
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