jeudi 27 mai 2010

INTERVIEW - M. Cambessus : « Les Chinois ont compris le potentiel de l'Afrique »

Les Echos, no. 20685 - International, jeudi, 27 mai 2010, p. 8

Michel Camdessus, ancien directeur général du FMI et membre de l'Africa Progress Panel

A l'heure où la crise éloigne les pays du Nord de l'aide à l'Afrique, l'ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Michel Camdessus, insiste sur l'intérêt de ne pas se détourner d'un continent qui pourrait frôler les 7 % de croissance par an. Il met en garde la France sur la tentation de « se replier sur elle-même ». Et invite les pays du Nord à ne pas laisser les seuls pays du Sud s'intéresser à l'Afrique. Michel Camdessus est l'un des coauteurs du rapport que vient de publier l'Africa Progress Panel - un « think tank » présidé par l'ancien secrétaire général des Nations unies Kofi Annan pour veiller au respect des engagements de la communauté internationale en Afrique.

« Passer à l'action » en Afrique : c'est le titre de votre rapport. Est-ce à dire que rien n'a été fait ces dernières années ?

Si, mais les mutations sont lentes. Aujourd'hui, les espoirs sont cependant plus vifs qu'hier. Car il y a des réservoirs de croissance inexploités et de nouveaux gisements d'aides et de financements internationaux. Les aides privées, notamment, sont de l'ordre de 500 milliards de dollars, soit quatre fois plus importantes que l'aide publique au développement de l'OCDE.

La crise qui touche l'Europe ne risque-t-elle pas de faire oublier l'Afrique ?

C'est ce qui est en train de se passer ! Au sommet de Gleaneagles en 2005, les pays du Nord avaient promis 25 milliards de dollars d'aide à l'Afrique. On est à 11 milliards, soit un écart de 56 %. Cela s'explique par la baisse du PIB des pays du Nord et par la dépréciation de l'euro par rapport au dollar. Les besoins de l'Afrique ne peuvent pas se traduire en PIB des pays du Nord, mais en milliards de dollars sonnants et trébuchants ! La bonne surprise vient du fait que le Sud est de plus en plus présent en Afrique. Le Brésil propose par exemple de l'aider pour sa sécurité alimentaire. Dans les pays du Nord, en France notamment, la tentation de tailler dans l'aide au développement sera constamment présente. La France sera tentée de se replier sur elle-même et de limiter sa présence là où ça rapporte immédiatement. Nous devons relever la mire et songer à cette Afrique. C'est un enjeu formidable à long terme.

Lequel, précisément ?

En France, il y a une fatigue de l'aide, une fatigue de l'Afrique, une sorte de désespérance : nous savons trop ce qu'il y a eu de corruption, de complaisance et de choses détestables dans ce qu'on a appelé la Françafrique. Nous ne nous rendons pas assez compte que cela doit être corrigé et que l'Afrique est l'avenir du monde, la nouvelle frontière du développement. L'Afrique, c'est 1 milliard d'habitants aujourd'hui et 2 milliards en 2050. Si nous sommes capables d'être présents et respectés pour ce que nous pouvons apporter, nous serons partenaires d'une Afrique avec un potentiel de croissance de l'ordre de 7 % l'an ! Les Chinois, comme d'autres, ont compris que c'était une aubaine. Les investissements étrangers en Afrique ont grimpé en flèche ces dix dernières années et, même s'ils ont été réduits d'un tiers, ils étaient quand même de 56 milliards de dollars en 2009 - dont 6 à 6,5 milliards apportés par la Chine.

La Chine est souvent accusée d'entraîner les pays africains dans le réendettement_

L'endettement est dangereux lorsqu'il s'applique à des dépenses non productives - construction d'un stade, d'un palais présidentiel, etc. -, mais pas lorsqu'il concerne des investissements d'infrastructures, ce qui est le cas de la plupart des actions chinoises.

PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-CHRISTINE CORBIER ET RICHARD HIAULT

PHOTO - Former International Monetary Fund chief, Michel Camdessus, delivers an address before the Management Association of the Philippines international business leaders conference in Manila on October 7, 2008. Camdessus said a global recession can be avoided with a coordinated plan to restore market confidence shattered by the US sub-prime mortgage crisis. Camdessus as the IMF managing director presided over the resolution of the Asian crisis a decade ago.

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